dimanche 6 mars 2011

une analyse de l'U.F.P. - le drame des Mauritaniens est économique









Union des Forces de Progrès
site : http/www.UFPweb.org



La flambée des prix :

Causes réelles et propositions


28 février 2011

Résumé

Après avoir ignoré la question de la flambée des prix (cf. le discours de politique générale du Premier Ministre devant le Parlement le 6 janvier dernier), et brutalement réveillé par la révolution tunisienne, le Gouvernement vient de lancer dans la précipitation et une médiatisation indue l’opération dite des « boutiques de solidarité ». Pour se tirer d’affaires, il s’évertue à mettre exclusivement sur le compte du marché international la responsabilité de la hausse vertigineuse des denrées de première nécessité dans notre pays.
Certes, il est indéniable que notre pays n’a aucune prise sur les cours mondiaux. Par contre, le Gouvernement a tort de vouloir cacher l’impact très négatif de facteurs internes qui amplifie la hausse des prix. Citons-en:

1- La concentration monopolistique de l’importation des denrées de première nécessité. Ce processus qui s’est accéléré particulièrement ces dernières années, a eu pour conséquence de réduire le nombre d’importateurs de 15 à seulement 5 (qui ne sont en réalité que 3). L’un, par la part de marché qu’il contrôle, est désormais capable à lui seul d’imposer ses prix aussi bien aux consommateurs qu’à ses concurrents encore en lice. Cette emprise monopolistique privée sur la vie des Mauritaniens est le résultat, en grande partie, d’accointances avec le pouvoir en place et de privilèges et passe-droits qui font désormais de la libre concurrence un vain mot.
2- Les marges bénéficiaires exorbitantes. Ce que révèle une analyse attentive de la structure des prix : 32,9% pour le sucre, 49% pour le riz et 16,5% pour le blé par rapport au prix de revient rendu magasin du grossiste. Ces marges s’ajoutent à des taxes et charges multiples qui, toutes, dépendent de la volonté des décideurs.
3- La manipulation des prix des hydrocarbures ( taxes et hausses successives) pour renflouer les caisses de l’Etat lourdement grevées par la mauvaise gestion, est un autre facteur d’amplification de la hausse des prix ; il est en effet bien connu que l’inflation de ce produit est la plus diffuse dans l’économie.

Au lieu de s’attaquer à ces facteurs internes de la hausse des prix, le pouvoir a préféré lancer une prétendue « opération boutiques de solidarité », (au coût de neuf milliards d’ouguiyas dégagé hors budget et sans accord du Parlement) dont la mise en œuvre est confiée à un ou deux gros importateurs. Sur une population pauvre estimée officiellement à 1.380.000, seuls 600.000 sont pris en compte. De surcroît, la conception même de l’opération rend les boutiques du « Président des pauvres » pratiquement inaccessibles aux ruraux (77% de la population pauvre), voire aux défavorisés des villes, contraints à souffrir une peine et une humiliation disproportionnées pour accéder à une maigre ration quotidienne. D’où la désaffection notable des populations envers ces boutiques. La « solidarité » du Gouvernement, opération plutôt de propagande, risque de ne profiter qu’à quelques gros importateurs et distributeurs privilégiés.

Il est pourtant possible d’alléger les souffrances de nos populations par un train de mesures immédiates. Entre autres, le remplacement de l’opération « boutiques de solidarité » par un système de distributions gratuites périodiques aux groupes les plus vulnérables ou sans ressources ; le démantèlement de la situation de monopole d’importation de fait ; l’adoption du système de l’administration des prix des denrées de première nécessité et la décision d’une baisse générale d’au moins 15% qui laisse aux importateurs et distributeurs des marges bénéficiaires raisonnables ; la création d’un observatoire des prix.








I. Introduction

Notre pays est aujourd’hui l’objet d’une crise économique sans précédent caractérisée par une pauvreté aggravée par:

- Un chômage qui touche plus de 30% de la population active ;
- La contraction des activités du secteur privé national ;
- L’orientation des ressources de l’Etat vers des soi-disant projets d’infrastructures sans rapport avec les priorités du pays (Eléphants blancs) ;
- La cessation de paiement de certains établissements publics au moment où l’on en crée d’autres dont la rentabilité et l’intérêt économique sont loin d’être établis ;
- La chute des revenus des ruraux, consécutive, entre autres, à la baisse des prix des petits ruminants ;
- Une montée vertigineuse des prix des denrées de première nécessité.

