jeudi 2 juin 2011

reçu

Moustapha Ould Limam Chafi, dans une interview exclusive avec les journaux Biladi et Al Akhbar :
‘’Le Général Aziz ne dispose pas de facultés politiques et de qualités de commandement que requiert la direction d’un pays aussi vulnérable que la Mauritanie’’

Biladi/Al Akhbar : Moustapha Ould Limam Chafi, on ne vous présente plus, en Afrique, et même dans le monde, mais certains de vos compatriotes, mauritaniens, ne vous connaissent pas très bien. Tandis que d’autres ne retiennent de vous qu’une image paradoxale voire sulfureuse ; de celle d’un faiseur de coups d’état et de rébellions, à celle d’ami des présidents et à la fois d’opposants? Comment vivez-vous un tel écart?Moustapha Ould Limam Chafi : Pour ceux qui me connaissent, ils vous diront mon attachement à des principes et quelques codes d’honneur, dont la loyauté, l’amitié, et le respect des engagements consentis. Dans ces limites, je me bats quoiqu’il m’en coûte. Ce que je hais le plus au monde, c’est courtiser les hommes surtout quand ils n’ont pour seul mérite que d’avoir usurpé un pouvoir par la force. Si j’étais faiseur de coup d’état ou de rébellion, je pense que je ne bénéficierais pas de toute la confiance et des relations dont je jouis aujourd’hui. Les faiseurs de coup d’état sont connus et s’accrochent au pouvoir, notamment chez nous en Mauritanie, malgré les conséquences douloureuses et le prix incalculable pour toute la nation. Notre pays a connu un retard quasi irrattrapable en matière d’exemplarité démocratique, traversé une période d’instabilité, d’incertitude, de délabrement, de recul à tous les niveaux, sous les pouvoirs militaires successifs depuis 1978. En 2007, avec l’avènement d’un président civil élu, des libertés de presse retrouvées et un pluralisme effectif, la Mauritanie est devenue, le seul pays démocratique reconnu dans le monde arabe, un modèle suscitant l’espoir au-delà de nos frontières. Hélas, un militaire, encore une fois, a fait irruption sur la scène politique. Par sa prise en otage du pays, il l’a relégué au dernier rang. Aujourd’hui où le vent des libertés et de réformes souffle sur le monde arabe, la Mauritanie renoue avec les ténèbres de la dictature, de l’injustice, du populisme, du favoritisme, du mensonge. Le pays s’est retrouvé aux mains d’une bande de copains et de coquins qui ne font plus illusion.Je suis certes ami de Présidents, également d’opposants mais je ne fréquente que des leaders tolérants, respectueux des principes de la différence, de la dignité humaine. Ils comprennent et acceptent la contradiction. Ils savent apprécier les valeurs des uns et des autres.
Après l’entretien que vous aviez accordé, en 2009, à un ou deux organes de presse locale, vous n’avez jamais accepté d’accorder une interview à la presse mauritanienne; qu’est-ce qui motive votre accord aujourd’hui?Malgré mon opposition au coup d’état du 6 août 2008 et mon scepticisme quant à la capacité du général à gérer ce pays, je me suis résolu, malgré tout, à accorder aux militaires une période de grâce, les observer, n’oser aucun acte de subversion, n’encourager nulle action contre eux, leur permettre de mener leur mission dans l’espoir, qu’en dépit de leurs insuffisances et de leur médiocrité, ils pouvaient s’entourer d’hommes et de femmes de compétences et d’expériences qui les aideraient à obtenir des succès, pour le bien de la Mauritanie. Malheureusement, le bilan est amer, la situation économique et sociale se détériore avec une gravité inouïe, dira-je inédite depuis l’indépendance du pays. Au moment où le navire mal gouverné tangue et menace naufrage, il m’a semblé, de mon devoir, pour moi un devoir – impératif- de lancer le signal d’alarme à mes compatriotes.
