mardi 30 octobre 2012

ce que je pense

La Mauritanie depuis le 13 Octobre 2012

ce que je pense aujourd’hui



Chacun agit à sa manière ;
mais votre Seigneur connaît parfaitement
celui qui est le mieux dirigé dans le chemin droit.

Le voyage nocturne 84


Pensées sans ordre, mais que je crois bon d’écrire – avec comme toujours la mise en place et les évidences de certitudes, de blancs à remplir, de conjectures que produit le mouvement de l’écriture s’appliquant à quelque sujet que ce soit – surtout parce que le moment actuel est fugace. Avec comme principale inconnue, pouvant se dissiper d’une heure à l’autre : sa durée. Déjà plus de quinze jours. Fugace mais révélateur de structures subies et dévelopées depuis près de trente-cinq ans.

Le moment tant attendu par les opposants, tant redouté par ceux qu’il faut plutôt appeler les ralliés à Mohamed Ould Abdel Aziz que ses soutiens, car tout s’est fait par ralliement dès le début de la matinée du mercredi 6 Août 2008 (y compris celui du représentant de la France en quelques quinze jours-trois semaines de cet été-là au rebours des premières condamnations prononcées par l’Elysée-même)… ralliés de 2008, de 2009, de 2010 et même de 2011 : les « dialoguistes »… s’est donc produit, exactement comme escompté. C’est-à-dire soudainement, imprévisiblement et il est d’une nature extra-ordinaire. Ni putsch interne aux forces de sécurité ou ouevre de quelques exclus de l’armée, ni action de l’extérieur : AQMI ou autres, ni démonstration irrépressible de plein air, ni engrenage d’une répression débordant tout, ni contestation globale d’une personnalité et d’un système politique. Ces scenarii, la Mauritanie les a tous connus : coups ou tentatives de coup du 10 Juillet 1978, du 6 Avril 1979, du 12 Décembre 1984, du 28 Octobre 1987, du 8 Juin 2003, du 3 Août 2005, du 6 Août 2008 et mouvement du 25 Février 2011.

J’ai lu et relu au début de cet été un récit limpide et fin sur une Mauritanie contestant sa capitale, pleurant ses démocraties du campement et se donnant pour chantres, prophètes et justiciers une jeune fille bafouée et un homme entre deux âges guettant chacun puis ensemble, presqu’au bord de l’oécan, un colonel suborneur et cupide. La mort et le châtiment arrivent par d’autres – par Dieu ? – dans ce texte qui fait honneur à la francophonie d’une Mauritanie se sachant arabe mais concédant une admiration sans pareille pour une ancienne métropole qui le mérita antan. C’est à paraître, mais cela vient de se réaliser en actualité nationale puisqu’il semble acquis que l’attentat, le crime punit non le politique mais la personne pour inconduite. Quoi de pire et quoi de plus inattendu ? Ce qu’admet d’emblée la thèse même officielle : une fusillade hors normes et codes, des sécuritaires ne reconnaissant pas leur chef et le prenant pour cible. Alors pourquoi ? règlement de compte ! Logique du cynisme, la vie privée l’emporte sur la fonction publique.

L’affaire du 13 Octobre et son traitement en communication – ou en déni de communication – depuis qu’elle a eu lieu, révèle ce qui se savait mais laissait perplexe. Comment se maintenait ce régime – né illégitimement, consolidé par sa durée plus que par des élections présidentielles contestées à leur moment, le 18 Juillet 2009, reportées pour les renouvellements parlementaires et municipaux jusqu’à présent depuis les lois étonnantes du 12 Avril 2012 ? et pourtant insensible à tout : scandales de la corruption, désertion des soutiens financiers de la première heure, équipées militaires au mépris du droit international et d’un voisin en osmose ethnique et économique millénaire. Un régime sans soutien qu’un bataillon prétorien ? la réponse est courte. Sera-t-elle donnée par l’historique du parcours et des réseaux de Mohamed Ould Abdel Aziz, natif de Louga, mécanicien de garage automobile puis modeste agent du budget de l’Etat, mis à l’école interarmes d’Atar sans véritable scolarité antérieure par le jeune patron des renseignements des années de braise, inventeur et organisateur de ce fameux bataillon destiné à faire pièce à l’armée régulière et donc devenu par le fait faiseur de rois ? Pas sûr, car ce n’est pas Mohamed Ould Abdel Aziz qui est ici révélé mais une constante de la vie politique mauritanienne : le pouvoir politique tient à très peu. Les Français conquirent et tinrent la Mauritanie avec très peu de ressources humaines métropolitaines ou des territoires voisins. Moktar Ould Daddah comme chacun des commandants de cercle de son époque régna sans armes et davantage par le charme et la personnalité que par la force. Les coups militaires ont – les uns – été déjoués avec pas dix morts, dont certains étaient de purs assassinats perpétrés dans le camp censément agressé, et – les autres – réussi sans usage des armes. Le fait acquis vaut donc loi ?

