lundi 28 novembre 2011

lorsque le 28 novembre 1960, à zéro heure...


libre méditation sur un pays dont les hommes m’accueillirent, et que j’aime



Cinquante et un ans d’indépendance, cinquante-quatre ans de figure étatique autonome, trente-trois ans depuis le premier putsch.

Rencontre mutuelle avec la Mauritanie, il y a quarante-six ans. Une intimité presqu’immédiate avec le président-fondateur, Moktar Ould Daddah, totalement fondée sur notre passion pour le pays et pour la manière de le construire, inséparables dans l’esprit de celui qui y travaillait et dans le mien découvrant la cohérence du dessein, une réelle dialectique sans aucune rupture, quelles que soient les surprises pour des diplomates de métier, que je n’étais pas à l’origine, et selon lesquels je n’ai jamais raisonné même quand je fus l’un d’entre eux, à des niveaux hiérarchiques divers. Conséquence, la Mauritanie appelle autant l’intelligence que l’affection pour être comprise.

Quelles constatations cette emprise mutuelle entre un pays et l’un de ses observateurs sur longue durée, produit-elle ?



la précarité soulignée à l’envi à chacune des étapes de la souveraineté mauritanienne (la Loi-cadre et le gouvernement autonome, l’indépendance, les échauffourées scolaires de 1966, la révision des accords avec l’ancienne métropole en 1972-1973, la nationalisation de la principale exploitation du pays en 1974, le premier putsch en 1978, le second en 1984, les pogroms de 1989 et l’ambiance anti-originaires du Fleuve de 1987 à 1991, le retour à la dictature militaire en 2008) n’a jamais produit les séparatismes ou les effondrements préédits ou logiques.

Ce qui veut dire que la construction édifiée entre 1957 et 1978 n’a pas été une utopie ni une œuvre solitaire. Ce fut solide, même les questions brûlantes et rémanentes que sont l’esclavagisme ou la discrimination raciale (l’affaire du recensement électoral aujourd’hui et la permanente discussion des chiffres, des proportions, de la qualificaiton ou pas des affranchis noirs de la société maure, n’ébranlent pas vraiment ni le pays ni la société.
La Mauritanie est une réalité. Les responsables français pendant un demi-siècle le crurent unanimement. Comment d’ailleurs n’en auraient-ils pas été convaaincus puisque la domination « coloniale » se perpétua avec si peu de moyens militaires, si peu de présence européenne ? en réalité, l’ensemble des Mauritaniens avaient en gros acquiescé à cette occupation légère et y contribuaient, démontrant aussi bien la souplesse de leurs institutions propres, qu’une réelle homogénéité de réactions et d’arrière-pensées. Les grandes étapes de la décolonisation (1957-1973) ou celle de la « transition démocratique » en 2005-2007 ont été unanimitaires.

L’esprit de souveraineté, le goût d’une certaine dignité nationale que bafoue régulièrement le coup de force d’une partie de la hiérarchie militaire, une habitude de vivre ensemble malgré des modes de vie et des races différentes, une pratique sereine de la religion nationale donnent à la construction une grande logique spirituelle et des manifestations constantes.

Aucun parti depuis l’indépendance n’a été ouvertement sécessionniste et même les FLAM, malgré leur intitulé, n’ont jamais été terroristes et violentes à quelques incidents près, maintenant anciens.



la modestie du développement ne tient pas à un mauvais rapport entre les ressources que chaque décennie démontre de plus en plus variées, et mieux réparties sur le territoire et sa fenêtre maritime, mais à une relation défectueuse entre la décision, le plus souvent étrangère, d’investir et l’insertion concrète dans l’économie locale.

L’extra-territorialité des exploitations reste un fait dominant de même que l’économie dite traditionnelle demeure séparée du secteur moderne. La protection sociale est réservée aux salariés, et ceux-ci restent très minoritaires quel que soit le secteur d’activité. Sans doute, est-ce un schéma fréquent dans les pays africains au sud du Sahara, mais la Mauritanie avait commencé autrement.

Les coûts de souveraineté sont moindres que les manques-à-gagner par mauvaise organisation du secteur financier et bancaire, sans compter la corruption. La capitale n’a pas été choisie pour ce qu’elle est devenue, disproportionnée démographiquement par rapport à l’ensemble de la Mauritanie, mais de taille tout à fait logique si on considère l’urbanisation comme l’inéluctable conséquence dans un milieu semi-désertique et nomade, de décennies de sécheresse et d’insuffisance des équipements locaux dans l’intérieur du pays.




la méthode de gouvernement est certainement l’aspect le plus critique de la Mauritanie actuelle. La dictature précédente, celle du putschiste de 1984, parut longtemps comme un progrès, puis une « façade » acceptable pour l’extérieur, comparée aux cinq premières années de pouvoir militaire. L’actuelle paraît surtout une usurpation et elle choque car elle montre des mœurs et des parcours politiques d’élites se trompant les unes sur les autres et n’ayant en réalité pas de véritable référence ou juridique ou morale ou même démagogique. La parenthèse démocratique de quinze mois en 2007-2008 signifie que le parlementarisme et tout état de droit sur modèle étranger n’ont pas prise sur les esprits dirigeants.

