samedi 19 février 2011

rédigé en Juin 1970 - une interprétation de la Mauritanie et du président Moktar Ould Daddah




écrit sans titre . juin 1970

– après avoir suivi le Conseil national du Parti du Peuple Mauritanien, tenu à Tidjikja . 25 Mars au 3 Avril 1970,
puis une tournée présidentielle de prise de contact du 17 au 23 Avril 1970 : Boumdeid, Ould Yenge, Kaédi –
pour servir d’introduction à l’anthologie des discours et messages du président Moktar Ould Daddah
qui devait être publiée à l’occasion du Xème anniversaire de l’Indépendance

texte saisi numériquement sans retouche que l’orthographe et quelques majuscules




de la Mauritanie



Bertrand Fessard de Foucault
futurement – Ould Kaïge . surnom donné par le président Moktar Ould Daddah











Un pays immense, sévère, silencieux que tout prédipose à la dispersion et au morcellement, en tout cas à la solitude : une contrée apparemment homogène si le blanc des cartes et des atlas ne masquait mille paysages des oasis de l’Adrar au Oualo, des tables violettes du Tiris et du Zemmour baignées des herbages vert crû de l’hiuvernage jusqu’aux dûnes de l’Azefal ou de la côte oxéane ; une terre si vaste qu’elle s’essouffle en sable et en coquillages, qu’elle éteint tout bruit, toute rumeur, toute plainte.

C’est pourtant la Mauritanie une et indivisible, si tendre dans la rumeur nocturne des campements, si stridente dans le chant aigü du puits ou le sifflet toucouleur, si changeante dans chacune de ses pistes et dans chacun de ses enfants.

Un pays peu connu, un terrain de parcours sillonné par des caravanes immémoriales, de mystérieux courants de troc, de lents brassages de populations, de subites et décisives invasions.

La Mauritanie amalgamée en deux générations sous la même autorité administrative, érigée voici seulement dix ans en une République indépendante, demeure encore aujourd’hui oubliée des journaux, de la télévision et des amateurs de science politique. Une proclamation d’indépendance en des circonstances mouvementées, des débats aux Nations Unies ou une visite officielle d’importance, la mettent quelques jours « à la une » des organes d’information. Mais l’analyse dépasse rarement la recension de quelques dates électorales et de statistiques souvent peu sûres, quand il ne s’agit pas de la description facilement suggestive de quelque folklore.

Pour connaître la Mauritanie telle qu’elle est et dans ce qu’elle veut être, il faut aller à elle pour elle-même, d’une certaine manière s’y consacrer. En se laissant imprégner d’elle et de l’œuvre de ceux qui la construisent, on finit par se pénétrer d’un nouvel être, d’une intelligence et d’une sensibilité autres : on se convertit à la Mauritanie, et par elle au désert, au développement, à la fierté de soi, au Dieu unique et transcendant. On n’oublie rien de la vie des tentes, de l’animation des marchés du Fleuve ; on médite toujours la vied ‘ici-bas et d’au-delà ; on demeure intransigeant dès qu’honneur, fraternité et justice sont en jeu. Mais on vient à un dessein politique, on entre dans la lente invention des institutions, dans le perfectionnement des concepts et des méthodes, on discerne le changement à peine perceptible s’il est mesuré sur une seule année, mais éclatant à considérer les quinze dernières, qui fait se mobiliser un peuple dont l’attentisme remontait à l’origine.
Le but de ce livre est d’introduire à la Mauritanie contemporaine en suivant – par les discours et les messages qui l’ont jalonnée et continuent de l’illustrer – le cheminement du projet, de l’analyse et de l’action de celui qui en est responsable depuis le 20 Mai 1957 : Maître Moktar Ould Daddah.



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La Mauritanie ne semble pas avoir de frontières naturelles sur la carte, ses limites courent en droite ligne ou se cassen en angles bien nets à l’exception des régions méridionales dont le contour irrégulier est dessiné par le fleuve Sénégal. A l’intérieur, d’elle-même, on ne croit ne pouvoir trouver davantage d’unité. La population se disperse en oasis, en escales fluviales, voire dérive au gré des saisons et des pluies. Les agglomérations traditionnelles de Tdijikja, d’Atar, de Néma, de Oualata, de Chinguetti, de Kiffa comme les centres modernes de Nouakchott, de Zouérate, de Nouadhibou, d’Aïoun-el-Atrouss sont comme des îles perdues dans le vide saharien ou les rochers d’un gigantesque et méditatif jardin Zen. Encore faut-il remarquer que l’essentiel ne vit pas en ville mais sous tentes dans des campements disséminés et eux-même peu peuplés. A première vue, la Mauritanie n’existerait donc pas.

Pourtant, cette insularité multiple forme le tiss de mille cohésions. Les caravanes, les campements suivent de véritables routes et s’établissent en des points toujours identiques. Ces gens aux modes de vie si différents, marchands et cultivateurs sédentaires du sud ou des palmeraies, nomades chameliers ou moutonniers, et aujourd’hui fonctionnaires ou ouvriers sont liés par d’innombrables relations familiales, domaniales, commerciales. A tous, le désert impose vêtement, manière de réagir et de penser quelles que soient leur couleur de peau ou leur lieu d’habitation. Tous se réclament de l’Islam et le pratiquent de même manière, enseignés qu’ils ont été et sont par les mêmes mâitres. On sent tout de suite si l’on se trouve ou non en Mauritanie ; point n’est besoin de montagnes ou de fleuves pour endiguer ou protéger ce peuple, pour le caractériser : regard et espace suffisent.

L’histoire le montre bien comme si une étrange complicité des paysages, des clinats et des hommes faisait que la Mauritanie absorbe, transforme, adapte, convertit et demeure siècle après siècle irréductible à toute absorption qu’elle vienne du nord ou du sud, d’occident ou d’orient. Chaqe envahisseur apporte qui sa langue, qui sa religion, qui ses méthodes d’adlministration, mais les gens du désert et leurs parents des escales restent les mêmes.

Sans doute les Beni Hassan introduisent l’organisation émirale et la langue arabe, sans doute fixent-ils des structures sociales ; mais l’Islam était pratiqué bien avant leur venue et même prpeché à toute l’Afrique occidentale depuis les Almoravides, et les droits et devoirs du chef qu’il soit celui de la tribu, de la fraction ou du village étaient déjà codifiés par des siècles de coûtumes.