Vous vivez en Afrique, que signifie la Mauritanie pour vous ?Je réside en Afrique en même temps que je vis pleinement la Mauritanie, chaque instant, devrais-je dire ! Je vis la peine et les misères des Mauritaniens. Il n’y pas une seconde, pas une minute, pas une heure, où mon cœur ne bat au rythme de la Mauritanie. Ma mère qui représente tout ce que j’ai connu de plus cher comme affection et amour y est enterrée. Chaque soir que Dieu fait, avant de m’endormir, mes prières vont vers elle et tous ceux de nos compatriotes qui nous ont quittés. Mon père, très affaibli vit en Mauritanie, mes frères, sœurs et tous ceux qui me sont les plus proches au monde y sont également. La Mauritanie, je la vis aussi, chaque jour, en Afrique, parce que je vis entouré de mes compatriotes de passage, toutes communautés, tous milieux sociaux confondus. Peu d’évènements nationaux, mêmes confidentiels, ne m’échappent, pour peu qu’ils impliquent des mauritaniens. De Fassala Néré à Nouadhibou et de Bababé à Bir Moghrein, je suis présent, à ma manière. On dit que vous êtes riche ; que faites-vous de votre fortune et d’où provient-elle?Vous m’apprenez que je suis riche, je ne sais pas dans quel sens vous parlez de richesse. Je remercie Dieu de la richesse qu’il m’a donné, qui est la plus importante et dont je suis le plus fier, c’est la Foi en Lui. Ma Foi en Dieu est si forte que jamais, ici-bas, rien ne m’a ébranlé. Un père et une mère m’ont dispensé une éducation religieuse et appris le respect de tous et l’amour des faibles. Je pense que tout cela constitue la plus grande des richesses. Al Hamdoulillah, Al Hamdoulillah, Al Hamdoulillah … Le quelque bien matériel dont Dieu m’a doté, j’essaie de le partager avec les autres, parce que je ne l’emporterai pas avec moi dans la tombe. Je ne suis pas porté sur l’accumulation de richesse, malgré mon appartenance à un milieu de vaillants commerçants. Je n’ai jamais occupé de fonction me permettant de gérer les fonds publics. Je n’ai jamais entrepris une activité illicite. J’ai commencé ma carrière dans la philatélie, très jeune avec des partenaires Arméniens ; c’est un métier très subtil et discret où j’ai pu, pendant de nombreuses années, gagner suffisamment d’argent. J’ai ensuite évolué vers d’autres activités, toujours honorables et rentables, que je garde pour moi conformément à la recommandation du Prophète (Psl) qui conseille de ‘’sceller le secret autour de vos affaires’’. En comparaison à la fortune du général Aziz, je ne possède pas un seul sou qui ne soit plus licite et de loin !
Le bruit court également que vous menez des activités séditieuses, en Mauritanie, avec le concours du banquier Mohamed Ould Noueighed…..Je vais vous raconter une anecdote, assez cocasse, maintenant que vous me posiez cette question: le 21 mai dernier, j’ai rencontré, à Yamoussoukro, pendant la cérémonie d’investiture du Président Alassane Ouattara, un richissime homme d’affaires de la sous région, banquier, industriel, pétrolier…, l’une des fortunes les plus solides du Continent, qui était en compagnie d’un Monsieur de type Mauritanien avec une grande calvitie, vêtu d’un costume d’une grande simplicité. Mon ami, entrepreneur, que je connaissais depuis très longtemps, a été surpris de constater que le Monsieur en sa compagnie et moi ne nous connaissions pas et ne nous étions jamais rencontrés ; c’est alors qu’il m’a présenté son collègue, le banquier Mauritanien Mohamed Ould Nouegheid. Il m’a présenté, aussi, à ce dernier qui, visiblement très gêné, n’a pas daigné engager avec moi une quelconque conversation et je le comprends.
Le Président mauritanien et vous étiez invités à l’investiture de votre « grand frère » Ouattara. Avez-vous rencontré Mohamed Ould Abdel Aziz ?
Cela ne m’intéresse pas.
Comment et pourquoi maintenez-vous, en Afrique des relations parfois excellentes (et personnelles) avec les chefs d’état, des artistes, des sportifs, hommes d’affaires et des personnalités de divers horizons sans y parvenir en Mauritanie ?
Je maintiens d’excellentes et respectueuses relations en Mauritanie avec beaucoup de personnalités comme Cheikh Mohamed El Hacen Ould Dedew pour lequel j’ai une très grande admiration. Mes rapports, depuis des années, sont excellents avec Messaoud Ould Boulkheir, Ahmed Ould Daddah, Mohamed Maouloud, Saar Ibrahima, Saleh Ould Hannena et tant d’autres. J’ai entretenu des liens cordiaux avec Ely Ould Mohamed Vall, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, Mohamed Khouna Ould Haidalla...
Et autour du Président Aziz ?Je préfère ne pas répondre, si vous le permettez.
