mardi 26 mars 2013

16 - 26 Mars 1981 . tentative et exécution

Le 16 Mars 1981, arrivent du Sénégal, à Nouakchott, en land-rovers, les lieutenants-colonels Mohamed Ould Ba Abdelkader et Ahmed Salem Ould Sidi. Tous deux sont d’anciens membres du Comité militaire de salut national, mais ils n’ont pas participé au coup  du 10 Juillet 1978.

Le premier, qui avait commandé l’aviation pendant la guerre [1], s’était exilé et, avant de se fixer au Maroc, avait rencontré en France le président Moktar Ould Daddah, lui aussi en exil. Le second, signataire de l’accord d’Alger rétrocédant la Tiris el Gharbia au Polisario, avait ensuite manifesté son désaccord avec la politique, trop favorable à celui-ci, qu’incarnait désormais son collègue Mohamed Khouna Ould Haïdalla. Il avait passé le fleuve Sénégal à la nage pour lui échapper.

Ould Sidi investit au petit matin, la radio dans le but d’annoncer la constitution d’un Comité provisoire de salut public et d’appeler le Maroc à fournir une aide aérienne. De son côté, Abdelkader se rend à la présidence de la République où doit l’attendre, pour le moins en homme averti sinon en complice… le chef d’état-major Maaouya Ould Sid Ahmed Taya. En principe, le Comité militaire – au complet – y tient sa réunion sous la présidence d’Haïdalla. De neuf à dix heures, violents combats à l’état-major, puis à la radio, enfin à la présidence de la République et au siège du gouvernement. Scenario convenu ? Maaouyia est pris en otage. Mais son adjoint, le commandant Djibril Ould Abdallah (alias Gabriel Cymper) organise la reprise en main. Huit morts. Le colonel Abdelkader tente de se suicider et sa mort est d’abord annoncée. Haïdalla (prévenu par Maaouyia ?) s’était inopinément rendu à Atar ce matin-là.

Attribuant, aussitôt, la tentative au Maroc, le Premier ministre Sid’Ahmed Ould Bneijara annonce l’échec de la tentative de putsch à 16 heures et prescrit le couvre-feu pour 18 heures. Suspension des relations avec le Maroc et fermeture des aéroports de Nouakchott et de Nouadhibou au trafic international sauf pour des arrivées de matériel de guerre (armement anti-aérien avec leurs techniciens) et de personnels « civils » de sécurité fournis par l’Algérie qui organise avec ses Antonov un pont aérien. Alger avertit même Rabat qu’on « s’opposera fermement (à sa) politique d’escalade qui tend à aggraver la tension, à étendre l’aire de belligérance et à porter atteinte à la stabilité et à l’indépendance de la Mauritanie ». Abdou Diouf dément par téléphone à Haïdalla et Bneijara toute implication du Sénégal. Le Maroc est donc visé ; Mohamed Lamine, Premier ministre sahraoui affirme que «  les dirigeants marocains intensifient ainsi leur action de division et d’agression contre le peuple mauritanien frère dans le cadre d’un plan élaboré récemment dans certaines capitales étrangères ». Dans la soirée, le Maroc exprime sa « profonde indignation » et « rejette sur le gouvernement mauritanien l’entière responsabilité de toute détérioration qui pourra survenir dans les relations du Maroc avec le peuple frère de Mauritanie ».

La tentative avortée met donc à nu les contradictions des relations extérieures mauritaniennes depuis qu’a été renversé par la force Moktar Ould Daddah. Elle coincide en effet avec une série de coups de main du Polisario dans l’ancienne possession espagnole, à partir du territoire mauritanien – selon Rabat. Les Marocains l’assurent : « nous ne sommes nullement impliqués dans cette tentative de putsch. Nous avons constaté ces derniers temps une descalade verbale de la part de la Mauritanie. Cela a été encore le cas vendredi dernier avec la mise en garde lancée par le premier ministre de Mauritanie contre le Maroc. M. Boucetta, notre ministre des Affaires étrangères y a répondu samedi dans une déclaration à Radio-Méditerranée Internationale. Nous sommes toujours en faveur d’une coopération franche et sincère avec la Mauritanie. Nous aurions pu l’attaquer quand nous avions douze mille soldats là-bas. Nous ne voulons pas nous immiscer dans sa politique intérieure. En fait, les Mauritaniens ont des différends internes et ils cherchent à les masquer en trouvant un bouc émissaire et en désignant le Maroc ». Le Premier ministre marocain Maati Bouabid précise même que l’asile politique, accordé au colonel Abdelkader « dans le cadre des principes internationaux et en particulier avec son engagement de ne s’adonner à aucune activité politique hostile au gouvernement de son pays » a fait rejeter toutes les demandes d’extradition parce que « l’intéressé n’avait en aucune manière enfreint son engagement » Rien n’y fait. Le lendemain, le Comité militaire décide la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc « après un examen aprofondi de la situation créée par la tentative du Maroc de renverser le régime par une bande de traitres à sa solde qu’il a organisée, entrainée et armée à cette fin » et « engage le gouvernement à poursuivre son action auprès des instances africaines, arabes et internationales afin qu’elles condamnent avec la dernière énergie cette agression caractérisée perpétrée par le royaume marocain contre notre pays ». « Selon le principe de réciprocité », le Maroc rompt alors les relations diplomatiques avec la Mauritanie tout en affirmant aussi que « la France n’est impliquée ni de près ni de loin dans la crise maroco-mauritanienne ». Valéry Giscard d’Estaing est en effet soupçonné d’avoir donné le « feu vert » au roi Hassan II et, à Paris, le quotidien communiste L’Humanité soutient que deux chasseurs français ont été vus dans le ciel mauritanien et que l’un d’eux a été forcé d’atterrir…Le Sénégal, prudent, expulse sept dirigeants de l’Alliance pour une Mauritanie démocratique [2] installés à Dakar, dont Mohamed Ould Jiddou, son président nominal, Abdallahi Ould Sidya ancien ministre et ancien ambassadeur à Moscou et Abderrahmane Ould Moine, ancien ambassadeur au Koweit. Le président algérien, Chadli Benjedid, dépêche à Nouakchott Taleb Ibrahimi, ministre-conseiller à la présidence et le lieutenant-colonel Mohamed Larbi Belkhir, et du 17 au 23 Mars, on compte douze atterrissages d’Antonov à Nouakchott et à Nouadhibou, dont 250 tonnes de munitions pour le seul 23 Mars... C’est un renversement complet des alliances, et la guerre continue, mais contre un autre adversaire qu’entre 1976 et 1978 : une attaque marocaine est désormais la hantise du colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla. Le droit de suite serait exercé en Mauritanie, contre le Polisario, que les forces armées nationales ne pourraient (ou ne voudraient) empêcher de transiter dans l’extrême nord. 

