mercredi 14 septembre 2011

Biram Dah Ould Abeid à Dublin - 14 septembre 2011


FRONTLINE DEFENDERS
The International Foundation for the Protection of Human Rights defenders
6eme Plate-forme de Dublin des Defenseurs des Droits de Humains
14-16 Septembre, Dublin-Castle, Irlande


Allocution de Biram Dah ABEID,

Mesdames, Messieurs, amis de la liberté !

De prime abord, je proposerai qu`’on dédie cette cession au camarade
Boulkheir Cheikh Dieng, incarcéré injustement en Mauritanie, pour avoir
dénonce l`’esclavage par ascendance auquel est soumise sa communauté,
les hratin, depuis des siècles.

Notre mouvement l’Initiative pour résurgence du mouvement abolitionniste
(Ira) a été fondée, en 2008, pour combler le vide politique d’une véritable
alternative au système de domination, capable, à la fois, de théoriser la
rupture et de la traduire par des actes d’engagement concret, en termes de
lutte dans la société et au sommet du pouvoir. Ils d’agit d’une démarche
conjuguée, convergente, du haut et du bas, qui allie l’exigence
révolutionnaire, à la lucidité réformiste. Ira Mauritanie dit la réalité du système,
la décrit, la dénude, la décortique, la vide de tout son mystère, afin d’en mieux
exposer l’inanité ; ainsi, les masses, désabusées, désaliénées par l’exposé
clinique du mensonge d’Etat, trouvent-elles la ressource morale de le
déconstruire, une faculté que l’on appelle communément « volontarisme ».

Oui, nous sommes des volontaires de la rupture, graduelle certes mais
radicale, définitive, d’avec toute forme de coercition, de détournement des
consciences, de légitimation religieuse de l’insupportable ; nous n’acceptons,
non plus, l’antique dissuasion sous le glaive.

La protection des défenseurs des droits de l’Homme ne constitue pas un sujet
d’études ni d’observation chez nous ; elle est notre quotidien, fait
d’arrestations arbitraires, de bastonnades copieuses par la police, de procès
iniques où le juge, pour vous exclure du périmètre de l’empathie, commence
par vous jeter l’anathème de circonstance : « atteinte à l’image du pays,
organisation non autorisée, acte de sédition, manifestation non autorisée »
sont des chefs d’accusation conçus pour nous, quasiment par prédestination
génétique.

En quelques attendus, vous voici au seuil de l’univers carcéral, privé de la
moindre compassion, avec, pour unique perspective « vous dédire ou
subir » ! Ainsi, en quelques mois seulement, notre organisation a déjà essuyé
deux passages au tribunal, suivis de condamnations sévères ; les violences
sur nos militants relèvent, elles, du passage initiatique ; battus, blessés
jusqu’à l’évacuation médicale en urgence, ils devaient se justifier de
manifester contre la collusion ostentatoire des agents de l’Etat, y compris les
magistrats et la police, avec les auteurs de pratiques esclavagistes !! Voici
l’’accusateur obligé à la révision brutale de ses priorités ; au lieu de
poursuivre son effort à confondre le criminel, il ne s’évertue plus qu’à éviter la
prison !

La spécificité du cas mauritanien déborde d’ironie : malgré une loi
relativement explicite en matière de lutte contre la traite et l’exploitation des
humains, les maitres peuvent, au moindre incident, compter sur la logique
consubstantielle à l’hégémonie, une sorte de solidarité par esprit de corps, si
épaisse et efficace qu’elle défie le plus tatillon des législateurs: dans un pays
où le pouvoir politique, matériel, militaire et religieux appartient à la minorité
arabo-berbère et cela depuis des siècles, le droit protège, nécessairement, un
tel acquis.

L’accumulation historique du tort et l’actualité du crime, loin de nourrir une
quelconque culpabilité parmi les élites dirigeantes, ne font qu’y sédimenter,
encore davantage, la manie du déni aux contours pathologiques : dans l’état
d’esprit des gardiens du système, l’expression dénudée du tabou, la
revendication de l’ordre « naturel » du racisme devient un extrémisme à
endiguer, au prix de mille et une ruses !

