jeudi 6 septembre 2012

compte-rendu du livre de Mohamed Saleck Ould Mohamed Lemine, ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération

publié par Le Calame - mardi 4 Septembre 2012 .
www.lecalame.info

voir aussi sur ce blog. à la date du 29 Août, des notes de lecture, et à celle du 1er Septembre des correspondances échangées à propos de ce livre -  prochainement mises en ligne 



" L’espérance déçue
2006-2008 : une démocratie sans lendemain "

par Mohamed Saleck Ould Mohamed Lemine,
ministre des Affaires Etrangères du 1er Mai 2007 au 6 Mai 2008

L’Harmattan . Paris – Mai 2012 – 264 pages



L’exemple de Moktar Ould Daddah, le fondateur, n’a guère été suivi – en Mauritanie, en Afrique et dans la nation arabe – ni en politique, ni en compte-rendu et mémoire personnels d’un exercice du pouvoir [1], sauf par un ancien Haut-Commissaire à l’O.M.V.S.. Le seul fait qu’un ancien ministre s’acquitte de ce devoir envers ses contemporains et pour l’histoire [2] mérite déjà l’estime mais quand l’exercice est mené en présentant chaque question avec une grande expérience professionnelle, la précision des dates et des noms, la synthèse vécue des principales relations de la Mauritanie, quand est montrée en de très nombreuses occasions la relation du président de la République avec le responsable du domaine qui lui est le plus réservé, quand enfin est analysé sobrement l’importance du moment, le premier depuis la rupture désastreuse de 1978, où la Mauritanie retrouve prestige et crédibilité parce que la transition démocratique ouverte en 2005 a abouti à une élection incontestable et à des programmes et engagements gouvernementaux salués par tous les partenaires politiques et bailleurs de fonds…, il faut apprécier.

Je l’ai fait.

Quoique parfois un peu pédant par d’inutiles références à des auteurs auxquels le lecteur sera étranger, Mohamed Saleck Ould Mohamed Lemine témoigne de la qualité des formations dispensées par l’Ecole nationale d’administration de Mauritanie [3]– ce qui est peu su – alors même que « la Mauritanie est probablement le seul pays au monde où la diplomatie n’est pas considérée comme une profession » [4]. Qu’il ait été choisi, sur dossier pourrait-on dire,  conjointement par le président de la République, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, qui ne le connaissait pas mais avait lu de lui une note ne laissant pas de doute sur ses qualités, et par le Premier ministre, Zeine Ould Zeidane, avec lequel il n’avait aucun lien que la naissance de même époque à Tamchakett, témoigne d’un excellent discernement politique. Bien relationné dans les milieux diplomatiques et gouvernementaux où le pays doit être représenté [5], le nouveau ministre qui présidait la CNUCED [6] à son entrée dans le premier gouvernement de la démocratie, aurait eu à son actif s’il n’avait été mis fin à celui-ci et si le coup militaire n’avait pas aussi vite suivi, 1° l’élection de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi comme président en exercice de l'Union africaine et 2° le retour de la Mauritanie au Conseil de sécurité, plus de trente ans après en avoir fait partie [7]. Et surtout la mise au point de l’outil diplomatique en missions, en ressources humaines, ce pour quoi Mohamed Saleck avait toute la compétence requise et le complet appui du Président, à deux points près : la prébende des attachés militaires et l’animation culturelle des Mauritaniens établis au Sénégal [8].
 
L’écrit et la réflexion de l’ancien ministre font connaître – sans doute pour la première fois, de façon aussi complète mais synthétique – le fonctionnement mental et pratique de l’Etat mauritanien. Ils font aussi l’inventaire détaillé des objets et des partenaires de la politique extérieure du pays : l’exercice n’était jusques là que partiel et universitaire.

