lundi 4 mars 2013

Le président Aziz face au pouvoir de l’argent.

Je reçois d'un correspondant et ami mauritanien l'opinion suivante : ce n'est pas la mienne, en tout cas je ne partage pas la conclusion, mais le pouvoir actuel ne s'exprimant pas, ce point de vue qui ne lui est pas défavorable, est d'autant plus intéressant.

                 Le pouvoir mauritanien s’est stabilisé vers la fin des années 90 sur un équilibre dynamique au sein d’une oligarchie construite autour d’un oligopole commerçant, historiquement promus par les signatures de hauts fonctionnaires associés aux affaires du premier, lesquels tiennent leur place de militaires putschistes et d’une élite civile de divers horizons. Les commerçants finançaient l’achat des électeurs avec une ambition qui se limitait au maintien de mandataires amis. L’oligarchie militaro-administrative ordonnait la décision aux besoins de ses intérêts et ceux des opérateurs économiques associés. Les deux parties corrigeaient, solidairement, les grands écarts entre la réalité et les exigences des associés extérieurs (entreprises, banque mondiale, FMI etc.) et compensaient les trop forts impacts négatifs pour la population.

L’équilibre entre les parties oligarchiques s’est insidieusement rompu durant la dernière décennie. L’oligopole commerçant s’est autonomisé du politique, puis lui est venu l’idée qu’il pouvait décider à sa place, au plus haut niveau ; par l’argent.

C’est sans doute, lors de l’élection présidentielle de 2009 que le président Aziz prit conscience que quelque chose d’irrévocable allait se jouer si rien n’était fait. En pleine campagne présidentielle, dont le siège avait été mis à sa disposition par le chef de file du réseau commerçant Oulad Bousbaa et financé par le même, Aziz déménage brusquement ! Le geste est pris pour une saute d’humeur ; c’était une prise de conscience hautement politique. Il n’était plus un candidat soutenu par des hommes d’affaires mais le candidat d’un homme d’affaire. Il ne pourrait en être ni l’associé, ni l’allié mais bien l’homme lige. Le pouvoir politique risquait de se voir dissoudre par le pouvoir de l’argent. Le président Aziz depuis, lors n’a eu de cesse de rétablir l’équilibre politique rompu.

Pendant ce temps, le chef de file de l’opposition voyait, sans s’émouvoir, son effigie embarquée et jetée au-dessus de Nouakchott, par un hélicoptère du Tandem smassido-Idawali ; financier de sa campagne et vrai maitre de l’économie du pays sous la présidence Ould Taya.

 
                   Dès 2009, de « hauts » fonctionnaires, souvent porteurs d’une immunité tribalo-commerçante, se voient demander des comptes sur des pratiques qui les interdiraient de gestion de biens sociaux, à vie, et envoient en prison pour 15 ans sous d’autres cieux. Des « banquiers » se voient demander des comptes sur les règles basiques, qui font la différence entre une banque et une entreprise d’escroquerie financière.

L’incompréhension et la désapprobation ne sont pas feintes au sein de l’oligarchie mauritanienne de tous horizons. Car le président Aziz remettait en cause deux principes du consensus oligarchique mauritanien et en maintenait un troisième, que les commerçants arrivés, voulaient révolu.

Premier principe : Les lois officielles ne sont appliquées que par nécessité ou pour servir un consensus de l’élite. Elles ne doivent pas être utilisées par une des parties contre une autre au sein de l’oligarchie.

Demander des comptes fiscaux ou comptables prévus par la loi à un membre de l’oligarchie viole ce principe. De la même manière que l’administration ne demande pas la sincérité ou la traçabilité comptable à un parti d’opposition. De même, on ne demande pas de comptes sur les conflits d’intérêts d’un fonctionnaire avec ses prises de participations dans le commerce, ou à un commerçant importateur de Phillip Morris, comment le marché Algérien se trouve inondé de cigarettes Marlboro débarquées à Nouadhibou et passant par l’intermédiaire de Belmoktar, chef de clan d’AQMI. Etc.

2ème principe : L’administration fonctionne de façon ordinaire sous le régime discrétionnaire et les dérogations aux règlements.

Il est convenu que le pouvoir discrétionnaire ne s’attaque pas de front aux intérêts constitués d’une des composantes oligarchiques. Les dérogations peuvent avoir autant d’effets en contradictions avec les lois, mais celles-ci ne doivent pas être convoquées pour les annuler. Les démarches de la banque centrale sont donc sincèrement vécues comme « injustes, arbitraires et déloyales » par Monsieur Bouamatou, car elles veulent revenir sur les acquis de concussions illégales, établies de longue date, entre intérêts privés et structures de l’Etat.
Le verbiage actuel de l’opposition sur l’instrumentalisation de la banque centrale et des services fiscaux par le président Aziz est sans crédit. Car il y a 10 ans, la même opposition dénonçait les mêmes pratiques (utilisés pour des effets inverses) qui faisaient alors la fortune de BSA et des groupes similaires. Or, on ne peut condamner , un jour des agissements, profiter de leurs effets (se faire subventionner par les mêmes commerçants) et s’insurger le lendemain contre une action qui s’attelle à annuler, en partie, les effets de la politique décriée.
3ème principe : Il a toujours été dans la tradition administrative mauritanienne de générer ou promouvoir ses propres commerçants associés.

C’est cette tradition qui fit du groupe BSA et ceux qui lui ressemblent ce qu’ils sont. On dit dans le pays : « A chaque haut fonctionnaire son commerçant ». Le président Aziz promeut une nouvelle génération de commerçants. Rien de nouveau, donc, sous le ciel mauritanien !Les commerçants promus sous la présidence Ould Taya, considèrent que les mécanismes qui les ont promus, sont devenus injustes et ne doivent plus être reconduits. On les comprend ! Ce serait d’ailleurs, un argument d’intérêt général, si le capitalisme mauritanien, qu’ils incarnent, était un capitalisme industriel. Or c’est un capitalisme de monopole sur les importations et d’intermédiaires et non de production. La substitution d’acteurs, dans ce contexte, a peu d’effet sur la globalité de l’économie.

L’argutie sur le risque de perte de confiance pour les investisseurs étrangers est également faux dans le contexte local. Les groupes mauritaniens seraient indispensables à la confiance extérieure, si leur collaboration relevait de technicités spécifiques ou détenaient des éléments clés dans des chaînes de production de biens ou services du commerce international. Or, pour « faciliter des affaires » en jonglant avec les règles locales non écrites, ’entregent d’un pistonné en vaut un autre !

La confiance en l’investissement, des étrangers en Mauritanie, est fondée sur la dépendance du pays vis-à-vis de l’étranger de façon générale !!

Dans la bataille engagée contre les commerçants arrivés, et qui atteint son acmé avec l’affaire Bouamatou, le président Aziz poursuit un but réellement politique : Le retour à l’équilibre entre le pouvoir de l’argent d’une part et celui de l’administration et de la baïonnette de l’autre. Lui, au moins, a un objectif politique, qui dépasse sa personne et se défend du point de vue de l’intérêt général de l’élite. Que dire de ses opposants, incapables une fois de plus, de se saisir de l’enjeu d’une bataille qui dépasse le devenir de leur carrière personnelle ?


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