Avec le recul et même très vite dans son cours, il apparut que le régime de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya avait plusieurs assises : le tribalisme, une réelle appréhension de l’ethnicisme, le renseignement. Des forces aussi : l’homme fort d’alors était patriote et personnellement intègre, ce qui fit des ralliements sincères dans les toutes premières années. Et la faiblesse de tout régime militaire : une forme fruste de la pratique politique, une obsession du complôt, un embarras devant l’évolution sociale du pays en ne discernant qu’un seul remède, l’équipement collectif et individuel : l’alphabétisation, enfin une ignorance totale de l’état de droit. Mais il a duré, à quelques mois près, presque autant que le régime fondateur de Moktar Ould Daddah. Le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz, plus que tous ses prédécesseurs, a méjugé les personnes et a fait jouer les ressorts de la finance. Les systèmes autoritaires ont dévoyé la mémoire nationale, fait oublier aux Mauritaniens les constituants de leur fondation en tant que nation et Etat, empêché chacune des évolutions institutionnelles possibles que recélaient la pratique puis le legs de Moktar Ould Daddah, y compris des solutions pérennes pour le grand ouest saharien. La Mauritanie a cependant tenu. Aujourd’hui, le pays n’est pas en question, son identité plus aisée à ressentir même par un étranger, qu’à énoncer même par un national est certaine. Le choix du futur, puis de l’avenir est libre de contraintes extérieures et intérieures.

Le moment présent est pourtant très difficile parce qu’aucune issue n’a été organisée au préalable. Les agents du destin – anonymes ou paradoxalement impunis – ne commandent que la mort privée de leur cible, nullement le devenir national. Les présidents de la République et du Sénat sont ensemble à l’étranger et il n’est pas communiqué sur leur état de santé respectid : la Constitution (articles 40 et 41) n’a pas prévu ce cumul de défaillances. Les acteurs des décisions à prendre sont donc de fait et peuvent se distribuer en trois classes : 1° les éléments civils du pouvoir en place (Premier ministre, Conseil constitutionnel, conseil des ministres, parlementaires, cadres du parti présidentiel, noria des mouvements politiques ralliés à Mohamed Ould Abdel Aziz), 2° l’armée (non compris le BASEP puisque le grand absent en avait gardé le commandement personnel) sur laquelle semble seul avoir prise l’actuel chef d’état-major national, le général El Ghazaouani, à l’exclusion des colonels hors cadre qui se sont alliés à l’opposition : Ely Ould Mohamed Vall et Abderrahmane Ould Boubakar, 3° la Coordination de l’opposition démocratique dont la présidence tournante est assurée actuellement par le commandant Salah Ould Hannenah, personnalité principale de la tentative très violente de 2003, et aux réunions de laquelle manquent Ahmed Ould Daddah et Ahmed Ould Sidi Baba, vétérans de la politique mauritanienne depuis les années fondatrices de Moktar Ould Daddah.

Comment faire se rencontrer puis s’entendre ces trois groupes ? C’est la difficulté car la copie à rédiger est de dispositif simple. Qu’il s’agisse d’une énième transition dite démocratique faisant table rase des ruines de la façade d’un pouvoir exclusivement personnel, ou d’approcher le plus possible la règle constitutionelle même si sa lettre est – par accident et coincidence – inapplicable, il faut certainement former un gouvernement de consensus national, certainement établir le processus électoral de la révision des recensements et listes électoraux aux garanties de ses bons déroulement et dépouillement, certainement pourvoir aux affaires courantes dont la moindre n’est pas la probable guerre au nord du Mali.

Apparemment, l’armée dans son ensemble, si tant est qu’elle en forme un et que celui-ci soit vraiment connu et des civils et des observateurs étrangers, et son chef, compagnon indéfectible de l’homme fort, le blessé par balles dans la soirée du samedi 13 Octobre 2012 – cette armée et ce chef ne veulent pas perpétuer collectivement le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz ou lui désigner un successeur. C’est la seule donnée à peu près acquise aujourd’hui, puisque l’empêchement du président élu il y a trois ans, le pustchiste d’il y a quatre ans, n’est toujours pas reconnu, même par un communiqué officiel ouvrant la voie aux procédures constituruionnelles. Puisque la Coordination de l’opposition démocratique n’a aucune unanimité, même sur la convocation d’une manifestation de plein air le jeudi 1er Novembre à seule fin de réclamer des nouvelles du blessé. Puisque le Premier ministre, le gouvernement, le Parlement n’ont pas eu depuis trois ans de mouvement propre. Théâtre d’ombres et de muets ? Non, car il semble que chacun des groupes ou éléments du jeu est lui-même divisé en de multiples avis et ambitions.