Mohamed Saleck veut l’intimité de travail avec le président de la République et l’obtient [9]. Il veut aussi que cette fonction présidentielle soit restaurée authentiquement [10]. Il sait que la Mauritanie est très généralement mal connue à un point qui ridiculise souvent ses interlocuteurs mais pose tout le problème de la communication et de la propagation d’une image nationale. Il a conscience d’une mentalité ambiante forcée par la rupture des dialectiques fondatrices antérieures au coup de 1978 [11]. Il est donc connaisseur et exigeant. Il ne parle que du Président et factuellement. Pas de portrait psychologique ni de celui-ci, ni du Premier ministre, ni des collègues, ni du futur tombeur au point même qu’il fait de Mohamed Ould Abdel Aziz une création des erreurs commises [12] ou maintenant un gouvernant qui ignore ce dont il décide [13]. S’il rapporte ses désaccords avec Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, il les garde pour lui ou pour le seul Président. La manière avec Bouteflika puis avec Khadafi (qui exerce sur son nouveau partenaire mauritanien le même chantage que tenta Boumedienne sur Moktar Ould Daddah à Béchar en 1975, et fait donc tenir par le président Sidi la même fière attitude d’indépendance nationale et personnelle) [14]. Le traitement de la question des réfugiés, le Président arbitrant pour Yall Sakaria, le ministre de l’Intérieur [15]. Un vote international névralgique pour Cuba, le ministre souhaitant que Nouakchott ne rompe pas avec sa propre jurisprudence [16]. La communication présidentielle mettant, précisément en jeu, plusieurs instances et personnes, il en relève les dysfonctionnements graves [17]. mais l’ensemble de ces critiques, fondées pour le lecteur, entre dans la dialectique d’un rodage de la nouvelle gouvernance mauritanienne à laquelle chacun des responsables doit participer ouvertement. En creux et souvent, le ministre donne caractère, erreurs et décisions de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, envers qui il n’a que l’obligation du haut fonctionnaire [18] mais dont il reconnaît l’indépendance personnelle et la vigilance. 
Sur des questions de fond, donc sur les défis que doit relever le pays dans ses relations internationales, les exposés de Mohamed Saleck sont des leçons magistrales qui n’ont de précédent que les chapitres correspondants des mémoires de Moktar Ould Daddah : partenaires du Maghreb, Union africaine, Union européenne et ancienne métropole (la relation de la visite officielle du Président en France est savoureuse, même étonnante en ce qui concerne le président Sarkozy), Union africaine entre Afrique du sud et Libye, coopérations avec la Chine, le Japon, le Brésil, l’Allemagne. Ce que le président de la République a pu ressentir comme un penchant pour le Polisario, n’est pour le ministre qu’une exhortation à réfléchir en profondeur à l’ensemble de ce qu’a posé, perdu, agi la Mauritanie [19]. De ces notations, ressortent deux convictions : l’acceptation par le président Sidi, voire sa provocation d’avis, de rédactions d’esquisses multiples ou uniques et en regard sa fermeté intellectuelle, l’indépendance de sa démarche. Cela vaut aussi bien pour la conduite de la politique et des relations internationales de la Mauritanie que pour des sujets, interministériels par nature, comme l’incrimination de l’esclavage, le retour des réfugiés, à propos desquels le ministre des Affaires Etrangères n’est qu’un des acteurs.

Aussi bien sur l’élection de Mars 2007 et ce qui la précèda avec le Conseil militaire pour la justice et la démocratie, que sur l’interruption du gouvernement de Zeine Ould Zeidane puis de la présidence de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, Mohamed Saleck n’est ni acteur ni témoin privilégié. Son analyse apporte plus par sa formulation que par son originalité, mais personne avant lui ne l’avait systématisée à ce point. Les personnes sont moins mises en évidence que deux faits : le tribalisme instrumentalisé sciemment depuis 1978 [20] et triomphant aujourd’hui, la disparition de l’armée nationale en tant que telle ! [21]

