mardi 11 septembre 2012

publiée par Le Calame, une réflexion sur l'Azawad donnée par Isselmou Ould Abdelkader


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Qui ira en guerre à la place des Maliens ?
par Abdelkader Isselmou


Ceux qui se préparaient ou se préparent encore à aller en guerre, au Nord du Mali, ne connaissent, apparemment, ni le métier de guerrier ni la région en question. Parfois, bien qu’on soit militaire, on peut passer toute sa vie sans jamais tirer une cartouche, mais on doit être au moins capable de tirer une leçon, surtout d’un échec aussi lamentable que celui de notre guerre au Sahara et de nos interventions en territoire malien, depuis 2010. Un de nos proverbes les plus populaires dit que le spectateur d'une bataille peut bien se croire invincible. La guerre, au Nord du Mali, n’est pas une simple promenade, sauf aux yeux de celui qui utilise des hommes qui n’ont aucun lien avec lui. Il nous est, donc, demandé de prendre le temps de réfléchir à la situation qui prévaut dans cette vaste contrée, pour ne pas la bouleverser durablement et aboutir au résultat opposé à celui recherché. 

Les origines d’une crise 

Bien que riche, de par son histoire, sa générosité légendaire et la réputation pacifique de son peuple, le Mali est un des pays les plus pauvres du monde. Particulièrement austère, sa partie septentrionale ou Azawad ne recèle que de maigres ressources, en dépit d’un potentiel touristique inexploité et d’un cheptel relativement important. Cette pauvreté aurait pu être un moindre handicap, si les gouvernements maliens successifs avaient conçu un mode de gestion politique et une organisation territoriale à même de prendre en compte la diversité culturelle d’un tel espace. Il est normal qu’on soit fasciné par le Mali et qu’on souffre de sa situation actuelle, parfois sans comprendre qu’il puisse s’effilocher si facilement, après avoir résisté à tant d’assauts, à travers son histoire millénaire. Aussi ne peut-on s’empêcher de rejeter la responsabilité de ce regrettable état de fait sur les élites de ce pays et sur les régimes politiques qui l’ont géré.  

Les habitants du Nord malien subissent, encore, l’injustice et l’exclusion qui pourraient être le résultat d’une contradiction maltraitée entre deux référentiels culturels différents, ou de la survivance d’un antagonisme de vieille date entre sédentaires et nomades. Que le lecteur me permette, ici, de faire une digression, en relatant un fait, anodin mais révélateur de cette exclusion des habitants du Nord du Mali. 

« En juin 1974, alors que j’étais à la section judiciaire de Néma, j’effectuai une tournée au Mali, précisément dans la zone de Goundam, à la recherche du nommé Cheikh Ahmed Ould Elyass, présumé témoin d’un meurtre dont était accusé un ressortissant des Oulad Allouch, répondant au nom de Boukhreiss Ould Beyatt. J’étais accompagné par le gendarme Mohamed Ould Znagui, de la Brigade de Bassikounou, et par un garde malien que les autorités du cercle de Nioro avaient mis à notre disposition, en application de la convention en matière de coopération judiciaire entre la Mauritanie et le Mali.
A la fin de notre mission, nous passâmes la nuit à la frontière, au niveau de la localité de Léré, en compagnie de notre guide, Mohamed Ould Cheibany, fils du chef général de la tribu azawadienne des Brabich. Cheibany s’assit à côté de moi, près du feu de camp que nous avions allumé, et l’idée me vint de lui poser quelques questions le concernant, pour lui manifester ma sympathie. Au cours de la causerie, j’appris que mon interlocuteur avait onze ans de service et qu’il demeurait sans grade, contrairement à ses promotionnaires bambaras, malinkés et mandingues qui étaient, déjà, promus sous-officiers. Cheibany se détournait, parfois, de la lumière et je finis par comprendre pourquoi : Il avait les larmes aux yeux et voulait m’empêcher de les voir.  
[…] Je fus sidéré  par ce récit, au point d’avoir des difficultés à repousser un profond sentiment, quasiment raciste, qui faillit détruire, en moi, toutes les valeurs que j’avais acquises dans mon pays.  Je fus étonné par la vulgarité de cette injustice que seule la discrimination raciale pouvait expliquer et je sentis un frisson d’orgueil, en me souvenant que, dans mon pays, la diversité ethnique était encore perçue autrement.
In « Mémoires d’un administrateur », du même auteur, en voie de publication.