Patiemment, par petites touches rhétoriques et un savant dosage de
propagande et de culture de la panique comme principe du lien social, les
auteurs d’actes esclavagistes se présentent en victimes d’une tentative de
déstabilisation, de préférence téléguidée de l’étranger, en général juif ou
chrétien. Dans le premier cas, l’antisémitisme ambiant favorisera une sanction
aggravée. Ainsi exclu de la communauté de destin, toujours menacé de se
voir déchu de sa qualité de musulman sans quoi sa vie vaut en soi, le
défenseur des droits de l’Homme mauritanien, doit survivre dans le besoin
vital de se nourrir, de s’habiller, de se soigner et, malgré l’épreuve, songer à
poursuivre le combat ! Et, si vous êtes noir, descendant d’esclave ou d’une
ethnie non arabophone, gare au séjour dans l’un de ces commissariat de
police où s’affiche l’insulte raciste ; le concept de la dignité humaine, est
considérée, dans ces milieux obscurantistes, comme une invention de
l’Occident ; la torture, routinière, y prévaut, au titre d’une banalité
professionnelle, comme le passe-droit tribal ou l’obligation de payer pour
obtenir une visite, un repas, des médicaments, etc.

Mesdames et Messieurs, aucun texte de loi ne protège le défenseur des
droits humains en Mauritanie. Le pays refuse d’adhérer au Statuts de la Cour
pénale internationale (Cpi) et élude le débat sur la peine de mort ; le
Parlement, parfaite incarnation du rapport des forces séculaire, ne reflète que
les préoccupations de segments tribaux qui se disputent la préséance, loin de
la problématique de l’égalité, pourtant la question du moment, le seul vrai
enjeu du devenir mauritanien.

Pour faire évoluer l’idée - confidentielle encore – que l’impunité tue le
potentiel de la paix civile en Mauritanie, nous sommes contraints de recourir à
des méthodes spectaculaires, avec leur dose de provocation, de secousses
hardies sur les flancs de la bête grasse mais nous demeurons dans la stricte
mesure de la non-violence car tel reste notre choix, par conviction et certitude
de l’efficacité.

Ira Mauritanie et quelques autres formations amies tentent, avec talent et un
sens de l’innovation, de persuader les mauritaniens que la vie de l’’Homme,
au-delà de toute différenciation de sexe, sa liberté et l’intégrité de son corps,
méritent une sacralisation absolue. C’est cette contre-culture, totalement
absente du corpus de valeurs légué par la domination, que nous sommes
résolus à promouvoir, avec votre soutien.

Chers amis, le printemps arabe l’a prouvé : les formidables forces du
renouveau sommeillent sous la botte prétorienne ; la Libye vient d’illustrer le
prix de l’espérance, bien plus fort que la Tunisie et l’Egypte ; oui, quand
l’oppresseur recourt à la violence brute contre les Défenseurs pacifiques, la
lutte armée, malheureusement, se justifie, comme une nécessité et le devoir
d’ingérence, devient, une simple modalité ; ces principes découlent de notre
appartenance à la même espèce, celle des humains broyés par la barbarie.

Notre silence et notre inertie, peuvent tuer.

Des esprits sclérosés crient à l’impérialisme dès que la conscience humaine
viole les frontières, au nom d’une perception universaliste de la justice. Or,
mes camarades et moi soutenons la proposition inverse : dans le domaine du
droit international public, le monde est fondé à juger, désormais, la nonassistance
à un peuple en danger, pour prévenir le génocide. De ce point de
vue, le concept de « responsabilité de protéger », tel qu’entendu par les
Nations unies, nous semble bien timoré face aux situations d’arbitraire aussi
extrêmes qu’en Birmanie, Corée du Nord, Iran, Syrie, ou en Mauritanie, etc.
Les véto automatiques et prévisibles de la Chine populaire et de la Russie, à
présent soutenus par la diplomatie de puissances émergentes comme le
Brésil, l’Afrique du Sud et l’Inde, retardent l’émancipation démocratique des
peuples et accordent du temps aux dictatures, dans leur quête d’échappatoire
historique.

Mesdames et messieurs, vive la liberté conquérante et vive le devoir
d’ingérence !


Je vous remercie.

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