Lu comme un grand témoin pour le domaine dont il avait reçu la charge et un philosophe de l’histoire immédiate pour les trois ans qui firent passer la Mauritanie d’une dictature à une autre, malgré tous les éléments pouvant faire augurer de tout autre chose, dont la démocratie et la renaissance, Mohamed Saleck Ould Mohamed Lemine appelle, au niveau supérieur, le même effort pour la mémoire et le débat d’Etat : les Premiers ministres dont celui qui servit le régime autoritaire et la transition démocratique, Sidi Mohamed Ould Boubakar, et ceux nommés par le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Ce dernier a déjà esquissé un bilan à main levée de son exercice des responsabilités suprêmes dans ces colonnes (Le Calame – 15 Octobre 2008) : son ancien ministre le valide explicitement [22], ce qui fait bien augurer de la rédaction à laquelle s’attache maintenant l’ancien président de la République, dans l’esprit de son exhortation lors de son premier conseil des ministres, le 2 Mai 2007. Il avait donné « l’exemple des deux périodes où il a appartenu lui-même au gouvernement en justifiant les succès enregistrés lors de sa première expérience par la collégialité qui prévalait au sein du gouvernement du président Moktar Ould Daddah. Il a affirmé que ce fut le contraire durant le règne du président Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya » [23]. Celui-ci, muré dans une inaccessibilité même vis-à-vis des siens, ne sert personne, et certainement pas lui-même, en ne plaidant pas ses vingt ans de pouvoir absolu.

Bertrand Fessard de Foucault





[1] - La Mauritanie contre vents et marées (éd. Karthala . Octobre 2003 . 669 pages) disponible en arabe et en français

[2] - il en a conscience : "J'espère ainsi contribuer ainsi à fonder une nouvelle tradition qui permettra aux générations futures d'être mieux édfiées sur l'histoire de leur pays à travers la relation qu'en font ceux qui ont eu à assumer des responsabilités nationales. Je sais que, ce faisant, je me livre à un exercice délicat car il n'est pas facile de se juger soi-même ni de juger ceux avec lesquels on a collaboré. Mais nul n'est mieux placé cependant que les acteurs d'une période donnée pour en rendre compte." - pp. 14-15

[3] - la passation de service le 1er Mai 2007 avec Ahmed Ould Sid’Ahmed s’est vécue entre un ancien directeur de l’E.N.A. et l’un de ses anciens élèves en 1984

[4] - p. 189 – la première promotion du cycle diplomatique à l’ENA, ouvert à la demande de Dahane Ould Ahmed Mahmoud alors ministre des Affaires Etrangères, fut accueillie par son successeur Ahmed Ould Minnih, après une longue attente, par cette affirmation que dans un ministère de souveraineté « le seuil ne doit être franchi que par une personne jouissant de la confiance du pouvoir ce qui ne peut pas être le cas lorsqu’il s’agit de fonctionnaires recrutés par concours », p. 190

[5] - il a déjà pratiqué le futur ministre français des Affaires Etrangères Bernard Kouchner en le favorisant, et Louis Michel, ministre belge et surtout futur commissaire européen au Développement ; il sait l’admiration de Romano Prodi pour le processus mauritanien et l’estime particulière de l’émir du Koweit pour le futur président Sidi

[6] - le 3 Août 2005, il était vice-président, aux Nations Unies, de la Commission des droits de l’homme et défendit ensuite celle-ci contre la mûe que proposait Koffi Annan, alors secrétaire général

[7] - pp. 69 & 133-138

[8] - pp. 207-210

[9] - p. 21 – " J'ai tout de suite choisi de traiter directement avec le président de la République, sans intermédiaire au sein de son cabinet, afin de resaurer l'autorité du ministre et le rôle du ministère. Au début, il a toujours été très disponible et très réceptif à mes propositions. Nous nous voyions régulièrement, y compris le week-end  "

[10] - p. 210-211 – " Le contexte dans lequel j’ai assumé mes responsabilités ministérielles était réellement favorable aux réformes. Pour la première fois dans son histoire, la Mauritanie s’était dotée d’institutions réellement démocratiques. Le président était un homme bien éduqué, digne et expérimenté. Il avait choisi un Premier ministre compétent, dynamique et dévoué à sa mission … J’avais proposé au président dès les premiers jours des mesures symboliques pour marquer à la fois la solennité de la fonction présidentielle et la légitimité qu’elle venait d’acquérir . "