Je n’ai pas opéré ce détour pour jeter de l’huile sur le feu mais pour montrer que, depuis longtemps et même du temps du Président Alpha Oumar Konaré que j’admire personnellement, les Touaregs et les Maures de l’Azawad se plaignent de leur statut de citoyens de seconde zone. Plus d’une fois, ils ont manifesté leur volonté de séparation de l’ensemble malien. Leur territoire était et demeure abandonné, laissé pour compte à tout celui qui voulait l’occuper et promouvoir son talent de malfaiteur. Les gouvernements des pays limitrophes en ont fait un atelier de fabrication d’explosifs, un laboratoire pour fructifier leur commerce illicite, exiler leurs déviants et expérimenter leur génie de fidélisation des jihadistes repentis. Durant cette période de fermentation, cette région était entourée par des régimes militaires, incapables de vision prospective et uniquement obsédés par le caractère éphémère de leur règne, face à la logique qui conduit au pouvoir. 

De la zone d’Aïn Bentili, au Nord de la Mauritanie, jusqu’à Tombouctou, en passant par le Sud algérien, les gouvernements ont laissé prospérer un trafic d’armes, de cocaïne et de cigarettes dont profitent, encore, bien des milieu influents dans cette région. Ils ont infiltré leurs éléments dans les réseaux existants, pour les contrôler, les diriger et les utiliser, au besoin. Certains ont conclu des accords tacites, avec les groupes terroristes et mafieux, pour bénéficier de leur « générosité » ou de leur indulgence, en attendant la fin de leur règne. D’autres ont compris le jeu des premiers et essayé de montrer aux terroristes qu’ils se sont trompés d’adresse. Ils mènent une guerre, apparemment méritoire, contre le terrorisme, mais on perçoit bien ce qui se cache derrière leur prétendue abnégation. Dans la sous-région, on sait bien qui sert qui et à qui appartient chaque réseau car, dans le désert et, a fortiori, dans la société maure – ou touareg –  il n’y a guère de secret. 

Les vrais responsables de la crise 

D’emblée, on ne saurait reprocher au Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) son légitime désir d’indépendance, à défaut d’une autre solution garantissant aux populations azawadiennes la jouissance de leurs droits. On comprend, aussi, que certains pays de la sous-région continuent leur guerre larvée, par groupes interposés et hors de leurs territoires respectifs. En revanche, on ne peut s’empêcher de prendre pour responsable le Président Amadou Toumani Touré dont le silence et la passivité face aux interventions sur son territoire d’une armée étrangère a encouragé toutes les velléités séparatistes. L’inaction de M. Amadou Toumani Touré a engendré une crise de confiance, profonde, entre lui et son armée, alors que les revers, catastrophiques, de l’armée mauritanienne, en territoire malien, ont fondé le mythe de l’invincibilité des terroristes, aux yeux des soldats des deux pays. En terme de stratégie militaire, c’est un fait déterminant car une armée qui s’estime inférieure à son ennemi ne peut remporter qu’une victoire contre sa propre hiérarchie. C’est pourquoi la démission de l’ex-président du Mali a accéléré le processus de sa propre destitution qui a correspondu avec une étape cruciale de la campagne pour l’élection présidentielle française. L’événement était apparemment banal mais il ne l’est guère car il augure une époque où il sera possible de commanditer une entreprise diabolique de dislocation d’un État indépendant, rien que pour les besoins d’une campagne électorale passagère. De tels objectifs sont, hélas, faciles à atteindre, puisqu’en Afrique, l’Etat issu de la décolonisation a épuisé toute sa marge d’évolution. Il suffira, désormais, de plus de folie que de moyens pour faire disparaître n’importe quel Etat de l’Afrique subsaharienne. 