Après avoir minimisé cette situation (le Premier Ministre ignore totalement la question des prix dans son discours devant l’Assemblée Nationale et accuse même l’opposition de mettre de l’huile sur le feu), le gouvernement, paniqué par l’exemple de la révolution du jasmin en Tunisie, lance brusquement, en grandes pompes, une opération dite de solidarité avec pour objectif annoncé, de venir en aide aux populations les plus démunies (deux ministres ont sillonné le pays pour propager une contre-vérité flagrante, à savoir une réduction des prix de 30%). Même si, en même temps, certains de ses supporters, tenaient un autre discours, clamant que, bien avant les pays arabes en ébullition, la révolution a déjà été faite en Mauritanie par Mohamed Ould Abdel Aziz.

Au delà de la légalité plus que douteuse de cette opération, qui a consisté à puiser dans les maigres ressources du trésor public, plus de neufs milliards, hors budget, (Aucun acte légal ou réglementaire n a été présenté à la session parlementaire extraordinaire qui devait s’ouvrir les jours suivants), nous présentons dans ce qui suit, une analyse du système d’approvisionnement du marché en denrées de première nécessité, et une critique de l’opération « boutiques de solidarité », afin de dévoiler sa nature réelle et faire des suggestions de mesures concrètes visant à alléger les souffrances des populations face à la montée vertigineuse des prix.


II. Principaux facteurs internes de la flambée des prix

II.1 La constitution de monopoles avec la complicité de l’Etat

Le marché est approvisionné principalement par des importateurs, la production nationale de riz, de blé, et d’huile étant très faible et quasi inexistante pour beaucoup d’autres produits.

Près de 80% des approvisionnements importés en riz, blé et sucre proviennent de trois gros importateurs.

Le tableau ci-après donne les parts de marché de ces importateurs ainsi que leur évolution de 2009 à 2010 pour les trois denrées citées ci dessus.


Tableau 1 : parts de marché des trois principaux importateurs

Importateurs
Parts de marché 2009
Parts de marché 2010
Groupe Ghadde
36%

43%
Groupe MAOA
27%
24%
Groupe AON
7%
12%
TOTAL
70%
79%


Il est très clair que nous faisons face à une situation de monopole avec position largement dominante pour le groupe Ghadde qui contrôle désormais 43 % du marché contre seulement 36 % pour les deux autres concurrents réunis les plus en vue, premiers importateurs du pays jusqu’en 2005. Il est aujourd’hui en mesure d’imposer les prix du riz, du blé, du sucre et de l’huile à tous les importateurs, y compris aux deux autres Groupes cités.

Ce renversement des positions et le processus de concentration monopolistique se sont particulièrement accélérés au cours des deux dernières années. Il est alors plus que légitime de s’interroger sur l’incidence de la proximité avec le pouvoir actuel, dans cette évolution fulgurante.

Par les accointances développées avec les régimes politiques successifs, et les avantages injustes que ces derniers accordaient (taxes douanières supprimées, transfert de devises aux meilleurs taux, accès prioritaires au quai des navires) les importateurs proches du pouvoir ont réussi à inverser les positions sur le marché et à en exclure les autres, les unes après les autres, ou à en faire leurs distributeurs.

C’est ainsi qu’en dix ans, le nombre d’importateurs de blé, sucre et riz est passé de plus de 15 à moins de 5 importateurs. Un tel monopole d’un groupe réduit ouvre la porte à tous les abus : entente illicite sur le prix, contrôle de réseaux de distribution, création de pénuries fictives, fausses déclarations sur la marchandise, prise en otage du consommateur, etc.…

En plus d’être importateurs et réceptionnaires, ils sont pour la plupart, transitaires et manutentionnaires de leur propre marchandise. Face à leurs déclarations contradictoires sur la même marchandise auprès des différents guichets (douane, BCM etc.), les pouvoirs publics préfèrent fermer l’œil, prendre le risque de manques à gagner importants pour le trésor public sans impact par ailleurs sur le niveau des prix. La porte est ainsi ouverte aux manipulations de tout genre.