Sans doute les Français apportent une administration écrite et survivant à la personne de celui qui en a momentanément la charge, sans doute unifient-ils pour la première fois le pays sous une seule autorité ; mais leur difficile pénétration, l’attentisme jusqu’à ce qu’ils aient conquis l’ensemble de ce qui est aujourd’hui la Mauritanie, montrent bien que dès 1900 le Trarza se sait solidaire du Tagant et le Tagant de l’Adrar et du Hodh et le Hodh de l’Assaba et du tagant, et le Fleuve du désert.

D’ailleurs, est-il seulement arabe ce dialecte hassnya ?est-il seulement français cet Etat de droit ? Et qu’est la démocratie en Mauritanie ? celle du parti communiste ? celle des Républiques parlementaires ? Ne serait-ce pas structurée par le Parti unique, prêchée à travers tout le territoire, maintenue par la persuasion, le tête-à-tête et un projet constamment enrichi, l’antique organisation qui régissait le campement minuscule ?

Comme elle adapte et transforme à son contact et en son milieu tout ce qui lui parvient du dehors : idées, institutions, vocabulaire et technique, la Mauritanie crée jusqu’à l’homme. Le courant qui joint l’Afrique du nord et l’Afrique subsaharienne, c’est elle qui le détermine et le filtre. Elle est à la fois ce courant et autre chose, tant la rivière d’hommes, de religion, de produits coulant dans les deux sens au travers du Sahara occidental, laisse un dépôt unique : l’homme mauritanien. En elle descend vers le Sénégal le legs berbère, arabe et musulman, la civilisation écrite et universelle ; par elle remonte à la Méditerranée la sagesse, le plein air, un secret qui ne se transcrit pas maos se chante. La Mauritanie peut unir l’Afrique noire et l’Afrique blanche, parce qu’elle est les deux à la fois, et dans chacun de ses fils. Maures, Sarakollés, Toucouleurs, Ouolofs ont acquis les uns des autres une coûtume, un tempérament, un vêtement, un habitat, une nourriture, une religion. L’ensemble est mauritanien.



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Les révolutions en Mauritanie n’affectent donc ni le tempérament de l’homme, ni l’organisation de la vie collective. Elles sont lentes, presque indéchiffrables dans l’instant.

Historiquement, ce sont d’abord des migrations qui font entrer et sortir du désert des peuples blancs ou noirs, mais les entrelacent et les marquent définitivement de leur séjour saharien. A chaque vague de ce va-et-vient correspondent des hégémonies éphémères et le déplacement d’est en ouest de courants commerciaux et de capitales politiques. Chaque fois, le choc vient de l’extérieur qui redistribue entre les populations avoir et pouvoir. L’arrivée des Maq’il à partir du XVème siècle consacre un état de mœurs et de relations et impose des structures politiques en lmême temps qu’une culture et un commandement : c’est encore une révolution venue du dehors, mais à son tour l’envahisseur se « mauritanise ».

La révolution suivante va opérer la même novation à partir de l’intangible ; mais les fondements de la Mauritanie d’aujourd’hui en sont issus, comme si la France allait saisir en cinquante ans de présence souveraine un matériau millénaire et sans cesse en mouvements intérieurs.

Depuis longtemps établie au Sénégal, maintenant assurée de sa présence en Afrique du nord par la conquête de l’Algérie et le protectorat tunisien, la France républicaine songe à un empire africain. Sans réel plan d’ensemble, ses troupes occupent l’arrière-pays jusques là parcouru par les seuls missionnaires et marchands. La Mauritanie est la dernière à succomber à cette logique de la géographie. En apparence, elle n’est pas conquise pour elle-même. Le Gouvernement Général de l’Afrique Occidentale Française fait surtout valoir des raisons stratégiques d’autant plus évidentes que la question marocaine est posée depuis 1900 et que la vieille ville française de Saint-Louis est à portée d’un coup de main des Maures. Pourtant, le maître d’œuvre de la pénétration française dans le pays, Coppolani, prend la Mauritanie pour ce qu’elle est. Sans doute vante-t-il ses possibilités économiques qu’il ne soupçonne qu’agricoles ; mais son expérience algérienne, puis ses missions au Hodh et au Soudan en ont fait un expert et un amoureux de l’Islam du désert. Cete conjonction d’un intérêt militaire et d’un attrait intellectuel marque la jeune colonie dès ses débuts de 1905 et jusqu’aux derniers temps de l’opération « Ouragan » en 1958.

En Mauritanie, la France tâtonne et hésite ; petit à petit, elle reconnaît chaque classe sociale, chaque région : les marabouts sur lesquels s’est appuyé le fondateur, 1es guerriers dont ses successeurs Montané-Capdebosc et Gouraud pressentent la crise morale et sociale, les gens du Fleuve d’abord auxiliaires de la pénétration puis envisagés pour eux-mêmes par Gaden. Le Trarza est le noyau – d’abord double – du futur ensemble en 1903 ; puis le Brakna en 1904, le tagant en 1905, la Baie du Lévrier, l’Inchiri, l’Adrar en 1908-1909. L’administration des régions méridionales et orientales est tentée de plusieurs manières : les cercles du Gorgol et de l’Assaba apparaissent et disparaissent, le Hodh n’est rattaché dans son entier au territoire qu’en 1944. Quant au nord, placé sous la souveraineté longtemps théorique de l’Epsagne, la France y reconnaît dans la pratique militaire consacrée par les expéditions de 1913 ou de 1958, qu’il est le prolongement nécessaire de la Mauritanie, ce que ses habitants expérimentent chaque saison.

Même intuitions et mêmes irrésolutions pour l’enseignement de la langue arabe, pour l’organisation de la justice eu égard à la coûtume, pour l’égalité devant l’impôt, pour la participation à la gestion des affaires locales. Pendant cinquante ans, les Mauritaniens – et surtout ceux d’entre eux qui servent dans l’administration – découvrent leur propre pays dans ses limites, dans ses terrains de parcours pacifiés, dans ses diversités et complémentarités régionales, dans un effort d’équipement et de scolarisation la prenant comme un tout ; mais les problèmes inhérents à sa composition ethnique et sociale, à ses mentalités, à ses aspirations sont « gelés ».

La présence française apporte cependant une nouvelle révolution en Mauritanie ; dès 1905 se tend la ligne télégraphique qui va desservir le pays à partir de Saint-Louis. Vingt ans plus tard, la liaison automobile Rosso-Atar est réalisée tandis que les premières patrouilles aériennes sont effectuées. Surtout, l’éparpillement de la population est enfin pallié par un réseau de plus en plus dense et rapide de communications, par la présence constante sur le terrain de l’administration, par la normalisation des règles et des coûtumes, par la sécurité que troublent certes les derniers combats des années trente ou le soulèvement hamalliste, dix ans plus tard, mais qui est assurée dans l’ensemble. Une mutation s’opère que quelques-uns seulement ont pressenti à l’instar de Chiekh Sidya, l’allié de Coppolani : la sécurité des voies de communications, des terrains de parcours, des marchés d’échange, le recensement et l’impôt, le contrôle des migration,s et des armes, le maintien d’une autorité tenant certes beaucoup à la personne de ses mandants mais contrôlés de plus haut, l’insertion du pays dans un ensemble africain transforment décenie après décennie, le paysage et la mentalité de tous les jours.