Tout le monde l’a compris et personne n’a pu dénoncer les vrais auteurs, à peine voilés, de cette intervention qui constitue un précédent dangereux pour tous les États. On a compris que, pour se faire réélire, le président d’un grand pays avait besoin d’un président d’un petit pays, expérimenté et fidèle, pour sacrifier un troisième président. Que cette entreprise détruise un empire millénaire n’émeut personne. Que l’armée malienne soit humiliée, en voyant un capitaine piétiner des centaines d’officiers supérieurs, ne fait mal à personne.  

Des résultats inattendus 

A l’exception du MNLA, ceux qui ont participé à l’éclatement du Mali n’étaient nullement mus par le désir d’aider le peuple touareg à accéder à l’autodétermination. Ils ont couru derrière une vaine gloire, afin de légitimer ou prolonger leur règne. Mais en agissant ainsi, ils ont tous commis une erreur, fatale, d’appréciation, en faisant confiance à des forces politiques dont la gestation demeure inachevée. Pour prendre d’assaut les citadelles, il ne suffit pas toujours que la lutte soit longue, que la cause soit juste et que les sacrifices consentis soient immenses. Parfois, on renonce à prendre le pouvoir, parce qu’on est incapable de résoudre les problèmes posés aux populations ou parce que des contradictions peuvent éclater, à l’intérieur des forces assaillantes. Dans certaines circonstances d’immaturité des conditions, l’assaut est plus mortel pour les forces révoltées que pour leur ennemi. C’est exactement ce que nous avons déjà enregistré à l’issue des tentatives menées pour déloger les groupes terroristes au Nord du Mali. Soulignons, encore une fois, que l’échec des interventions militaires, mal préparées et mal dirigées, a renforcé, considérablement, les terroristes. Il est, même, à craindre que, si le MNLA essuie un revers, dans la situation actuelle, il installera le doute au sein de ses populations et incitera ses militants à démissionner ou à rejoindre les mouvements extrémistes. Le défaitisme et la fuite en avant sont deux résultantes, inévitables, de toute aventure politique. Ce sont, aussi, les deux conséquences de la politique de l’ancien locataire du palais de l’Elysée et de ses suppôts locaux, qui ont transformé la lutte contre le terrorisme en un simple jeu d’enfant, une monnaie de change sur le marché électoral et un alibi pour destituer des présidents démocratiquement élus. A l’occasion, ils ont fait, de l’Azawad un champ de bataille pour développer leur génie de profanes, en matière de guerre et de géopolitique. 

Le MNLA en a fait les frais. Il a, certes, remporté une victoire éclatante contre une armée malienne en déconfiture, mais les gouvernements qui lui ont promis monts et merveilles lui ont tourné le dos, après s’être rendu compte de la gravité de leurs erreurs. Malgré tout, ces gouvernements ont continué, jusqu'à la chute de leur chef de file, à user de leur influence pour qu’à l’occasion des forums sous-régionaux, le tapis rouge soit déroulé devant ceux qui ont fait éclater le Mali.

La tâche du MNLA sera encore plus rude car il devra négocier, laborieusement, un nouveau statut, affronter la pieuvre des organisations terroristes dont le moral est au zénith, pour avoir été immensément renforcées. Il aura à  reconstruire tout ce qui a été détruit, dans les grandes villes, et rehausser le moral des populations du Nord du Mali, pour qu’elles continuent à espérer en un avenir meilleur. La communauté africaine et internationale a perdu ce qui restait de sa crédibilité, en se montrant incapable du moindre geste. Elle gesticule devant un choix parmi les plus difficiles de son histoire, car elle ne peut ni agir contre la volonté d’un peuple qui a souffert de l’exclusion et qui tient à exercer son droit à l’autodétermination, ni reconnaître l’indépendance de l’Azawad, alors qu’aucun pays du continent n’a pu gérer sa propre diversité.   