La libre concurrence, « la main invisible et régulatrice du marché », invoquée par le libéralisme, disparaît ainsi. Des prix de monopole sont imposés sans égard à la loi de l’interaction libre entre l’offre et la demande. Pourtant aux USA, pays du libéralisme par excellence, les lois anti trusts ont été créées pour lutter contre ce diktat d’un groupe restreint sur la collectivité nationale. Chez nous, on fait la politique de l’autruche en laissant la voie libre aux monopoles privés. Serait-ce le renvoi de l’ascenseur en compensation du financement « salutaire » de la fameuse motion de censure pour renverser le gouvernement du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi en juin 2008 ou des grandes contributions à la campagne présidentielle 2009 ?

Tout comme il est légitime de se poser la question de savoir à qui a profité la mort programmée de la SONIMEX, unique outil d’action de l’Etat sur le marché, auquel les pouvoirs publics avaient confié jadis, la difficile mais nécessaire mission, de stabiliser les prix en cassant les monopoles privés. La preuve irréfutable de cette mort programmée, est le fait que depuis le coup d’état de 2008, le registre au port affiche zéro bateau reçu par la SONIMEX.
Cette société s’est pourtant, admirablement bien acquittée de sa tache de stabilisation des prix en contrôlant 10% du marché en 2007 et 2008, quand elle recevait régulièrement des bateaux. L’abandon de cette société et le sort qui lui est réservé aujourd’hui, après une si bonne performance, ne peut être le fait du hasard.

II.2 Flambée des prix, marges exorbitantes et inflation :

Dans son plaidoyer cherchant à justifier l’augmentation des prix, le gouvernement cite exclusivement des facteurs internationaux ; en particulier « le déséquilibre structurel entre offre et demande mondiale et d’une part et d'autre part, l'occurrence de phénomènes naturels tels les incendies en Russie et les inondations en Australie ». S’il est indéniable que les cours mondiaux de certaines denrées connaissent à l’heure actuelle une flambée inquiétante, il n’est cependant pas admissible de passer sous silence que le prix de vente sur notre marché est composé d’une part, d’un prix à l’importation (CAF) sur lequel nous n’avons pas de prise, et d’autre part d’une composante nationale, constituée de frais divers et autres bénéfices, et dont l’importance dépend bien de nos décideurs.
Une analyse sommaire permet de se rendre compte que la flambée des prix sur nos marchés, est due à la conjonction du facteur externe et du facteur interne.

La cause principale de cette flambée des prix sur le plan interne, est le contrôle du marché des denrées de première nécessité par des monopoles de fait, voire par un seul, avec le consentement voire la complicité des pouvoirs publics. Ici sont plutôt en cause les marges exorbitantes que ces monopoles réalisent sur le dos du consommateur.

Le tableau 2 ci-dessous montre le niveau très élevé voir scandaleux des marges dégagées par les commerçants. Le tableau 3 Indique les surcoûts directs induits par la gestion portuaire. Le tableau 4 démontre que l’augmentation des prix ne peut être mise sur le compte de l’inflation.



Tableau 2 : Marges bénéficiaires


Prix de revient de la tonne
Prix de vente de la T aux détaillants
Marge de l'importateur
Marge importateur en %
Prix de vente T aux consommateurs
Marge du détaillant
Marge détaillant en %
Total marges
Sucre
225 950
248 000
22 050
9,75%
300 000
52 000
20,96%
74 050
Riz
147 650
175 000
27 350
18,5%
220 000
45 000
25,7%
72 350
Blé
120 081
130 000
9919
8,3%
140 000
10 000
7,69%
19 919

Les marges sont trop élevées tant au niveau du grossiste que du détaillant, le tout étant supporté par le consommateur : 74 UM sur le kg de sucre par rapport au prix rendu magasin du grossiste, 72, 35 UM sur le kg de riz par rapport au prix rendu magasin du grossiste et 19,9 UM sur le kg de blé par rapport au prix rendu magasin du grossiste. C’est exorbitant. On a des différences de 32,9% pour le sucre, 49% pour le riz et 16,5% pour le blé, par rapport au prix de revient rendu magasin du grossiste.