Que pensez-vous du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi ?Au-delà des qualificatifs élogieux sur le patriotisme et la patience de l’homme, il y a lieu de noter trois aspects de sa personnalité qui le prédisposaient au gouvernement vertueux : Il se tenait toujours à l’écart des dissentiments et des rivalités individuelles, n’enquêtait jamais sur les défauts réels ou supposés des gens et se désintéressait de l’argent, en soufi, élevé dans la quête permanente de spiritualité. Ainsi, s’abstenait-il, par exemple, de s’ingérer dans le processus d’attribution des marchés publics, des licences de pêche et laissait ses ministres choisir leurs collaborateurs, sans interférence de la Présidence. Parce qu’il savait la valeur d’arbitrage des institutions et les respectait, Sidi Ould Cheikh Abdellahi appartient à l’école de Mokhtar Ould Daddah, avec son sens de la dignité et son esprit pionnier, bien à l’abri de l’affairisme et des tentations épicières. Par tempérament et modération intellectuelle et sociale, il croyait à la progression, à la graduation, dans le traitement des affaires de l’Etat. Pendant son mandat inachevé, des chantiers de reconstruction du pays ont été engagés et un réel effort de transparence se manifestait par l’autonomie réelle accordée à l’Inspection générale de l’Etat (Ige) dont le dernier titulaire a été choisi, sur instruction du Président qui ne le connaissait pas. L’on peut aussi, citer, dans ce bilan, somme toute satisfaisant, le retour des réfugiés et la détermination à traiter, quant au fond, le passif humanitaire et la réconciliation nationale dans un esprit de vérité et de justice. Hélas, à cause de son indépendance, insoupçonnée par les militaires qui l’avaient soutenu au scrutin présidentiel, Sidi a été écarté. Il voulait gouverner, pleinement, au nom des mauritaniens, ses électeurs. Sa légitimité, de premier Président élu dans une compétition pluraliste, lui conférait un sens élevé du devoir et il y a cru, jusqu’au bout, sans faiblesse quand ses adversaires misaient sur une défection. Pour l’histoire, Sidi n’a pas failli, loin de là!
Pourtant, les militaires étaient ses alliés sûrs pour décrocher le pouvoir?Le général Mohamed Ould Abdel Aziz et sa coterie avaient échoué à convaincre les mauritaniens de soutenir le candidat Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi, pendant la campagne. Cet appui encombrant suscitait même le rejet, au sein de l’opinion, à cause du reproche, peu flatteur, d’«homme des militaires’’. Certes, à l’époque, ils comptaient parmi ses principaux protecteurs et l’auraient même résolu à se porter candidat, mais, en dépit d’un concours aussi important, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi ne parvenait à passer au premier tour, déjouant ainsi les pronostics sur la force et l’influence supposée de la junte. Sa victoire restait suspendue aux ralliements des deux candidats arrivés en 3ème et quatrième positions, c‘est-à-dire Zein Ould Zeidane et le Président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir. Réputer, Aziz et ses affidés, artisans de la victoire de Ould Cheikh Abdellahi, relèverait d’un défaut de rigueur dans la perception et l’analyse du rapport des forces électoral.