L’on constate, enfin, qu’en revenant à la période où l’ancienne puissance coloniale commanditait les coups d’Etat à loisir, l’Afrique s’éloigne des rivages éclatants de la démocratie que la Baule avait fait miroiter, au temps des grands visionnaires. Le rêve démocratique que les Africains naïfs caressaient et le discours étendant le bénéfice du libéralisme à tous les peuples du monde, sans distinction, sont devenus des cauchemars. La France et son hymne envoûtant sont, désormais, ensevelis sous la cendre d’offrandes, discrètes mais connues, qui dégagent l’odeur du sang et de la sueur des peuples africains à nouveau asservis! Si la démocratie n’est pas faite pour répondre à nos besoins d’émancipation et de développement, vers où nous retournerons-nous ? Ne serons-nous pas tentés de nous réfugier dans un islamisme généreux et revanchard, après avoir constaté que le communisme est une simple vue de l’esprit ?

Les forces en présence 

Les forces en présence dans l’Azawad sont connues, à l’exception des réseaux de trafiquants qui noyautent tout, y compris les États eux-mêmes. Le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), né de la fusion de trois factions, est essentiellement constitué de Touaregs ayant une longue tradition de lutte contre le gouvernement central du Mali. De nombreuses rébellions de ces populations ont émaillé l’histoire du pays, depuis son accession à l’indépendance et, même, depuis que les Français avaient presque échoué à y maintenir les régions du Nord. Il est donc injuste, voire dangereux, d’ignorer le MNLA, cet héritier d’une longue tradition de lutte, sous prétexte qu’il existe d’autres impératifs liés à l’existence de l’État du Mali. Ce serait, même, une grave erreur de négliger le rôle que ce mouvement peut jouer, dans le cadre d’une stratégie de lutte contre le terrorisme. La contribution probable et nécessaire de ce mouvement, à la lutte contre un tel fléau, ne peut échapper qu’à ceux qui ignorent le caractère réfractaire de la société targuie à tout islamisme rigoureux, opposé aux pratiques rituelles animistes qui forment le substrat culturel des Touaregs.  

Les tribus arabes ou maures ont joué un rôle ambigu, dans le conflit de l’Azawad : elles ont une aversion pour les Touaregs, mais elles ne souffrent pas moins de l’exclusion. Le Front National de Libération de l’Azawad (FNLA) qui déclare les représenter est tiraillé entre les devoirs de fidélité à la Mauritanie qui abrite, souvent, ses dirigeants et de solidarité avec les Touaregs, au nom de l’appartenance à la même aire géographique. La nébuleuse islamiste forme une construction à plusieurs étages dont le plus apparent est squatté par Ançar Dine, un mouvement logiquement attaché à l’unité du Mali et qui est, selon toute logique anthropologique, plus sensible à l’assabiya, au sens khaldounien du terme, qu’aux rapports avec la religion. Sur le plan pratique, on devrait, donc, pouvoir trouver le moyen de faire une distinction entre ces étages et élargir, au maximum, l’éventail des parties à un éventuel dialogue de sortie de crise. Il semble, en effet, que toutes les voies autres que celle du dialogue conduiront au résultat contraire à celui recherché.
  