Par ailleurs, l’examen des charges venant s’ajouter au prix CAF pour aboutir au prix rendu magasin du grossiste importateur (tableau II.3 ci-dessous) montre qu’il y a à ce niveau des éléments non négligeables pouvant être réduits et qui pèsent également sur le consommateur. Il s’agit de la manutention bord, des droits du port, de la douane, du BEMOP et du transport du port à la ville. L’Etat peut également intervenir sur une partie de ces coûts pour contribuer à la diminution des prix.

Tableau 3 : Charges s’ajoutant au Prix CAF


Sucre
Blé
riz brisures
Coût CAF $ US
800$
300€
500$
Coût CAF UM
220 000
114 600
13700
Douane
1 500
2 021
7 500
Droit de port
1 000
410
1 000
Manutention bord
1 300
1 000
1 000
BEMOP
1 000
1 000
1 000
Transport port – ville
800
800
800
Déchargement magasin
350
350
350
Total Douane et freigh forwarding
5 950
5 581
11 650
PRIX DE REVIENT RENDU MAGASIN
225 950
120 081
175 450

Bien que les taux officiels de la tarification douanière soient respectivement de 32.8% pour le sucre, 3.5% pour le blé et 8.6% pour le riz, les pouvoirs publics recourent plutôt à un système de forfait en matière de perception tel que révélé par le tableau ci dessus.
L’objectif déclaré de cette violation de la loi de finances, est d’éviter au consommateur un renchérissement encore plus important des prix qu’aurait engendré l’application stricte des taux de perception officiels. Ce « noble souci » pour les intérêts des plus démunis, ouvre en réalité la porte à l’opacité, et profite au premier chef aux proches du pouvoir. Il est de notoriété publique aujourd’hui, au port de Nouakchott, que le système de forfait se fait à la tête du client. Ce qui contribue fortement dans le processus de concentration monopolistique de l’importation mentionnée plus haut.

Tableau 4 : Variation des prix de 2008 à nos jours


Prix de vente T aux consommateurs actuel
Prix de vente T aux consommateurs 2008
Variation actuel/2008
Variation actuel/2008 en %
Sucre
300 000
130 000
170 000
130%
Riz
220 000
120 000
100 000
83%
Blé
140 000
50 000
90 000
180%


Tableau 5 : Inflation


2008
2009
2010
Inflation
7,3%
2,2%
6,1%

Les variations des prix de ces denrées ne peuvent nullement être mises sur le compte de l’inflation. En effet, le tableau 5 ci dessus montre que l’inflation cumulée de 2008 à 2010 est estimée à 15,6%. Cette inflation est largement inférieure à la variation des prix pour la même période. Nous avons des variations largement supérieures : 130% pour le sucre, 83% pour le riz et 180% pour le blé (Tableau 4).


II.3 Augmentation répétitive du prix des hydrocarbures

En plus des marges imposées par les monopoles, se trouve également l'augmentation par le gouvernement de manière répétitive et substantielle des prix des hydrocarbures. Le cumul de ces augmentations pour l'année 2010 est de près de 20%. Les hydrocarbures étant le produit dont l'inflation est la plus diffuse dans l'économie, on ne pouvait mieux faire si l’on voulait provoquer une flambée des prix ! D’autant que la structure des prix de ce produit comporte de multiples taxes destinés à renflouer les caisses de l’Etat pour compenser les déficits provoqués par une gestion chaotique. D’ailleurs, les pouvoirs publics ne se préoccupent guère de surveiller cette dimension importante du problème de la hausse des prix.
La situation à ce propos est d'autant plus cocasse, que des augmentations du prix des hydrocarbures se font au moment où le directeur des hydrocarbures prétend avoir ramené le coût du cabotage du gasoil de 22 à 15$. Soit un gain de 7$ par tonne métrique transportée, et de plus de 5 millions de $ sur les 700 000 t consommées par an. Si cette réduction est réelle, pourquoi ne l'a t'on pas déduite directement de la structure de coût des hydrocarbures ?