L’erreur en doctrine me paraît totale, au moins pour une application en Mauritanie, qui consiste à poser que la démocratie c’est l’alternance des personnes ou des partis au pouvoir. La réalité est que personne, dans l’opposition, n’a la patience d’attendre et que les élections pour parvenir au pouvoir sont toujours contestées, même si elles sont depuis 1992 présentées, et parfois contrôlées, comme transparentes et pluralistes.

Si l’on pose comme objectif la nécessité du consensus politique face à l’investisseur étranger, face à l’agression du climat de sécheresse, et peut-être face à la tentation terroriste de certains jeunes, il ne se réalisera pas dans le cadre des institutions existantes. Le système du parti unique de l’Etat, ayant prévalu de fait puis de droit entre 1961 et 1978 n’a rien à voir avec les régimes de partis dominants qui ne sont que le système de la dictature pour contrôler le Parlement et les élections. Ce fut la recherche de tous, et notamment des opposants d’avant l’indépendance, que d’aboutir à une institution offrant du champ à la politique, au débat, à la militance mais avec son cadre. Ce fut adopté sans contrainte autoritaire, c’était surtout une matrice très évolutive et l’intégration du syndicat, de l’armée, de la jeunesse dans le parti n’était pas le mépris de l’opposition en tant que telle ou la méfiance envers toute force organisée en dehors du parti, c’était l’appel à la concertation et à la participation. Le fond était le partage et la collégialité du pouvoir. Tout autre chose que des colloques à plus ou moins grand nombre tenus en 2005, en 2009 et en 2011 : maintenant. Celui de 2005 était fondateur d’un régime de confiance entre les militaires et les civils, cela ne dura que quelques mois et se dissipa précisément à cause d’une divergence de fond sur le rôle des partis et les indépendances ou pas de candidatures aux élections.

Le terrorisme ou l’islamisme – prétendûment redoutables et prochains – sont des cautions pour les régimes autoritaires. Leur nature, leur réelle implantation ne sont pas évalués pour ce qu’ils sont. Le terreau du terrorisme est la dictature et ses alliances successives, occultes avec l’étranger (la Libye souvent depuis 1980, l’Irak un temps). L’islamisme en Mauritanie n’a pas de sens, la religion est de pratique générale et son interprétation a toujours été modératrice. Il produit sans doute les élites à venir, autant que les affranchis ont commencé depuis au moins quinze ans d’accéder à des postes décisifs ou très en vue.



la dévolution du pouvoir n’a eu lieu qu’une seule fois par scrutin : le 25 Mars 2007 et cela a été contesté aussi bien par l’opposition civile que, très vite, par les anciens et futurs putschistes. Il est généralement attendu que le pouvoir actuel finira par un putsch ou d’une façon violente, et pas par les urnes.

La Mauritanie a le don de faire confiance, sauf aux urnes. La mise en place de Moktar Ould Daddah n’eut rien d’électif et la perpétuation de son emprise sur les esprits, sur les circonstances, sur les matières à administrer et à décider ne dut rien ni à la force ni aux urnes. L’actuel pouvoir doit tout à la force, c’est prédire son renversement sauf génie de celui qui le détient, mais l’art de Mohamed Ould Abdel Aziz réside dans une forme d’inertie, assez rare en politique : un discours constamment à côté, et un comportement sans correspondance ni avec les textes ni avec le discours-même. Le pouvoir de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi devait tout aux urnes et sa force ne pouvait provenir que d’une intelligence générale du peuple et des élites.

Au bureau politique du parti unique dont Moktar Ould Daddah, secrétaire général, n’avait plus le contrôle, il y eut paradoxalement – en 1963-1964 – une abdication de l’opposition à peine avait-elle été victorieuse. Ce fut la chance du fondateur et aussi celle du pays. Aux négociations de Dakar, les opposants, censément coalisés contre toute candidature militaire, et jouissant du crédit de l’essentiel de la « communauté internationale », paradoxalement acceptèrent de participer au scrutin de 2009 et que celui-ci soit dominé par une candidature militaire déja en possession d’état.