Les dangers d’une intervention militaire par procuration 

Sur le plan socioculturel, l’Azawad est au centre d’une aire géographique où se sont succédé de nombreuses formations royales à travers l’histoire. Il fonctionne comme un moule où se croisent des populations d’origines arabes, africaines, berbères, juives et européennes. Sa vacuité et sa faible densité n’ont d’égal que la force et la rapidité avec lesquelles ses ondes de choc peuvent se propager et ébranler tout ce qu’il y a autour de lui. La délicatesse avec laquelle il faut traiter les problèmes d’instabilité de cette région tient au fait que ses populations maîtrisent l’art de l’évanescence et en font une arme qu’elles utilisent à merveille. La tenue des hommes ressemble à celle de l’eau dans la paume de la main. Les administrateurs territoriaux recommandent, souvent, d’éviter de contraindre les hommes du désert, de les poursuivre ou d’essayer d’en contrôler les mouvements. Cette réalité laisse se profiler le premier enjeu d’une action militaire qui ne manquerait pas de révéler le caractère éphémère des États de la zone, y compris ceux qui se croient exemptés des revers de cette fragilité congénitale dont souffrent, à des degrés divers, toutes les anciennes colonies d’Afrique.  

Cette généralisation peut, quelque part, froisser des nationalistes et on doit leur présenter des excuses, même s’ils ont tort de croire que l’importance des ressources de leur pays peut les protéger contre la déstabilisation, au cas où la guerre embraserait le Sahel. Le danger de la propagation du wahhabisme dans la région est d’une gravité inimaginable pour tous ses Etats ou se trouvant à sa proximité. Les peuples y ont embrassé le malékisme qui constitue, pour eux, un patrimoine culturel, social et religieux commun. Ils ont construit, sur ce système, toute la logique de leurs rapports publics et privés et c’est à travers lui que l’Islam s’est propagé en Afrique, surtout après avoir choisi, pour vecteur, les confréries religieuses (Kadiriya et Tijaniya). Ce vecteur a permis à l’islam de s’accommoder, admirablement, du substrat culturel animiste des peuples d’Afrique de l’Ouest et c’est la raison pour laquelle les extrémistes salafistes s’attaquent à ses symboles au Nord du Mali et en Libye. Il en résulte que le changement de rite, dans cette vaste zone, réveillera, très probablement, les antagonismes séculaires, entre sunnisme et chiisme, et ouvrira, à ce dernier, de nouvelles perspectives, inespérées. Cette fenêtre est d’autant plus effrayante qu’elle pourrait offrir l’occasion à d’autres religions qui ne manqueront pas de tirer profit d’un tel bouleversement. Ce n’est donc pas pour rien que la destruction, par Ançar Dine, des mausolées de Tombouctou doit, en toute logique, susciter une joie discrète, dans des milieux aussi divers qu’antagoniques. 

Dans ce contexte, on ne peut guère savoir quelles seront les alliances, en cas d’intervention militaire. L’Azawad est plus difficile à lire que l’Afghanistan, son paysage est moins accessible, sa carte religieuse moins claire, sa sociologie est infiniment plus complexe, à cause de sa mosaïque raciale et tribale. De telles réalités suffisent pour montrer le caractère hasardeux d’une guerre éventuelle dont les acteurs n’auront aucune motivation à la mener. Les Européens n’enverront pas leurs fils à la mort, parce que des Africains ont été idiots et incapables de gérer leurs propres différences. Les Africains ne tiendront pas, des années, là où les Maliens n’ont pas pu tenir quelques heures. On ne peut pas attendre, des soldats mauritaniens, qu’ils combattent pour refaire l’unité du Mali, alors qu’ils n’ont pas pu faire celle de leur propre pays, durant la guerre du Sahara. À supposer qu’il y ait des volontaires, pour mener cette guerre par procuration, il n’est pas sûr que les Maliens puissent prendre la relève, une fois leur pays réunifié. Le proverbe africain dit qu’on peut mettre la grenouille sur ses pattes mais on ne peut jamais éviter qu’elle ne retombe, une fois qu’on la relâche. De là, apparaît le danger d’une intervention militaire non planifiée et exécutée par l’armée malienne dont l’honneur est fortement mis à l’épreuve.  