III. Critique du système des « Boutiques de solidarité »:

Le principe d’alléger le prix des produits de première nécessité pour les populations les plus défavorisées est en soit louable. Mais le système des boutiques de solidarité mis en place, plutôt que de répondre à l’impérieuse nécessité d’endiguer la flambée des prix, va plutôt dans le sens de profiter de la situation d’urgence pour faire à nouveau des cadeaux aux monopoles, sans assister véritablement les plus pauvres.

III.1 Le renforcement des monopoles

En mettant l’argent du contribuable à la disposition des importateurs privés, sous le couvert d’une opération de solidarité (sans appel d’offres ni même consultation restreinte), dans le cadre d’un marché de gré à gré accordé à deux importateurs, le gouvernement aggrave la situation de monopole.

Mettre en avant la Fédération du Commerce, est un leurre qui ne trompe personne. Les stocks dans lesquels on a puisé, appartiennent à un ou deux monopoles privés.

De plus, les denrées mises dans les boutiques de solidarité sont achetées auprès des monopoles, plus cher que le prix de vente en gros sur le marché (voir tableau ci-dessous) au lieu de réduire les marges bénéficiaires déjà exorbitantes. A ce gain facile, s’ajoute d’autres frais supportés par le contribuable comme le transport (2000 UM la tonne) et les frais de gestion de la boutique à 15 000 UM la tonne. En plus, la non généralisation de la mesure de réduction des prix fait que des produits identiques sont vendus sur le même marché à des prix différents. Il y a donc une opportunité d’arbitrage permettant à certains commerçants de gagner de l’argent sans dépenser une seule ouguiya, en vendant une partie des produits de l’opération de solidarité au prix du marché.

III.2 Attribution illégale de fonds publics à des monopoles et absence totale de contrôle

L’argent du contribuable est donné à des monopoles privés que l’on charge d’approvisionner des points de vente choisis par des semi - grossistes choisis eux-mêmes par le cartel constitué pour l’opération solidarité. Cela ressemble à un détournement de biens publics.

Par ailleurs, le dispositif de contrôle est purement formel. Dans les faits, cette opération est entièrement laissée à la discrétion des opérateurs qui sont à la fois fournisseurs et livreurs de leurs marchandises à des points de vente choisis par eux (au moins pour les 250 boutiques prévus à Nouakchott)!

III.3 La majorité des plus pauvres ont été oubliés.

L’opération élaborée par le gouvernement vise selon ses concepteurs, une population dite pauvre estimée à 120 000 familles à raison de 5 membres par famille, soit 600 000 personnes seulement, alors que le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté 2011-2015 qui vient d'être adopté par le gouvernement, estime à 1.382.200 le nombre de pauvres en Mauritanie en 2008 et ajoute même que ce nombre ne cesse d'augmenter (page 10).
Le document souligne qu’en 2008 « 42% de la population mauritanienne vit en dessous du seuil de pauvreté, tandis que 25.9% vit dans l'extrême pauvreté. »
Il apparaît ainsi, que les planificateurs du gouvernement ont laissé à leur triste sort près de 60% de la population concernée.

Autre insuffisance majeure dans cette opération à laquelle pourtant une gigantesque promotion a été assurée à travers les medias publics : la répartition géographique arrêtée. En effet, et au-delà du fait que le nombre de boutiques ouvertes est très insuffisant (600 pour toute la Mauritanie) leur répartition géographique fait une confusion énorme entre densité de population et pauvreté. Laissant ainsi supposer que la population pauvre est principalement urbaine. C'est ainsi que le nombre de boutiques à Nouakchott seule (250) équivaut à celui de 8 régions : Hodh Charg, Tagant, Brakna, Gorgol, Guidimakha, Assaba, Trarza et inChiri (249 boutiques).
Et pourtant le Cadre Stratégique cité plus haut, souligne que La pauvreté "reste d'abord un phénomène rural, avec une incidence de 59.4% contre 20.8% en milieu urbain. En outre la zone rurale abrite plus de trois quarts (77,7%) des pauvres du pays"