Cette mutation, commencée avec l’instauration du « protectorat des pays maures », n’est toujours pas achevée lors du dixième anniversaire de l’indépendance : le recensement, la levée de l’impôt, la dépersonnalisation de l’administration, le désenclavement des îlots humains séparés par des mers de sable ou de longs temps de déplacement, sont toujours et quotidiennement l’enjeu de la lutte. Est-ce à dire que l’Etat national soit le strict continuateur, avec moyens et fins identiques, de l’Etat colonial ? Pour distinguer ce régime relativement peu contraignant et qui inscrit à son actif d’incontestables réussites et apports positifs, de celui qui convient vraiment au pays et à son peuple, il faut à coup sûr beaucoup méditer et beaucoup imaginer. Réaliser que le régime français, pourtant adapté autant que possible aux nécessités mauritaniennes, demeure étranger à sa terre et à ses compatriotes, discerner ce que peut être la Mauritanie de l’avenir, la vraie Mauritanie, et prévoir le cheminement qui convient : ce ne sont pas par quelque éclair immédiat ou une conversion subite et illuminée que Moktar Ould Daddah y parvient. Les événements, ul ne les précède pas, mais fait corps avec eux et les comprend d’autant mieux. La première révolution que la Mauritanie va enfin tenter de l’intérieur et par elle-même, il la vivra dans son âme tout en l’expliquant à ses compatriotes et en les dirigeant à travers les pièges, les leurres et les exigences de la souveraineté nationale.

Au bouleversement des civilisations et des continents remués par la technique, liés par une solidarité brutale, frappés de peur et d’idéal, les Mauritaniens doivent apporter leur réponse avant qu’elle ne leur soit imposée par quelque aveugle engrenage technologique et sociologique. Pour la première fois, la Mauritanie doit – très vite, car le précaire abri de son désert est tyraversé de vents nouveaux – modifier son tempérament, l’adapter pour en sauvegarder le meilleur et le secret.



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De sa naissance à Boutilimit en Décembre 1924 – l’année-même de la mort du grand Cheikh Sidya – jusqu’en Mars 1957 – moment où le territoire choisit dans le savoir ceux qui vont le mener du statut colonial à celui d’Etat membre de la Communauté – Moktar Ould Daddah vit comme une longue scolarité, régulière et prégnante. D’abord d’une manière toute traditionnelle, s’imbibant du legs ancestra et si fortement qu’il ne s’en défera jamais, jusqu’à son entrée à l’Ecole Blanchot à saint-Louis-du-Sénégal en 1939. Là, sa vie demeure scolaire, mais maintenant c’est d’une culture occidentale et de concepts « modernes » qu’il se nourrit. Un instant, il succombe même à ses attraits sur l’instance de ses camarades plus âgés : démissionnant de cette école qui prépare au diplôme de fils de chef servant pour l’administration, il entre dans cette dernière, passe avec aisance le concours d’interprèe et est nommé à Fort-Gouraud en Janvier 1942 ouis à Fort-Trinquet à la fin de 1943.

Alors se situe sa première mûe : elle est toute intellectuelle. Mesurant l’insuffisance de l’instruction qu’il a jusqu’à présent reçue, il est envahie d’une soif d’apprenbdre. Par diqques et assimil, il s’initie à l’anglais et s’introduit à diverses disciplines. La politique n’est pour l’heure nullement sa voie.. Il est à nouveau austèrement et studieusement en poste à Fort-Gouraud quand le territoire élit pour son premier représentant au Parlement françis, Horma Ould Babana en Novembre 1946. S’il séjourne à Saint-Louis, dans l’administration centrale de Novembre 1947 à Septembre 1948 et se trouve donc bien placé pour découvrir la vie politique naissante et assez anarchique qui caractérise alors le pays – il participe même comme membre du bureau exécutif à la fondation de l’Union Progressiste Mauritanienne – Moktar Ould Daddah ne fait pas partie du « système ». Ses études, il les poursuit en France, d’abord à Nice d’Octobre 1948 jusqu’à son baccalauréat obtenu en Juin 1952, ensuite à Paris en faculté de droit où il rencontre la future Mariem Daddah.

De politique, il n’est toujours guère question ; il ne rentre au pays que tous les deux ans, brigue certes quelque instant un siège à l’Assemblée de l’Union française mais sans insistance. En 1955, l’année de la veille des échéances, une pleurésie le terrasse, il manque donc le congrès décisif qui marque, en Novembre à Rosso, la scission de l’U.P.M. et la constitution de l’Association de la Jeunesse et se trouve sous observation médicale pendant toute la première moitié de 1956. Quand il peut enfin partir pour Dakar y accomplir son stage d’avocaty chez M° Boissier-Palun en Novembre 1956, la « Loi-Cadre » a été votée, les revendications du Maroc sur la Mauritanie sont déjà formulées et l’U.P.M. a définitivement évincé sur le plan électoral le parti de Horma Ould Babana : l’Entente Mauritanienne.

Et d’un coup, l’étudiant passe d’une vie studieuse aux responsabilités politiques : Sidi El Moktar N’Diaye, le député au Parlement français présidant aussi l’Assemblée territoriale, pense à lui comme chef du gouvernement prévu par la loi du 23 Juin 1956. Déjà, il apparaît que Moktar Ould Daddah peut cioncilier tout le monde. Elu en Mars 1957 par la circonscription où il a servi quinze ans plus tôt, il manifeste d’emblée – par la manière dont il constitue son équipe et par le projet qu’il développe devant l’Assemblée le 20 Mai 1957 – qu’il n’entend pas sa tâche comme de simple gestion. Immédiatement – sans doute ont-ils été longuement et secrètement médités – sont posés les thèmes-clés : faire la patrie mauritanienne par l’union de tous, jeunes et vieux, gens du désert et gens du fleuve, nobles et moins nobles ; la bâtir en affirmant sa personnalité culturelle par une réforme de l’enseignement (il a pris sous sa responsabilité personnelle ce département ministériel) et par la mauritanisation des acdres, et sa maturité politique par la rvendication d’une place à part dans la communauté franco-africaine et le rejet des prétentions venues du nord ou d’ailleurs.