Suspicion et répression se développent aussi à l’intérieur. L’émir du Trarza Habib Ould Sidi, oncle d’Ahmed Salem Ould Sidi, est arrêté. Nord contre sud. Rumeurs de trente arrestations dans le corps des officiers et d’une répression sur un millier de personnes. Le directeur de la sûreté Ahmedou Ould Moichine – qui avait été à ce poste au temps des « événements » de Janvier-Février 1966 – est remplacé par un militaire, le capitaine Mohamed Lamine Ould N’Diayane. Résidant à Dakar, Ismaël Ould Amar – un [3] des civils qui, avec Bneijara, avaient inspiré le coup de 1978, pour se retourner ensuite – analyse : « la tentative de coup d’Etat du 16 mars démontre avec éclat à quelles extrêmités le désespoir peut conduire des soldats perdus. Au-del de son actualité, il ne faut pas oublier que l’événement prend sa source dans les luttes qui se trament depuis plus de deux ans entre factions militaires rivales et qui se sont traduites par des éliminations successives. Ceux qui de l’intérieur ou de l’extérieur aident l’armée à poursuivre ce jeu trahissent l’intérêt de la Mauritanie. Plus que jamais, l’armée doit comprendre l’urgence pour elle d’organiser sa sortie du bourbier politique intérieur où elle s’est laissée entraîner plus longtemps qu’il ne fallait ». L’Alliance pour une Mauritanie démocratique renchérit : la tentative est le « fait uniquement des seules forces patriotiques mauritaniennes, sans aucune aide ou soutien de quelque pays que ce soit …  le régime Haïdalla-Boukhreiss-Bneijara ne doit sa survie qu’aux armes du Polisario et de ses maîtres libyens ».

L’épilogue est sanglant. Siégeant secrètement et à huis clos, du 21 au 24 Mars mais en présence d’une dizaine d’avocats (Agence France-Presse du 24), une Cour militaire spéciale – réunie à Jreida – condamne à mort les lieutenants-colonels Mohamed Ould Ba Abdelkader et Ahmed Salem Ould Sidi, et les lieutenants Moustapha Niang et Mohamed Doudou Seck. Cinq sous-officiers sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité. Et tandis que vient à Nouakchott « pour quelques jours », le ministre sahraoui des Affaires étrangères, Mohamed Salem Ould Saleck, et que commence une opération sahraouie de très grande envergure, depuis le territoire mauritanien, contre Guelta Zemmour (90 kilomètres à l’ouest de Bir Moghrein) [4],  que la rumeur court que des unités du Polisario sont stationnées à Toueila (banlieue de Nouakchott) et dans le nord à Cheggat (60 kms de la frontière algérienne), Bir Moghrein, Dhar, Tijirit, que la sécurité algérienne a une base à Toujounine, les condamnés sont exécutés à l’aube. Un akhbar – encore – fait croire à un simulacre. L’annonce n’est donnée qu’une seule fois, en version arabe à la radio. Plusieurs membres du Comité militaire ont en vain demandé la grâce et Sadam Hussein a envoyé Tarek Aziz s’y associer ; celui-ci atterrit trois heures après l’exécution.

Haute trahison ? mais de qui ou de quoi ? quand pour beaucoup le pouvoir en place semble s’assimiler au Polisario ? Tentative de rétablir la légitimité ? Certitude : l’abandon de la Tiris el Gharbia n’a pas fait sortir la Mauritanie de la guerre du Sahara. Et l’ambiance, à Nouakchott, est – au printemps de 1981 – moins que jamais à rétablir la démocratie.


[1] - seul militaire mauritanien deux fois cité à l’ordre de la nation pour faits de guerre contre le Polisario, il démissionne du C.M.S.N., le 17 Juin 1979, à la suite d’une vive discussion avec Mohamed Khouna Ould Haïdalla, devenu Premier ministre, sur la manière de faire la paix au Sahara

[2] - créée, le 22 Mai 1980, simultanément à Paris, à Rabat et dans plusieurs capitales africaines, par Mustapha Ould Abeïderrahmane et Mohamed Ould Ba Abdel Kader, l’A.M.D. est rejointe le lendemain par Ahmed Salem Ould Sidi ; elle est la jonction des Kadhinines, dont beaucoup s’étaient opposés au Parti unique jusqu’au congrès de 1975, et de la contestation d’une partie des officiers contre l’orientation du Comité militaire, à partir de la mort (accidentelle) du colonel Ould Bouceif

[3] - en position stratégique, à la tête de la puissante S.N.I.M. (Société nationale industrielle et minière, héritière de Miferma)

[4] - on parle de 3.000 hommes

publié par le Calame . 11 Mars 2008

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