En plus de tout cela, le manque de contrôle et de transparence soulignés plus haut, ne permet nullement de s’assurer que les populations ciblées officiellement, profitent réellement de cette opération

III.4 L’impact de l’opération est insignifiant

En milieu urbain, le temps d’attente pour être servi dans une boutique de solidarité est très long, 3 à 4 heures. Chaque boutique de solidarité étant chargée de servir 200 familles, avec un temps de service d’au moins cinq minutes par personne, il faudrait 1000 minutes, soit plus de 16 heures par jour pour servir tout le monde. Dans certains quartiers, le prix du taxi ou la peine à prendre pour rejoindre le point de vente le plus proche et pour le retour, ajouté au prix de la ration à acheter (1 litre d’huile, 1 kg de sucre et des 2 kg de riz, le blé reste introuvable), rend plus économique d’ignorer les « boutiques du président des pauvres » et de faire ses achats dans la boutique ordinaire d’à côté.
Pourquoi faut-il imposer tant de peine pour obtenir si peu à des populations déjà accablées par la misère ? Pourquoi les soumettre à cette humiliation quotidienne de faire la queue des heures durant pour acheter de surcroît ce qui équivaut traditionnellement à de la charité ?

En milieu rural, la situation est pire, le délai de route pour rejoindre une boutique peut prendre une journée tout entière. Les ruraux pauvres, comme tous les autres ruraux, ne peuvent donc se soumettre au régime des emplettes quotidiennes propres à des populations urbaines.

C’est pour une telle opération inefficace, illégale et sans aucun impact, que deux ministres ont sillonné le pays au frais du contribuable, pour témoigner auprès des populations que 600 boutiques de solidarité ont été ouvertes afin d’alléger la souffrance de 600 000 « pauvres » par une diminution de 30% des prix. Et occultant le fait gravissime que 800 000 autres vrais pauvres ont été abandonnés à leu sort.
Le moins qu'on puisse dire, est qu'il s'agit là, d'une grossière insulte à l'intelligence des Mauritaniens. La désaffection des populations à l’encontre des « boutiques du président des pauvres », observée tant dans les villes que dans les campagnes, en dit long sur l’échec de cette lamentable et désastreuse opération de manipulation de l’opinion.


IV. Propositions de mesures immédiates

1) Transformer « l’opération boutiques de solidarité » en opération de distribution gratuite à des groupes cibles d’extrême pauvreté et en confier la mise en œuvre au CSA, au Croissant rouge mauritanien avec la participation des conseils communaux.

2) Une baisse immédiate et généralisée des prix des denrées de première nécessité : Riz, sucre, blé, huile et lait

Compte tenu de l’ampleur des marges bénéficiaires (par rapport aux prix de revient rendus magasin de l’importateur) et des autres charges imposées par l’Etat, il est impératif et possible d’opérer une réduction généralisée des prix de ces denrées d’au moins 15% pour alléger les souffrances de nos populations très majoritairement pauvres tout en permettant aux importateurs et détaillants de faire des marges raisonnables.


3) Empêcher les situations de monopoles

La lutte contre la concentration de l’activité d’importation entre les mains d’un groupe d’importateurs restreint, passe par un retour à des règles transparentes, connues de tous et équitables dans l’attribution des devises, le paiement des droits de douanes, à l’application, pour l’accostage des bateaux au port, de la règle « premier venu premier servi » et priorité pour les lignes régulières. Cela passe également par l’arrêt de cette vilaine pratique d’un service public rendu à la tête du client.

Dans le même cadre, interdire le contrôle de plus de 20% des importations d’une denrée de première nécessité par un seul importateur.

L’Etat, s’il veut réellement empêcher la constitution de monopoles, devrait aussi encourager l’émergence d’un pôle d’importateurs moyens, en leur accordant des moyens et des facilités pour la mise en place de circuits de distribution concurrents. A défaut de réussir un tel objectif, faire revivre la SONIMEX en l’améliorant et en lui accordant des moyens suffisants pour assurer de 10 à 15% des importations des denrées de première nécessité pour contribuer à la baisse et à la régulation des prix.


4) Mise en place d’un Observatoire des prix :

La principale faiblesse dans le dispositif actuel, est l’absence d’un outil à la disposition des pouvoirs publics et permettant de centraliser les données relatives au circuit d’importation en particulier des matières de première nécessité.