Ce programme est mis à rude épreuve : le candidat de tout le monde n’est en réalité celui de personne ; encore plus vite que le peuple dans son entier, les extrêmistes nostalgiques ou adventistes s’en aperçoivent. Quant au jeune chef du gouvernement, à peine a-t-il surmonté un obstacle ou séduit un opposant que d’autres surgissent, que ses amis hésitent, que l’incertitude de beaucoup obscurcissent la conjioncture et le projet d’ensemble. L’union réalisée en Mai 1957 par la participation au gouvernement de l’Entente évincée de l’assemblée, semble compromise par le départ inopiné de deux ministres en Mars 1958 à Rabat. La personnalité mauritanienne originale entre le Maghreb et l’Afrique noire est contestée par ceux qui prônent en Lauritanie ou à Dakar l’adhésion du territoire aux projets fédéraux du Mali ébauchés puis mis en en place de Février 1958 à Mai 1959, et par ceux qui du Maroc ou à l’intérieur, faisant allégeabnce au souverain chérifien ou fondant la Nahda en Août 1958, prêtent à la confusion des deux et donnent matière à la propagande d’Allal El Fassi. La vocation à l’indépendance marquée par le discours d’Aleg le 2 Mai 1958 ou celui prononcé au lendemain du referendum du 28 Septembre, est également et moralement contesté par le propre parti de Moktar Ould Daddah.

Pourtant, ce dernier parvient à exorciser chacun de ces démons. Essentiellement parce qu’il a la foi et se sent assuré d’œuvrer dans la seule voie qui soit créatrice de la Mauritanie. Si l’on pose en principe la Mauritanie, alors en une logique très simple mais inéluctable apparaissent les lignes majeures de la politioque qu’elle se doit d’adopter vis-à-vis de ses voisins et du colonisateur comme à l’égard de ceux qui constituent son peuple. Même isolé parmi ses amis, le président du Conseil de gouvernement puis Premier Ministre fait surseoir à Aleg à toute décision concernant l’exécutif fédéral, maintient le contact avec les jeunes activistes, obtient de la Frabnce une indépendance sans condition puisqu’elle est proclamée le 28 Novembre 1960 en dehors de la Communauté et avant la conclusion de tout accord de coopération lequels n’interviendront que le 19 Juin suivant.

Chaque fois, les événements lui ont donné raison. Pourquoi ? Parce que les objections de chacun, il les vit lui-même. Les vœux impatients de la Nahda tout autant que la prudence atavique des dirigeants du Parti du Regroupement Mauritanien sont les siens. Sa vision d’une Mauritanie indépendante et spure d’elle-même, il ne l’invente pas ; il la reconnaît confuse mais certaine chez beaucoup de ses compatriotes ; qu’il incarne peu à peu et de plus en plus nettement ce dessein très silmple mais aux multiples implications, ce devient évident, mais il n’est pas seul à le formuler et il sait le reconnaître dans les tentatives de ses amis et des opposants. Il sait aussi ce que ecouvre de hasard ou d’opportunisme, voire d’intoxication, tel événement dont il ne se formalise qu’officiellement. Une fois les caps difficiles doublés, enfin achevé l’enfantement, il pressent que l’unité sera forgée par la nature des choses mauritaniennes.

L’allure demeure aussi « estudiantine » de ce jeune homme d’Etat méditant sur le pas de la porte de planche de sa modeste villa, squr la dûne de Nouakchott en donnant audience dans le garage ou le patio de la même villa. Mais c’est à Nouakchott et non à Saint-Louis…. Le rire sur les bancs d’école, sous la tente, dans le hangar qui accueillent les délibérations de l’exécutif et du léislatif de l’époque, est toujours aussi frais et la voix aussi timide et sourde dans son début. Mais le politique est né qui pêut être intransigeant envers les sceptiques de l’extérieur et les attentistes du dedans. Le politique qui est devenu le symbole de la nation naissante, seul interlocuteur que doit reconnaître le négociateur français, seul Président de la République possible pour la « table ronde » des partis mauritaniens réunis à partir du 20 Mai 1961 et pour l’unanimité des électeurs le 20 Août suivant, seul Secrétaire Général possible pour le parti né de la fusion de tous les autres le 25 Décembre 1961, seul arbitre admis par les élites politiques quand elles se divisent sur des revebdications particularistes surgies de procès d’intentions.

Les succès viennent alors d’un coup : les mythes d’une capitale sur le sol mauritanien et d’une mise en exploitation des gisements de fer deviennent réalités. En Novembre 1958, le Président s’installe définitivement à Nouakchott et contraint ainsi ministères, services et élites à peupler la fameuse dûne. En Mars 1960, la Banque mondiale accorde le prêt qui permet à Miferma d’exporter à partir d’Avril 1963 le minerai de la Kedia d’Idjill en quantité telle que Nouadhibou devient en quelques années le premier port de l’Afrique francophone pour le tonnage ; Le 27 Octobre 1961, la République Islamique de Mauritanie est adlise aux Nations Unies après une bataille qui fait de son entrée dans l’immeuble de Manhattan une victoire. Le pays est dès lors capable de résister par lui-même à la subversion et aux attentats d’Atar et de Nouakchott au printemps de 1961 et de Néma l’année suivante.

Tout semble doncen voie d’être acquis : l’appareil étatique est entre des mains mauritaniennes, la souveraineté nationale n’est plus contestée ni sérieusement ni efficacement, la vie politique s’est unifiée, l’équilibre budgétaire par des ressources mauritaniennes et à force d’austérité, est réalisable. Alors survient une nouvelle mûe pour Moktar Ould Daddah comme si le cheminement intime, la méditation qui modèlent son allure physique et son comportement politique, passaient parfois par une soudaine prise de conscience de l’insuffisance radicale des résultats obtenus et de la nécessité d’une conversion qualiitative complète pour que ce qui est, soit préservé et ce qui doti être, soit entrepris. Rehgard du philosophe, diagnostic du médecin, enthousiasme du néophyte, patience du sage : Moktar Ould Daddah écoute silencieusement ses compatriotes disputer et débattre et la synthèse qu’il expose en prenant la parole le dernier, est davantage celle d’observations faites que d’avis antagonistes. Juxtaposées en forme de choix, il présente le bilan du présent et rappelle le but que l’on avait été d’accord pour se proposer. La crise née des opinions divergentes au sein du Bureau Politique National du Parti unique quant aux suites immédiates à donner aux résolutions du Congrès de Mars 1963 le font s’asseoir devant la page blanche du rapport qu’il reçoit mandat d’élaborer le 4 Octobre 1963. L’événement coincide avec un voyage officiel que le Président mauritanien doit accomplir en guinée du 27 Octobre au 3 Novembre.