Dans un autre ordre d’idée, aucun État limitrophe de la zone ne devrait s’estimer capable d’échapper au démon de la tentation séparatiste. L’une des premières conséquences d’une intervention militaire en Azawad pourrait être la déstabilisation, voire la dislocation de la Mauritanie, pour plusieurs raisons. Ce pays est dirigé, depuis plus de trente ans, par des juntes militaires qui se sont avérées incapables d’y réaliser le moindre consensus national, si l’on excepte la période de transition, entre 2005 et 2008. Dans son corps social, sont apparues des fissures, épousant des contours ethniques et mettant à nu les antagonismes d’une société plurielle, féodale et esclavagiste, qui hiberne, désormais, sous le vernis d’un libéralisme économique mal compris. Les groupes extrémistes opérant dans l’Azawad y ont de nombreuses attaches et l’utilisent toujours comme un centre de recel, de formation et de recrutement. Les écoles traditionnelles sont incontrôlées, ce qui leur a permis de former de nombreux essaims de salafistes. Les groupes agissant au nord du Mali ont recruté des centaines de jeunes, issus de toutes les régions du pays, en particulier celles  de l’Est qui n’ont été rattachées, à la Mauritanie qu’en 1945 et qui sont frustrées d’avoir été négligées par les gouvernements successifs. La situation, dans cette partie du pays, est donc telle qu’il est très probable qu’en cas de guerre totale dans l’Azawad, les groupes extrémistes se retournent contre la Mauritanie où ils ont les meilleurs appuis. 

Sur le Niger, les conséquences d’un conflit dans l’Azawad pourraient être moins graves, pour deux raisons essentielles. Ce pays a pu retrouver un régime civil capable d’assurer son unité sur des bases consensuelles. Il a entamé  une meilleure stratégie de gestion de sa pluralité culturelle, en accordant, aux Touaregs, plus de place dans son système politique et administratif. Néanmoins, ce pays n’est pas à l’abri d’une déstabilisation dont l’onde de choc pourrait atteindre l’Algérie, le Tchad et la Libye. 

Les choix qui s’offrent à la communauté internationale 

Il est indispensable que le MNLA accepte de revenir à la case de départ, ce qui lui impose une forte dose de réalisme et de courage politique. La victoire qu’il vient de remporter, contre les troupes de l’armée malienne, ne doit pas lui faire perdre sa raison et sa lucidité car la réalité  de l’Azawad s’est révélée plus complexe qu’on ne le pensait. On s’est, subitement, rendu compte de la force des groupes islamistes, dopés par l’indifférence de M. Amadou Toumani Touré et par les graves erreurs tactiques commises par M. Mohamed Ould Abdel Aziz. 

Le MNLA doit s’inscrire davantage dans une perspective à long terme de lutte contre le terrorisme et se rendre à l’évidence que les choix qui s’offrent à lui sont limités. Il doit comprendre qu’il n’a même pas intérêt à accéder à l’indépendance,  à un moment où il sera incapable de résoudre les contradictions inhérentes à une société tribale, confrontée, pour la première fois, aux exigences de la construction d’un l’État. Sa proclamation d’indépendance est théoriquement concevable, moralement soutenable et pédagogiquement opportune, même dans un monde où prévaut la logique des États. Mais il est incertain, dans les circonstances actuelles, que l’indépendance de l’Azawad serve, nécessairement, ses populations. Les groupes extrémistes profiteront plus de cette opportunité car ils en ont les moyens matériels et financiers. Ils ont, aussi, une certaine influence, dans la société targuie et des complicités dans les pays limitrophes.  