Comment vous jugez la situation actuelle du pays?Malheureusement, elle se caractérise par l’impasse globale et une perte de crédit, à tous les niveaux : le chômage touche toutes les catégories d’âge et le pays connait un blocage politique sans précédent. Les Mauritaniens ne sont pas restés longtemps dupes des mirages aziziens. Il avait promis de faire baisser le prix du gaz, du gasoil, des produits agro-alimentaire etc.Le gaz domestique, à ce jour, est 30% plus cher ; le gasoil a connu plusieurs augmentations en quelques mois. Tous les tarifs des produits agro-alimentaires ont flambé. Pendant ce temps, lui a pris en main les marchés publics qu’il s’auto-attribue, sous des sociétés-écran, aux noms d’emprunts bien indentifiables ; après tout, il est bien difficile pour un apprenti-tyran de soumettre, en silence, un petit pays : nous sommes peu nombreux et nous nous connaissons, les uns les autres. A Nouadhibou, son associé et lui possèdent, à ce jour, plus de 20 bateaux. La lutte contre la gabegie, version Aziz, revient à sevrer tous les mauritaniens, les appauvrir mais gaver, gaver encore et toujours, 5 à 6 personnes parmi ses obligés et paravents. Et à quelles causes imputez-vous ce tableau sombre?Vous savez, au lendemain du coup d’état de 2005 et de la transition conséquente, nous avions beaucoup espéré. L’attente d’une nouvelle ère a été énorme d’où l’intensité de la déception. Le Général et son putsch de 2008 nous ont contraints à abdiquer certains acquis, puis régresser, loin en fin de peloton. Il a rétabli le système que nous avons tous vigoureusement combattu : démagogie, aventures, mensonges, incertitudes, instabilité administrative, promotion de l’inexpérience, le Général a consolidé les aspects les plus négatifs de l’ère Ould Taya. A titre d’exemple, le plus flagrant, il choisit, parmi ses collaborateurs, les hommes les plus médiocres, les plus faibles et les plus incompétents.Le Général Aziz ne dispose pas de facultés politiques et de qualités de commandement que requiert la direction d’un pays aussi vulnérable que la Mauritanie. Sa présence à la tête de l’Etat est une erreur de casting comme l’histoire en produit souvent et de manière tragique. L’homme, je le crains, n’a pas encore livré le pire de lui-même.Vous qui en côtoyez beaucoup et depuis longtemps, comment évaluez-vous l’homme d’Etat Mohamed Ould Abdel Aziz ? De tous ceux qui ont présidé le pays, depuis l’incomparable Mokhtar Ould Daddah, Aziz est le seul dépourvu de toute aptitude à conduire la communauté de destin et dont le niveau scolaire s’avère le moins performant. En tant que militaire, il reste l’un des rares officiers à n’avoir subi aucune formation digne des fonctions qu’il a occupées. Malheureusement, en pur produit du système érigé depuis juillet 1978, il a cumulé les promotions fulgurantes, lesquelles, à aucun moment, ne tenaient compte de son cursus dans le rang. Aziz a été propulsé sur le devant de l’histoire, envers et contre toutes les règles et procédures d’avancement.Sa mission essentielle, aux yeux de ses employeurs successifs, se résumait à celle d’un garde-chiourme, commis à la sûreté de son maître car sa loyauté était acquise. Imaginez une multinationale, florissante, qui décide de doter son premier responsable à la sécurité de tous les moyens d’assumer pleinement sa mission, avec la possibilité de choisir, lui-même, ses éléments à sa convenance et selon ses seuls critères. Fort de son dispositif, ce responsable de sécurité décide, un jour, de destituer le PDG de l’entreprise, d’user de la signature et de s’autoproclamer désormais seul et unique responsable de celle-ci. La société, ne peut être vouée, dès ce moment qu’à la faillite retentissante.C’est exactement ce qui arrive à la Mauritanie, depuis le 6 août 2008, surtout que notre général n’est doté d’aucun savoir-faire, ni de savoir-vivre qui auraient pu compenser ses carences. Il prétend diriger le pays, conduire une nation vers des lendemains meilleurs, alors qu’il ne manifeste de respect, d’égard, de considération encore moins d’empathie, à aucun de ses concitoyens ; ses collaborateurs proches ploient sous le mépris, l’arrogance et la suffisance du personnage.
Vous avez contribué à la chute de O. Taya, assisté à la fin du règne de Sidi et vous dites actuellement que le pays est instable. Comment voyez-vous son avenir ?Ould Taya n’est plus aux affaires, je ne souhaite donc pas parler de lui. Je ne suis pas de ceux qui l’ont servi et ne lui dois ni carrière, ni promotion, contrairement au Général Aziz. Mon éducation et mon savoir-vivre m’imposent de ne pas le dénigrer. Je constate qu’Aziz, l’a courtisé. Il fayotait pour lui et se servait d’alliances matrimoniales pour se faire accepter dans son cercle. Il est sa création, lui doit toute sa carrière et sa fortune mais s’est donné la mission de le vilipender, de l’humilier sa famille et lui, et de le traiter de tous les noms. C’est ainsi que le genre Aziz exprime sa reconnaissance.Quant à mon opposition au président déchu Ould Taya, elle relevait d’un combat contre un système de clientélisme tribal, de népotisme, de gabegie, d’impunité des violations graves des droits de l’Homme, de passe-droit, de déni de liberté, d’élections tronquées, d’opposition muselée, etc. Aujourd’hui, le système se reproduit et aucun de ses acteurs principaux n’a subi la sanction méritée parce que Aziz est leur protecteur, l’un des leurs et sans doute le meilleur gardien des privilèges dont il canalise juste le cours, à son avantage et au profit des siens.Bref, je ne puis disserter sur l’avenir politique du pouvoir de Aziz parce qu’à mes yeux, il ne possède aucune faculté de s’enraciner. Les fondements immoraux de son édifice tremblent d’où son instabilité, c’est un constat clinique, devrais-je dire. Tout au plus, pourra-t-il négocier des périodes de répit, plus ou moins brèves, qui ne sauraient permettre la moindre perspective ni d’ailleurs cette nécessaire projection au-delà de 6 mois sans quoi toute politique dérive dans le bricolage ; Aziz est un dilettante, coincé dans un rouage de l’histoire. Je ne suis certes par fort en mécanique mais l’expérience enseigne que ce genre d’attelage ne va jamais très loin.