Jusques là réservé vis-à-vis d’un parti unique et institutionnalisé, Moktar Ould Daddah constate en quelques semaines – qu’il découvre la Guinée ou réfléchisse sur les mœurs politiques de son pays – la nécessité d’une révolution totale allant au fond des mentalités, la nécessité d’une forte organisation centralisée et rassemblant toutes les forces du pays quelles que soientr leur nature et leur statut, la nécessité enfin de remettre à une telle institution tous les moyens de l’Etat. Pour lui-même, c’est une révolution ; l pèse sur combien d’habitudes, de principels il va falloir passer et avec la même rigueur que l’étudiant qu’il était voici peu, il atteint la condition impérieuse qu’il va devoir prêcher : une conversion des esprits, une disponibilité vraie.

L’exposé d’une telle doctrine, il l’entreprend avec les mots du moment, à propos des maux que chacun expérimente à l’instant. Les propositions successives énoncées à Kaédi en Janvier 1964, puis à Aïoun-el-Atrouss en Juin 1966, enfin à Nouakchott en Janvier 1968, les illustrations fournies devant les Commissions nationales en Juillet 1966 ou lors du Conseil national de Mars 1970, les discours prononcés en toute occasion et à travers tout le pays, développeent et dévoilent à petites touches progressives le dessein d’ensemble. Après la Mauritanie fondée et assurée de 1957 à 1963, ce sont les Mauritaniens qu’il faut fonder. A Mauritanie nouvelle, préalable de tout, Mauritaniens nouveaux, gages que ce qui est commencé sera continué.



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En Décembre 1961, peut-être pas consciemment mais en tout cas de manière irréversible, la Mauritanie a choisi l’unité politique. Pourquoi ? Parce qu’il ne saurait exister d’opinions et de visions des choses suffisamment divegentes pour justifier plusieurs partis alors que le minimum reste encore à faire, minimum sur lequel tout le monde est d’accord : la construction nationale. Le multipartisme occidental correspond à une pluralité seulement possible quand un minimum de sécurité, de cohésion, de niveau de vie est atteint et que seul le « superflu » donne lieu à discussion.

Ici, si des divergences se produisent, elles sont davantage des heurts de tempérament, des conflits de moyens – parfois graves –, des discussions de calendrier ou d’opportunité que des mises en question des buts. Il s’agit de personnes ou d’équipes de recchange, non de politiques laternatives. Mieux vaut alors que les abritrages soient faits au sein du mouvement unique, puisque le choix, ( = le parti choisi, le « parti pris ») lui-même ne peut être mis en question. Et que c’est précisément par comparaison des moyens alternatifs proposés par les antagonistes aux fins acceptées de tous que se fera l’option définitive dans une conjoncture donnée. Au Parti donc de définir les fins et de choisir entre les moyens suggérés pour les atteindre.

La même logique amène à poser que l’ensemble des forces autres que traditionnellement « partisans et politiques » conjuguent leurs efforts avec ceux du Parti, non pour définir les fins (elles le sont déjà et ce sont elles qui motivent l’unification) mais pour mettre en œuvre les moyens.

L’Etat lui-même et sa tête gouvernementale n’échappent pas à ce processus d’intégration. Ils sont « politisés » en ce sens qu’ils sont les moyens du Parti. Si l’on entend par politique, les luttes verbales et la curée financière auxquelles se livrent les organisations électorales, cette main-mise du Parti sur l’Etat et le Gouvernement serait au moins choquante. Mais si l’on comprend que politique signifie développement et promotion, il serait au contraire criminel que le Parti néglige l’un des outils les plus assurés que lui ait légués le colonisateur.

Vouloir distinguer syndicats, armée, jeunesse scolaire ou universitaire, masseqs rurales, fonctionnaires de divers cadres, milieux dirigeants, c’est s’en tenir à une vision fragmentaire des choses, c’est croire que chacun de ces groupes possède en propre moyens et fins dans la Mauritanie d’aujourd’hui, alors que c’est leur seule addition, leur seul rassemblement constitutifs du Parti du Peuple Mauritanien qui en dispose.

Cette analyse théorique indique bien la fusion nécessaire de toutes les forces vives du pays orientées vers le développement national ; elle ne facilite pas l’explication des crises éventuelles ni la mise en évidence des courants qui traversent le pays et donc le Parti. Aussi, l’observateur pressé aura-t-il le sentiment qu’en cas de difficulté on revient aux méthodes d’antan et qu’en définitive l’ « on s’appuie sur les forces traditionnelels » : l’administration, les notables, l’armée, voire la centrale syndicale.

Pensant cela, on confond l’aboutissement sans cesse à parfaire d’une évolution qui est autant moyen que fin et le cheminement qui mène à cet aboutissement. Si l’on adopte un point de vue extérieur à la réalité du Parti, autant vaut dire à la réalité mauritanienne d’aujourd’hui, si l’on conitnue d’analyser en termes de forces concurrentes et fragmentées armée, masses rurales, syndicats, fonctionnaires, jeunesse, etc. il est logique que les étapes les plus importantes de la vie nationale perdent de leur signification : l’indépendance est obtenue sans effusion de sang et n’emporte pas la rupture avec l’ancienne méteopole ; les élections présidentielles et législatives se font à liste unique avec des pourcentages de participation impressionnants ; les Congrès voient leurs débats fondés sur le rapport moral du Bureau Politique sortant, rapport conçu et présenté par le Secrétaire Général constamment réélu. Les moyens classiques d’analyse restent inopérants, la vie politique semble stagnante, les changements imperceptibles ou – quand ils se produisent – imprévisibles. Et pourtant il y a lutte, changement et révolution.

C’est que ce point de vue extérieur n’est pas le bon. Plus difficile mais plus fécond est l’examen de la réalité à partir de l’intérieur. Le combat qui se livre n’est pas celui de forces politiques ou l’est peu ; il est celui de forces psychologiques. En tout Mauritanien, existe un anti-Parti et un militant, un homme vieux et un homme nouveau, ou plutôt un homme prisonnier d’habitudes de pensée, d’analyse et d’action ou d’inaction, et un être prenant conscience que ces habitudes doivent changer pour que l’essentiel de sa personnalité s’épanouisse dans un monde changeant.