[11] - p. 15 – " Nous souffrons, par rapport à beaucoup de maux qui rongent notre société, d'une forme de pudeur voire d'amnésie collective qui risque, à long terme, de nous porter de graves préjudices. "

[12] - p. 221 – " Il a formalisé la stature politique de son chef d’état-major particulier en acceptant de négocier avec lui. "

[13] - p. 169 – " Ould Abdel Aziz et son gouvernement ignorent la typologie des Bureaux des droits de l’homme et ne connaissent même pas la nature de la structure qu’ils ont autorisée. "cf. l’accord de Septembre 2008 ( !) avec le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à propos de la discrimination raciale, de l’esclavage et de l’impunité

[14] - pp. 37 & 59-60

[15] - pp. 178-180

[16] - p. 148

[17] - énumération non exhaustive : - la gestion-communication de l'attentat du 24 Décembre 2007, p. 95 - l'interview pour Al Jazeera (diffusion 13 Avril 2008) pp. 150-151 fondé seulement sur l’absence d’observation du Président pour un texte que propose son cabinet - l'entretien paru dans Jeune Afrique des 4-10 Mai 2008, p. 151 : ce ne sont pas les réponses suggérées par le ministre des Affaires Etrangères - le fait et la genèse du discours du 29 Juin 2007, la version choisie lui paraît celle du ministre de l'Intérieur contre la sienne, pp. 178-180
 
[18] - p. 6 – " Un ambassadeur n’a pas à manifester son soutien au chef de l’Etat car il appartient à son appareil et son soutien doit se manifester à travers l’acquittement de ses obligations professionnelles … Je sers mon pays, ses institutions publiques et son intérêt général et je ne peux pas concevoir qu’un fonctionnaire qui accomplit son travail, dans la profession pour laquelle son Etat l’a formé et engagé, soit tenu de manifester en permanence son allégeance au pouvoir politique. "

[19] - pp. 153 à 156

[20] - p. 241 – " La politique initiée par Ould Taya et institutionnalisée par Ould Abdel Aziz encourage en réalité l’éclatement de la société et sa division en tribus, clans et ethnies au lieu de favoriser la construction d’une Nation unie et solidaire. Les structures traditionnelles sont réactivées et transformées en réseaux de clientèle et de redistribution de prébendes au profit d’une infime minorité tandis que l’immense majorité des citoyens est maintenue dans le besoin et la soumission. Cette politique sape progressivement les fondements poliriques, civilset éthiques qui assurent la pérennité et la cohésion de toute société. Cette hétérogéneité sert en revanche le despote qui, d’un côté, renforce son propre clan et, de l’autre, empêche l’émergence d’une alternative crédible. "

[21] - p. 233 – " Sidi Ould Cheikh Abdallahi a certes hérité d’un Etat sans institutions et d’un pays où les valeurs qui régissaient jadis la société étaient dans un état de dépérissement avancé. Cette triste situation était la conséquence directe du règne militaire et en particulier de la gestion du pays par l’officier qui était resté le plus longtemps au pouvoir. Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya est un homme intelligent mais il avait placé sa pérennité au pouvour au-dessus de tout et, pour assurer celle-ci, il avait sciemment détruit l’Armée nationale et réduit la classe politique à un aréopage de personnalités courant derrière l’argent et les privilèges et prêtes à toutes formes de compromission pour atteindre ces buts ou tout simplement garder l’espoir d’y parvenir un jour. La facilité avec laquelle un homme sans attaches dans la société mauritanienne s’est emparé des rênes du pouvoir le 6 août 2008 sans rencontrer la moindre résistance, administre la preuve que nous ne disposons plus d’une Armée. "

[22] - p. 225

[23] - p. 20

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