Un mot sur les événements actuels en Mauritanie, particulièrement le mouvement des jeunes ?La jeunesse mauritanienne est consciente, civilisée et en phase avec la mondialisation techno-médiatique. Les diverses formes de marginalisation et de chômage qu’elle subit exacerbent ses facultés critiques. Tôt ou tard, malgré le rappel et la mise en œuvre de toutes les instances de démobilisation, notamment par la tribu, cette jeunesse, sans avenir viable, imposera son empreinte sur le devenir de la Mauritanie. Des pouvoirs bien plus puissants et ancrés dans l’histoire que celui de Aziz tombent, un à un, autour de nous. Le régime actuel a acquis une popularité imaginaire au cours de la dernière élection présidentielle, par l’usage d’un discours populiste qui insulte l’intelligence et se résume au credo vide « je suis le président des pauvres’’ ; avec le temps, toute la vacuité du slogan se dévoile et sa puissance d’hypnose s’érode. Le pouvoir de Aziz récolte les fruits de ses fausses promesses. Le peuple sait, désormais, que la lutte contre la gabegie n’est qu’un slogan de campagne ; le ‘’président des pauvres’’ exige une commission, dans les principaux marchés publics, au demeurant distribués entre une poignée de membres de sa tribu et quelques rares autres prête-noms…Ce népotisme est le vecteur de la colère chez la jeunesse arabe, à la source de ses révoltes en Egypte, Tunisie, Libye, Syrie et au Yémen. Il me semble bien naïf de croire que la fameuse «spécificité» de notre pays le ferait échapper à la dynamique de son environnement.
Sur la base de votre expérience dans le domaine, comment trouvez-vous la politique engagée par le régime contre le terrorisme ?La sécurité aux frontières relève autant de l’enjeu de politique étrangère que de la police domestique. Or, avec un pouvoir qui n’a pas de stratégie, ni d’initiative politique, économique ni même diplomatique, la décision se conçoit au moment de sa prise. Du jour au lendemain, la Mauritanie s’affiche tantôt l’amie de l’Occident démocratique et s’aligne, l’instant d’après, sur l’Iran. L’on tente même le diable au Venezuela, sans calcul ou raison que puissent motiver nos intérêts objectifs. Depuis son avènement, le Général a toujours navigué à vue et c’est l’une des raisons de son échec. Un homme d’Etat doit se confronter à ses insuffisances non pas les fuir. Baltazar Gracian, le grand moraliste, prédisait à l’usage du prince espagnol qu’il conseillait par la vertu, bien à l’inverse du cynique Machiavel : « qui se sera maître de soi-même, le sera bientôt des autres ». Or, cette maîtrise salutaire suppose d’apprendre, d’écouter, de chercher conseil, de fouiller ses défauts pour mieux s’en prémunir.Permettez moi donc de dire que la conduite à l’égard des groupes salafistes – je veux dire la politique sécuritaire - s’est beaucoup détériorée. Le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi avait chargé Aziz de s’occuper du dossier, au lendemain de son accession, ô combien controversée, au grade de général. Après cette promotion indue, il y eut l’assassinat des ressortissants français en décembre 2007 et les incidents du genre se multipliaient, résultats d’un défaut de prévention. La Mauritanie ne dispose pas de stratégie en la matière parce que la stratégie requiert des compétences et une vision, au plein sens du mot, avec la conjugaison de la connaissance du terrain à un brin d’audace. Or, Aziz en est démuni, cruellement, handicap qu’il compense par le silence mais ce genre de cache-misère ne tient pas en temps d’épreuve. Le Général prématuré justifia son putsch, contre Ould Cheikh Abdellahi, le 6 août 2008, par l’absence de sécurité ; il tenta même de créditer l’idée farfelue, que ce dernier était salafiste, le poussant à construire une mosquée à la Présidence et y inaugurer, la prière du vendredi. Or, à l’époque des premiers attentats, Aziz était le seul responsable de ce dossier et s’avéra, bien vite, dans l’incapacité d’accomplir la mission.Le pouvoir mauritanien estime qu’il a doté l’armée de moyens sophistiqués et œuvré afin qu’elle soit opérationnelle pour affronter les groupuscules mais la population réclame la sécurité réelle, de proximité. Des voitures piégées sont arrivées jusqu’aux faubourgs de Nouakchott et, pour la première fois, des étrangers avaient été également kidnappés, sur le principal tronçon routier qui relie les capitales politique et économique. Quelle est donc l’utilité des dépenses militaires, si ce n’est la captation de marchés suspects qui enrichissent l’entourage présidentiel ?