Les étapes de la Mauritanie nouvelle ne sont pas à chercher dans des dates d’élection ou de congrès ; elles sont à mesurer dans l’esprit de chaque Mauritanien, à la tête de l’Etat ou perdu au fond de la brousse. C’est la découverte progressive de la nécessité quasi-métaphysique de l’indépendance politique, puis économique ; c’est l’expérience que le multipartisme en Mauritanie est vidé de tout sens et de tout élément de progrès ; c’est le choix de plus en plus conscient d’un instrument politisque, puis l’ »laboration d’abord lente et soudain éclatante d’une doctrine du Parti ; c’ests surtout l’adhésion progressive et le débat intérieur de chacun, – chacun à son niveau de compréhension et de culture –, en face du problème du développement.

On ne dira qu’en passant combien un tel débat et une telle prise de conscience pourraient être médités par les « habitants » de beaucoup de pays occidentaux qui ne se sentent ni ne se veulent plus citoyens ou militants de quoi que ce soit.

Dès lors l’indépendance politique, puis l’austérité financière signifient la rupture irréversible du cordon ombilical, même si l’aide étrangère demeure fort importante. Dès lors la participation aux élections manifeste encore plus qu’une réalité : un vœu et une projection sur l’avenir, celui de el’unité – et les congrès sont plus un approfondissement qu’une alternative posée ; mais approfondir est le choix par excellence puisque partant d’une réalité défectueuse on décide de maintenir cette réalité en l’enrichissant au maximum.

Dans la Mauritanie contemporaine, les forces en présence sont donc d’ordre spirituel, ou intellectuel si l’on préfère. Depuis 1958, aucune force d’opposition n’a ambitionné autre chose que d’être admise à dire ouvertement son opposition ; de conquête et de responsabilité du pouvoir, il ne semble pas qu’il en ait été question ni pour la Nahda, encore moins pour certains membres du Bureau Politique National à l’automne 1963 – immobilisés instantanément par le retrait de Moktar Ould Daddah – ou lors des tentatives de partis d’opposition l’été 1964 dont les inspirateurs venaient du Parti et y rentrèrent. Durant les Congrès, les éventuels opposants ne le sont que pour désapprouver non pour revendiquer le pouvoir. Le conflit doit donc se résorber par conversion progressive au point de vue de l’autre ou par accomodement des visions, non par éviction de personnes ou scissions. Il l’est pa approfondissement des positions en présence, par dépassement de chacun de ces positions en direction des fins sur lesquelles on est d’accord. Et la discussion se réinstaure au seul niveau des moyens, du calendrier et de l’autocritique.

Mener le combat d’une manière « classqiue », c’est-à-dire en inventoriant les groupes sociaux et les intérêts en présence, en supputant leurs collusions, c’est aller à l’échec. Car c’est revenir au point de savoir si le Parti sera de cadres ou de masses, si l’on exclura telle ou telle couche soxciale, voire telle étendue géographique. C’est remettre en cause la Mauritanie. Dès 1957, Moktar Ould Daddah en a l’intuition et il place – de plus en plus explicitement à mesure que les années passent et que Nation et Parti deviennent tangibles – l’affrontement dans l’orodre intellectuel et mental : c’est conserver les chances d’unanimité et porter le fer au point précis où le bât blesse : celui des conversions et des approfondissements personnels et intérieurs, – c’est en fin de compte rester fidèle à une manière d’être mauritanienne.

S’il peut ainsi choisir le terrain du combat et y ramener sans cesse les débats et les affrontements, Moktar Ould Daddah le doit à ce qu’il a créé le langage politique de la Mauritanie.

C’est un fait qu’il est le seul à avoir élaboré et à élaborer un corps complet de doctrine politique pour la Mauritanie. La lettre de la Constitution et l’esprit des sgtatuts du Parti le prévoient. Mais ce fait tient essentiellement à ce que depuis treize ans, le même homme est au pouvoir et que le pouvoir s’est créé à partir de peu et en s’appuyant presque uniquement sur cette doctrine. En d’autres termes, Moktar Ould Daddah a été choisi pour être à la tête du Gouvernement mauritanien en 1957 parce qu’il semblait faire la synthèse et la conciliation de toutes les forces alors en présence : autorités colonialesn pesanteurs sociologiques et traditionnelles, nationalisme naissant, petite élite politique déjà en place, fonction publique embryonnaire. Au fond de lui-même, il pensait déjà au-delà de cette synthèse du moment et « voyait » l’identité nationale, la « patrie mauritanienne », ses chances, ses possibilités et sa mission. C’est ce dessein global qui lui a permis de rester le commun dénominateur à chaque étape de la naissance du nouvel Etat, étape marquée chaque fois par de nouveaux affrontements potentiels. Le cheminement de pensée du Chef de l’Etat est donc d’une certaine manière la trame de l’histoire mauritanienne récente et l’homogénéité comme l’unicité d’origine de la vision politique de la Mauritanie en sont la conséquence. C’est par adhésion à cette vision que se sont constituéess jusqu’à présent les équipes gouvernantes et les thèmes présidentiels sont devenuss le programme d’action et la description de l’avenir du pays.

suite et fin de la saisie à suivre

Peut-on alors qualifier de monologue l’élaboration de cette politique et la fromation de ce langage ? Ce serait céder à l’apparence. La Mauritanie est née dans les sprits avant d’exister dans les institutions, dans les faits, dans les comportements. Parce qu’elle a été « vue » par avance et longuement décrite à mesure des premières étapes de la « Loi-Cadre » de l’autonomie interne et des premières années d’indépendance politique, la Mauritanie a pu parvenir à l’existence. Nouakchott même a commencé de naître sur plan avant de s’édifier dans les dûnes et les euphorbes. Moktar Ould Dadda a alors joué un rôle de catalyseur des visions et des espoirs des responsables de l’époque. Il a exprimé et globalisé ce qui était la coversation et le projet quotidiens des éléments les plus lucides de la population encore sous administration coloniale.

Aujoird’hui cette sorte d’écoûte des autres et de traduction d’une attente en programme politique se lue en une explication permanente de l’évolution d’une couche de la société mauritanienne à une autre couche et réciproquement. Le Chef de l’Etat rappelle aux plus pressés les conditions de la masse et aux ruraux les nécessités du monde moderne. Cette « médiatisation » n’a pourtant pas supprimé l’autre fonction intellectuelle du premier responsable mauritanien : celle de préparer constamment l’avenir et d’en penser les moyens.