D’autre part, le gouvernement malien, les forces politiques et les organisations de la société civile malienne doivent se rendre à l’évidence que le retour de l’Azawad à son statut antérieur est inenvisageable et, à la limite, ne sert pas le Mali, dans sa globalité. Ils doivent prendre en considération certaines réalités, dans le cadre de la recherche d’une solution à ce douloureux conflit qui dure depuis près d’un siècle. Les Touaregs veulent gérer librement leur propre destin, en faisant valoir leur identité à la face du Monde. En Algérie, ils sont incapables de s’exprimer, à cause de la pesanteur de l’État. Au Niger, ils ont obtenu des concessions suffisantes pour émousser, provisoirement, leur ardeur. Au Mali, les multiples accords, entre eux et l’État central, n’ont pas été exécutés, faute de moyens, d’imagination et de témérité politique. Ils posent un problème qui demeure entier, à la différence de celui des Kurdes qui ont arraché un statut d’autonomie dans un des pays où ils se répartissent. Le Mali est, certes, différent de l’Irak ; il est dépourvu de ressources et ne peut faire face aux exigences d’une stratégie d’aménagement du territoire, susceptible de réduire l’écart entre le Nord et le Sud. Il est si vaste qu’il ne peut contrôler sa partie septentrionale, sans s’exposer aux dangers de rébellion au Sud. L’armée malienne souffre d’une contradiction mortelle. Si elle se diversifie, au sens ethnique du terme, elle court le risque de conflits internes ; en adoptant la solution contraire, elle apparaît, aux yeux des Azawadiens, comme un corps étranger. 

Des considérations ci-dessus apparaît la nécessité d’exclure les alternatives extrêmes, même si l’on comprend qu’elles soient le point de départ de tout dialogue ultérieur, entre les parties en conflit. Mais on doit finir par écarter aussi bien l'option d’indépendance de l’Azawad que celle de son retour au statut antérieur d’entité territoriale, même décentralisée dans les limites fixées par la présente Constitution du Mali. 

Ces repères nous permettent de toucher le fil d’aplomb d’une solution possible : la seule qui vaille, selon toute logique, et que les Maliens doivent accepter, s’ils ont encore la moindre parcelle d’intelligence. Cette solution doit cerner les objectifs respectifs des parties en présence. 

Les Touaregs cherchent un statut, inédit, leur assurant d’être des citoyens à part entière, de bénéficier de la rente du pouvoir, dans les mêmes conditions que les autres composantes ethniques et de promouvoir leur identité  culturelle.

Le gouvernement central du Mali cherche à obvier aux déchirures, douloureuses, de son tissu humain, à assurer son unité territoriale, à préserver sa richesse culturelle et sa vocation de pays-carrefour.

Au vu des objectifs des parties en conflit, il s’avère que les Azawadiens doivent se contenter d’un statut d’autonomie renforcée. Ils auront un gouvernement provincial qui leur apprendra à se gérer et à mobiliser des ressources pour leur développement. Ils pourront promouvoir leur patrimoine culturel spécifique et consacrer leur génie à leur territoire. 

Le gouvernement central du Mali se limitera aux grands aménagements, ainsi qu’aux missions de souveraineté et d’exploitation des ressources minières et pétrolières. Les structures publiques du territoire autonome de l’Azawad ne participeront, à la lutte contre le terrorisme et les réseaux de trafiquants, qu’à titre d’auxiliaires du gouvernement central auquel reviendra le rôle de réunir les moyens de sécuriser et d’assainir son espace.

Cette solution requiert l’organisation d’un référendum visant à modifier la Constitution du pays, de manière à prévoir la possibilité de fonder des territoires autonomes, à fixer les conditions de cette autonomie et à définir les modalités électorales des autorités qui auront à la gérer.  

Ainsi, le peuple malien aura donné une leçon supplémentaire de sagesse et de démocratie, en ouvrant un nouveau chapitre, en matière d’organisation des États, de manière à prendre en compte la diversité culturelle de leurs peuples et la spécificité de leurs territoires. Il restera à identifier les parties à convier à cette consultation qui gagnera à s’élargir, au maximum, afin qu'aucun acteur potentiel ne se sente exclu. Outre le gouvernement central du Mali, toutes les forces politiques de l’Azawad devront y prendre part, y compris les groupes extrémistes qui acceptent le principe du dialogue, comme mode de résolution des conflits. Agir autrement, pour résoudre la crise malienne, sera la meilleure voie pour l’éloigner de toute solution durable et pour renforcer les tendances ténébreuses qui infectent le Sahara et le Sahel. 

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