Certains vous accusent d’être en contact avec AQMI, de l’aider à localiser les ressortissants étrangers avant de négocier leur libération contre le versement de rançons ? C’est de bonne guerre, voyez-vous : Il s’agit d’une propagande vulgaire, ventilée par la sécurité de Ould Abdel Aziz pour couvrir ses échecs par le transfert de culpabilité. Des sites électroniques, des gens spécialisés dans le commérage de salon ne ratent d’occasion, pour me faire porter la responsabilité de la faillite d’Aziz. Très souvent, je me retrouve cité dans des scandales et des montages dont j’ignorais les noms des protagonistes.Au sujet des négociations pour la libération des otages, je ne travaille pas de manière individuelle mais en partenariat avec différents services de sécurité, occidentaux et africains – parmi lesquels les renseignements espagnols et canadiens ; ces instances sont les mieux informées sur ce qui s’était passé et il est inconcevable qu’elles acceptent d’interagir avec un complice du rapt de leurs ressortissants. Je me suis impliqué, dans des conditions pénibles et non dépourvues de risque, en réponse à une demande de médiation, adressée au Burkina Faso, dans le cadre d’une coopération sous régionale et internationale au bénéfice des otages occidentaux. Notre objectif consistait à obtenir le retour des victimes, en bonne santé et c’est ce que nous avons réussi, toujours de manière officielle, sans détour.
Quelle approche idéale, selon vous, pour combattre le terrorisme ? Le plus important, dans ce domaine, c’est de savoir profiter des expériences, tirer les conclusions qui s’imposent afin de propager la sécurité en Mauritanie et de ramener notre jeunesse à sa vocation de moteur du développement. L’on est obligé de chercher des solutions globales pour faire face à ce phénomène, foncièrement étranger à nos sociétés saharo-sahéliennes, plus festives, spirituelles et tolérantes que dogmatiques. L’imagination et la souplesse devraient prévaloir pour résoudre un conflit qui se déroule dans un environnement islamique où siègent de grands érudits. Cette approche, pour aboutir, sera globale et acceptable, loin de toute pression étrangère qui fait de la Mauritanie une machine militaire entre les mains d’autres parties.
Vous avez de bons rapports avec différents chefs d’état du continent dont certains furent des opposants persécutés ou des chefs de guerre. Quel est le secret dans cette réussite et est-ce que les gouvernements de Nouakchott s’appuient sur vous pour profiter d’une telle aura?Sincèrement, je suis fier de ces relations qui m’honorent. Elles sont bâties sur le respect réciproque et le soutien à des populations opprimés, qui se battent pour recouvrer leurs droits… Elles prospèrent sur le sens de l’honneur, à l’abri de toute flagornerie. Par rapport à la deuxième partie de votre question, je vous assure et vous confirme que je suis fils de la Mauritanie et continuerai à la servir, toujours, y compris par mes amis.
Enfin, un mot sur Kadhafi et sur la Libye….Je crois que ce qui est en train de se passer en Libye est une ‘’vengeance divine’’ à cause des agissements de Kadhafi contre le peuple mauritanien. Après le putsch de Aziz, Kadhafi avait choisi de prendre partie pour les militaires en proclamant, devant le public, son soutien à la tenue d’élections unilatérales, le 6/6/2009, avant l’accord de Dakar. Les putschistes avaient bénéficié, en outre, de l’appui politique et financier de la Libye qui jouait un grand rôle pour infléchir la position de plusieurs états….c’est ce que nous appelons ‘’tazaboutt’’.

Propos recueillis par Biladi/Al Akhbar

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