Le langage politique ainsi créé est polyvalent et « poly-signifiant ». C’est le langage et la pensée d’un seul, mais d’un seul qui se confond avec la création même de l’Etat et de la Nation, Etat et Nation dont les fondements seraient différents – à supposer qu’ils existent – si cet homme n’avait pas été là. C’est un langage parlé au présent, mais toujours en avance de plusieurs années, la vision étant le moyen d’entraîner à la réaliser. C’est un langage qu’il afut déchiffrer à plusieurs niveaux ; il est à prendre au pied de la lettre dans la mesure où il cherche à convertir des mentalités, mais il ests déjà très en avance sur les possibilités immédites de réaliser ce qu’il demande ; il est à penser littéralement si l’on considère qu’il s’adresse à l’ensemble des Mauritaniens, mais il doit être compris non dans sa formulation du moment mais dans la préoccupation qui le motive s’il est médité et étudié par une élite intellectuelle. Il est à prendre dans ses intentions pour les futurs cadres de la Nation et dans ses exhortations pour l’entier de la population.

La dernière et non la moindre des ambivalences de ce langage est qu’il se veut à la fois critique, parfois même autocritique, et en même temps constructeur. Une logique de première vue voudrait que ce ne soit pas le même qui exerce et qui juge ; et certains sont souvent tentés d’adhérer à la critique tout en y trouvant motif de refuser la construction vouée par avance à l’échec puisque les éléments dénoncés par la critique risque de ne pas changer. Et de souligner la plus grande difficulté que soulève le langage politique de la Mauritanie, tel que parlé par Moktar Ould Daddah : celle de thèmes et de propositions sur lesquels chacun est d’accord, mais dont la réalisation pratique laisse toujours à désirer.

On revient alors à ce qui a été envisagé plus hgaut. Les thèmes et propositions du Chef de l’Etat sont bien la matière du seul consensus mauritanien possible ; ils déterminent donc ipso facto l’unicité de mouvement politique et même de langage ; et l’analyse critique de la situation mauritanienne à chaque moment de l’histoire récente est forcément unique elle aussi puisqu’elle se fonde sur l’appréciation des faits rapportés aux buts que l’on s’est fixés. Mais la partie constructive du propos politique et sa réalisation pratique sont du domaine de la conversion des mentalités et du cheminement de chaque individu comme de l’ensemble national. Qu’il s’agisse de déontologie administrative, d’austérité financière, de moralité publique ou privée, de décolonisation des comportements, d’acquisition d’habitudes et de méthodes de travail, d’apprentissage des circuits administratifs ou économiques modernes, c’est toujours à l’esprit qu’il faut s’attacher. En ce domaine, le bilan est longtemps hasardeux et la description de faits négatifs souvent compensés par celle d’éléments positifs.

Au reste, c’est bien par ce langage et par cette pensée que se maintient et que peut agir le pouvoir. La stabilité politique de la Mauritanie n’est pas la conséquence d’un attentisme ou d’un scepticisme dont il serait au contraire facile de profiter pour renverser les institutions existantes. Elle est plutôt le fruit d’une conscience répandue que ce langage et cette pensée sont ce qui convient à la Mauritanie d’aujourd’hui, et pour ceux qui ont de la mémoire, sont ce qui a fait la Mauritaanie nouvelle. En même temps que la Nation, naît une légitimité mauritanienne et c’est en définitive cette logique collective qu’exprime la doctrine édifiée jour après jour depuis 1957 : une suite de constatations très simples qui poussent à une grande ambition, celle d’être un peuple ayant les moyens d’épanouir chacun.


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La nature du combat politique et du langage tenu pour le gagner font du processus d’orientation nationale une sorte d’engrenage, un enchaînement logique de propositions auquel on ne peut échapper qu’à condition de renoncer à la fin poursuivie. Au contraire des nations à système économique capitaliste ou communiste qui ont atteint leur fin nationale et n’ont plus qu’à persévérer dans leur être (ce qui peut être encore plus difficile), la Mauritanie tend vers une fin qu’elle n’a pas atteinte : l’édifice national, moyen, condition et objectif du développement. De cette fin admise, et on ne peut poser le fait mauritanien sans l’admettre, découlent presque inéluctablement l’orientation d’une politique extérieure elle-même moyen et expression d’une politique intérieure : la communauté pluri-raciale mauritanienne constituant par sa seule exustence une transition entre l’Afrique au nord du Sahara et celle du sud, – l’orientation aussi d’une politique éconolique et d’une géographie administrative maintenant l’équilibre entre les différentes activités et leurs lieux d’élection. En découlent aussi une démarche autonome pour chercher les moyens institutionnels propres à encadrer la population et à l’animer, et pour réfkéchir sur sur l’évolution du monde contemporain : le non-alignement mauritanien est aussi frappant dans l’éventail des aides extérieures reçues, dans les relations diplomatiques nouées que dans l’itinéraire intellectuel dont témoignent les rapports du Secrétaire Général et les préambules des statuts du Parti.

Or, ces corollaires proviennent d’une fin exprimée par un unique Parti centralisant tous les moyens et toutes les forces, lui-même fortement centralisé. Est-ce à dire que l’orientation nationale sosit le fait d’un seul ?

Il est exact de remarquer qu’en dehors du Chef de l’Etat lui-même, il n’existe pas d’autre personnalité qui ait à elle seule et en son nom propre défini ou exprimé une orientation. Moktar Ould Daddah est effectivement la seule personne à le faire. Il ne le fait cependant que rarement d’une manière « personnalisante » et ses interventions les plus importantes sont des rapports moraux présentés comme étant ceux d’un organe collégial dirigeant un Parti ou des rapports sur l’état de la Nation dans lesquels peuvent se distinguer deux parties : l’une dont chaque cadre sait qu’il y a collaboré par la note de synthèse qu’il a dû préparer sur l’activité et les projets de son service, l’autre – apparemment plus personnelle au Président de la République – qui reprend les orientations définies dans le cadre du Parti et donc par les rapports moraux.

Pourtant, l’orientation nationale, ni dans sa conception ni dans son expression, n’est le seul fait de Moktar Ould Daddah. La politique de la Mauritanie, et plus particulièrement l’attitude du Parti devant tekl problème intérieur ou la réaction du Gouvernement devant telle échéance extérieure, et l’ensemble des choix à long terle sont conçus à partir d’une réflexion sur la réalité mauritanienne : la réalité du moment, la conjoncture si l’on veut, – et celle de toujours, les structures. Entrent dans cette méditation les avis, les réactions, les protestations, tout ce qui est signe d’un courant traversant le pays et son Parti. Le Chef de l’Etat se situe constamment au centre d’un champ de forces et chacun, même si physiquement il ne représente qu’un petit nombre, peut penser qu’il constitue en fait un élément potentiel important qui pèsera dans la décision.