Il existe bien une direction de la concurrence au niveau du ministère du commerce, mais cette direction est complètement inopérante, du fait du manque de ressources humaines et de moyens matériels.

La mission de cet outil est pourtant fondamentale et peut se situer à trois niveaux :

a) Suivre le niveau des stocks nationaux par rapport aux besoins avec pour objectifs de :
- Anticiper d’éventuelles pénuries, particulièrement dans les périodes sensibles comme les catastrophes naturelles, au plan national ou international, le Ramadan, la période de soudure ;

- Identifier le calendrier ainsi que le volume de la production nationale afin de définir avec la plus grande précision, le déficit céréalier national périodique (3mois) et sur l’année. Dans la perspective d’éviter que les importations ne viennent gêner l’écoulement de la production nationale, ou qu’à l’inverse la période de soudure ne puise pas être couverte par des quantités d’importation adéquates ;

- Suivre le cours des denrées sur le marché international, afin de fournir aux décideurs privés et publics les éléments objectifs permettant de reconstituer les stocks aux moindres coûts ;

- Définir annuellement et scientifiquement le niveau de l’aide d’urgence dont le pays a besoin, avec suffisamment d’avance pour permettre aux donateurs d’agir efficacement.

b) Etablir la structure de coût de chaque matière d’importation avec pour objectifs :

- Identifier les éléments objectifs de cette structure (coût d’achat, fret, assurance, manutention) afin de proposer des solutions pour les réduire. A titre d’exemple, un encadrement des importateurs nationaux à travers un regroupement des besoins, peut réduire les coûts d’achat et de fret. Des tribunaux de commerce plus justes et moins corrompus et dotés de moyens peuvent réduire les coûts d’assurance ;

- Identifier les éléments subjectifs de cette structure, à savoir des marges bénéficiaires exorbitantes réalisées par les importateurs et les demi-grossistes et proposer les solutions de rechange.

5- Instaurer une administration des prix pour empêcher les marges énormes réalisées par les importateurs sur les produits de première nécessite (voir la structure des coûts d'importation).

Pour faire face aux abus des monopoles, en plus des suggestions ci-dessus, nous devons nous inspirer des expériences de nos voisins, notamment le Sénégal.

Notre voisin du sud vient de décider de revenir sur ce régime de la liberté des prix et d'appliquer un système d'administration des prix. « L'avantage de ce régime, selon le ministre sénégalais du commerce, Amadou Niang, est qu'il nous permet de suivre l'évolution des cours internationaux .Mais il permet aussi de suivre les marges des industriels, les marges des distributeurs, et les marges des micro-détaillants."

Pour réaliser ce projet beaucoup plus ambitieux que le nôtre, six matières de première nécessité sont concernées (sucre, riz, savon, tomate, huile et lait), les autorités sénégalaises disposent d'un outil efficace qui nous fait défaut. Il s'agit du Conseil National de la Consommation.
Le résultat de l’opération sénégalaise est une réduction générale des prix de 15%.

6) Subventionner les agriculteurs nationaux à la production.

Pour réduire la dépendance vis-à-vis de l’extérieur en matière d’approvisionnement en denrées agricoles de première nécessité, subventionner les agriculteurs à la production au détriment des importateurs des mêmes denrées.

7) Démocratiser l’élaboration de la structure des coûts des hydrocarbures en la confiant à une Commission Nationale élargie aux associations de consommateurs ainsi qu’aux opérateurs impliqués avec un exercice régulier du contrôle parlementaire afin d’en assurer la transparence et la pertinence. Il est en effet scandaleux que la gestion d’une variable économique aussi sensible, parce que redoutablement inflationniste, que le prix des hydrocarbures soit proposée par un seul individu (le directeur des hydrocarbures) et arbitrairement fixée par un ministre, en fonction des besoins momentanés de recettes d’un gouvernement, quelle que soit par ailleurs sa légitimité.

8) Faire revivre le Conseil Economique et Social, comme cadre national de débat et de validation des politiques et mesures envisagées face aux grandes questions sociales de l’heure.

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