La sociologie politique mauritanienne hésite entre deux régimes de fait, celui d’un consensus pour une candidature n’ayant de force et d’emprise que par sa situation médiane au sein de forces très diverses : Moktar Ould Daddah en 1957, celui d’un coup de force et d’une illégalité continue (les affaires successives montrant depuis 2008 que les prétoriens n’ont aucune notion, aucun souci des droits de l’homme). L’état de droit comme l’économie monétaire sont des exceptions en Mauritanie.



l’avenir me paraît être le passé lointain, une personnalité de haute moralité, se prêtant à la discussion et au débat, décidant collégialement mais selon une échelle de valeurs personnelles qui donne à la question de confiance son véritable ressort. Sur ce fondement dont la Mauritanie a déjà bénéficié, une direction de l’économie doit s’édifier, également collégiale, combinant des expertises du niveau de celle des investisseurs – la Mauritanie en a la ressource – et une habitude atavique du terrain : terrain qu’est le désert, que sont la pauvreté, le troc, l’influence, mais que sont aussi les autorités morales locales bien différentes des hiérarchies publiées. Connaissance du moderne, connaissance du traditionnel, possession de la géographie tribale et villageoise mais aussi prestige intellectuelle et culturel suffisant pour rallier la diaspora mauritanienne : diplômés et exilés, ayant en commun de fuir l’arbitraire. Une partie de l’intelligence et de la capacité mauritaniennes sont aujourd’hui à l’étranger, en France, en Allemagne, aux Etats-Unis, dans les pays scandinaves, dans la péninsule arabique, alors que la tradition était plutôt le réseau commercial dans la seule Afrique de l’ouest.

L’avenir est le rassemblement, non pour les maigres places que peut offrir l’administration ou la politique d’un pays encore pauvre, non pour l’accaparement de domaines financiers et de monopoles – fonctionnement actuel hérité de la dictature précédente, et que la parenthèse démocratique n’eut pas le temps de démanteler. Ce rassemblement a longtemps paru être question de personnes : de 1991 à 2009, ce sont les mêmes compétitions ouvertes ou souterraines entre Ahmed Ould Daddah, Messaoud Ould Boulkheir et quelques autres que la période soit au boycott ou à la participation. Il doit être aujourd’hui celui d’une entente, moins personnalisée, plus collective, mettant ensemble des générations et des couches sociales jusques là séparées les unes des autres.

Le temps est un facteur décisif partout dans le monde, il l’est particulièrement en Mauritanie en présentant une caractéristique : la mémoire historique est encore moins partagée que la richesse ou l’accès au savoir et à l’économie modernes. Quelques élites, aujourd’hui septuagénaires, ont participé à la période fondatrice et ont connu le système politique consensuel comme la décision économique avec l’investisseur étranger ou le bailleur de fonds, mais la majeure partie de la population n’a reçu que la rumeur ou l’anecdote, elle vit surtout dans le présent et la vulnérabilité. Les fractures sont bien plus mentales que matérielles. La conscience du tribalisme, la critique aussi bien de l’individualisme en grande partie importé à l’image de l’étranger, que des favoritismes excluant les uns et gratifiant les autres selon des degrés de parenté n’avait que peu cours pendant la période fondatrice, parce qu’elles étaient illégitimes. Elles sont redevenues une explication courante des coups militaires, des alliances maintenant le pouvoir ou le détruisant. Le critère d’une société plus juste et d’un fonctionnement efficace pour l’administration du pays, se trouve sans doute dans une nouvelle et progressive éradication de ce système, qui ressemble peu à l’ancestral et ne se justifie pas comme celui-ci.


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D’une certaine manière, la Mauritanie le 28 Novembre 2011 se trouve dans la situation du 28 Novembre 1960 : celle d’un pari. Le pays peut réussir mais à des conditions essentiellement politiques. En 1960, elles furent réunies : table-ronde des partis, confiance des premiers investisseurs, abnégation des opposants qui avaient été initialement les promoteurs du pouvoir leur ayant désormais échappé surtout spirituellement, capacité d’éluder ls problèmes difficiles tant que ne serait pas institué le cadre pour leurs solutions. Le facteur essentiel fut la sincérité de chacun. Il fait totalement défaut aujourd’hui, en même temps que manquent des outils élémentaires qu’aurait pu produire le temps, même fracturé par les coups militaires.

Les deux traits qui disent l’essence dictatoriale du régime actuel sont – pour moi – le mépris des procédures judiciaires et le mépris des personnes tour à tour salies ou achetées.

Ce qui abîme l’image internationale d’un pays fin que l’Histoire, la géostratégie, une vraie islamité avaient promu parmi les peuples de bon conseil et de bon exemple, est sans doute le simplisme d’une communication et d’un discours officiels automatiques.

La Mauritanie a eu un parcours dialectique, avec sans doute des témérités, des approximations mais l’aventure avait un sens et la population ne se défiait pas systématiquement du pouvoir.

Elle reste viable et unie, attrayante malgré la confiscation dont elle est l’objet. Elle est peu connue pour elle-même et par elle-même. Elle mérite beaucoup mieux, elle sait attendre. On y prie, on y vit, on s’y rencontre. Le pouvoir est à côté, aujourd’hui sans prise, que celle – qui lui nuit – des prisons et de l’arbitraire, des favoritismes ou des mensonges d’Etat.

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