Alternative, me semble-t-il.

Un jeu redevenant classique entre personnages et rôles déjà éprouvés. Le Comité ou le Conseil militaire formé par la « haute hiérarchie » de l’armée. Des vétérans de la compétition politique : Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir, depuis 1991 au moins. Des émergents depuis une bonne dizaine d’années, principalement : Mohamed Ould Mouloud et Jamil Ould Mansour, personnalités fortes, de culture propre et de représentativité plus large qu’eux-mêmes, la dialectique progressiste, les solidarités islamistes. Des arbitres possibles pour le temps d’une mise en place limitée à un scrutin renouvelant toutes les institutions électives : l’ancien président du prédédent Conseil militaire, Ely Ould Mohamed Vall ; l’ancien chef d’état-major Abderrahmane Ould Boubacar ; l’ancien Premier ministre de 1992 et de 2005 Sid Mohamed Ould Boubacar, cousin du prédédent. Personne ne s’imposant de soi-même dans l’opinion publique ou dans le consensus des forces militaires et civiles, l’inconnu ou quelqu’un du second rang peut soudainement arriver selon l’urgence ou au contraire par la perpétuation du vide apparent de ces semaines-ci.

L’inconnu – en dénominateur commun laborieux – à défaut de trop vieux et habituels candidats ? ou de trop jeunes champions ? 

Pour ma part, je crois que toutes les forces démocratiques et l’armée peuvent administrer au pays une décisive démonstration de l’illégitimité et de l’inefficacité à terme des coups et des dictatures militaires – défroquées ou pas – en confiant à l’élu du 25 Mars 2007, renversé le 6 Août 2008 et sacrifié, avec une triste unanimité, le 1er Juin 2009, à Dakar sous dictée étrangère, la charge d’incarner le moment et le mouvement d’une refondation. Le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi est forcément désintéressé, il ne candidate plus à rien, il est l’opportunité nationale de renouer symboliquement et pratiquement avec le souhait et le rêve de 2005-2007. Présidant un conseil des ministres formé consensuellement entre tous les mouvements politiques et les forces armées, garantissant l’équité et la transparence des nominations et des scrutins nécessaires, inspirant la reprise du traitement des grands dossiers nationaux qui avaient été ouverts en 2007 (l’humanitaire, les réfugiés, l’éradication de l’esclavage), le si noble démissionnaire du 26 Juin 2009 peut signifier dans l’histoire nationale et pour les partenaires étrangers le retour de la Mauritanie à elle-même et à ses fondamentaux. La France qui ne fut pas étrangère à la légitimation du putschiste, se grandira en considérant cette opportunité.

Le pays est nu, ses institutions publiques sont inadaptées, ses forces de sécurité ont été trop souvent dévoyées. Il ne sera réorienté et gouverné pour son bien et à l’avantage de ses partenaires extra-africains comme de ses voisins en Afrique de l’Ouest et au Maghreb que si – cinquante ans et plus après Moktar Ould Daddah – il produit à nouveau, très simplement, un homme ou une femme… incarnant les vertus nationales, bien plus qu’un modèle de gouvernement. La démocratie n’est pas affaire de textes, elle est dans le tempérament et l’éthique personnels de celles et ceux qu’elle porte au pouvoir. La Mauritanie l’a déjà expérimenté – positivement de 1957 à 1978 et a contrario depuis. La démocratie se sabote dans son exercice toujours inexpérimenté à ses débuts – exemple dramatique dont beaucoup furent très factuellement responsables en 2007-2008 – et la dictature se renverse d’elle-même parce qu’elle n’a d’esprit, de ressort que les circonstances l’établissant et la renversant.

J’ai confiance dans l’issue, j’en souhaite précisément une et j’en connais les thèmes et nécessaires, mais je ne sais ni les formes ni les étapes.

Au lendemain de l’Aïd – si fort symbole de toute conversion – comment ne pas prier pour un pays si aimé, attirant et humainement si riche ?

Mon Seigneur !
Fais-moi entrer d’une entrée conforme à la justice,
fais-moi sortir d’une sortie conforme à la justice.
Accorde-moi, de ta part, une autorité qui me protège.

Le voyage nocturne 80                                                                                                            
Bertrand Fessard de Foucault
alias Ould Kaïge
mardi 30 Octobre 2012

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