La « contestation » des dernières années est aussi minoritaire que l’était l’Entente Mauritanienne en 1957 ; pourtant l’une et l’autre participèrent et participeront aux responsabilités du pouvoir au même titre que les éléments majoritaires. Semblable parité tenant davantage compte de l’importance psychologique et métaphysique d’une opinion que de sa force politique de l’instant, se retrouve à chaque moment de l’histoire mauritanienne qu’il faille renouveler des équipes ou prendre des décisions essentielles. D’ailleurs ces apparentes minorités sont le ferment des majorités et, pour le Chef de l’Etat, le signe que sa « vision » du futur a déjà quelque commencement de réalité.

Comment le Premier Ministre de 1959 et de 1960 aurait-il pu demander l’indépendance aux autorités de la Communauté – et en convaincre son propre parti – s’il n’y avait eu la Nahda pour signifier à la France et au P.R.M. qu’il existait une jeunesse nationaliste ? Comment le Secrétaire général du Parti à l’automne 1963 aurait-il pu triompher de la résistance parlementaire s’il ny’ avait eu à ses côtés les tenants de la prééminence du Parti sur l’Etat ? Comment aurait-on pu et pourra-t-on dépasser le dilemme parti de cadres / parti de masses s’il n’existe à la fois des cadres et des masses rappelant constamment leur point de vue et leur rythme d’avancée . ? Comment même exorciser le démon culturel et ethnique rôdant depuis le Congrès de l’Unité si chacun n’avait montré ses craintes, ses préjugés et ses forces et si le pire n’avait été vu d’assez près en 1966 ? Manquerait-il un seul instrument à l’orchestre – même si cet instrument refuse obstinément de jouer sa partition – que celui-ci ne pourrait rien produire. Et comprendre pourquoi un instrument a dela peine à s’intégrer, c’est peut-être faire atteindre à ‘lensemble un plus haut degré d’harmonie. La politique nationale, dans sa conception, devient donc une intégration permanente de nouvelles données à un dessein déjà fixé dans sa globalité.

Longtemps réduite par la contingence et la multitude des événelents du début à des tête-à-têtes ou à de courts congrès, cette confrontation des opinions trouve un cadre de plus en plus large dans les institutions permanentes ou ad hoc du Parti. Dès 1962, le Bureau Politique en esst le siège tandis que la durée des congrès s’allonge notablement, surtout en 1963 et en 1968. Mais qu’il s’agisse de réunir autour de la même table les représentants des courants divergents : politiques de Mai à Décembre 1961, syndicaux à partir de Septembre 1969, ou de débattre des problèmes locaux et nationaux tout en se formant à la réflexion commune, en séminaire de cadres de 1962 à 1965, en commissions sectorielles à partir de 1966, en séminaires régionaux de Juin 1969 à Mars 1970, en congrès fédéraux au printemps 1971 – l’institution de lieux et de temps précis pour le dialogue et la critique coincide avec l’accentuation du dessein politique de Moktar Ould Daddah dans le sens d’une révolution morale et mentale. L’enjeu devenant moins évident mais plus impérieux, le pouvoir ne peut plus suffire ; il faut le vouloir de tous. Les rapports moraux désormais préparés longuement à l’avance et collectivement, peuvent être pesés par les militants plusieurs semaaines avant leur discussion en Congrès. Ce ne sont d’ailleurs jamais les rapports moraux présentés et rédigés par le Secrétaire Général au nom du Bureau Politique qui sont la loi du Parti ; ils ne sont que les témoins du cheminement nécessaire pour dégager cette loi, et cela depuis l’origine. Qu’il s’agisse des attitudes à adopter face aux projets d’exécutif fédéral à Dakar, de l’O.C.R.S., face aux prétentions marocaines, qu’il devienne temps de demander l’indépendance, qu’il faille instaurer une austérité financière stricte, opter pour le bilinguisme, définir les éléments de la repersonnalisation de l’homme mauritaanien, les décisions sont demandées et suggérées par le Secrétaire Général du Parti lors du Congrès ; mais ce seront les résolutions du Congrès, élaborées en commission, exprimées dans le langage de tous, ratifiées en assemblée générale, qui fixent la politique du Partu et l’orientation du pays.

Dira-t-on que cette élaboration collective et cette ratification communautaire sont de pure forme ? Elles peuvent être cobsidérées comme telles si l’on se situe en dehors de la logique et de la délibération du Parti ; elles ne le sont nullement si l’on observe le va-et-vient mental et parfois passionné qui s’instaure entre les dirigeants et les militants, si humbles soient-ils et en quelque réunion que ce soit. En fin de compte, les résolutions du Congrès, prises sur proposition du Secrétaire Général, sont la traduction d’un désir populaire, d’une nécessité politique, d’une rencontre d’arguments pour lesquels le moment est venu de leur donner expression officielle. Ainsi les rapports avec l’ancienne métropole, les questions culturelles et ethniques, et maintenant les approfondissements juridiques et religieux, l’intégration au Parti de secteurs restés jusques là en marge sont-ils latents longtemps avant de venir au coeur des débats, et ils n’y viennent qu’au moment où il est devenu possible non seulement de trouver une solution, mais surtout de faire accepter par tous cette solution, même si individuellement certains seraient réticents.

L’orientation nationale en Mauritanie peut donc être tenue pour le fait d’un seul comme pour celui d’équipes et de populations entières. Ce qui explique que la responsabilité soit à la fois éminemment collective et en meme temps tout entière sur les épaules du Chef de l’Etat. Moktar Ould Daddah n’est pas un arbitre entre des forces ou des générations ; il serait plutôt celui qui va des uns aux autres pour les expliquer sans cesse les uns aux autres et les unir dans une politique d’ensemble. Mais il est l’arbitre dans le domaine essentiel du calendrier. C’est lui qui depuis treize ans a pratiquement fixé le rythme de l’avancée mauritanienne ; et il l’a pu sans heurts car il incarne en lui-même cet homme vieux et cet homme neuf qui sont aux prises dans une Nation en deécolonisation et en voie de développement. Les événements lui ont donné raison.

Qu’il jouisse en conséquence d’une autorité morale et d’une responsabilité politique dont il est seul à disposer en Mauritanie se manifeste par l’attitude ambivalente qu’il a toujours conservée : celle d’écouter et celle de décider. Qu’il soit question du choix pour ou contre la fédération en 1958-1959, pour ou contre telle modalité d’indépendance en 1960, pour ou contre les garanties à la mniorité en 1962-1963, pour ou contre la suppression immédiate sans délai de l’autonomie financière de l’Assemblée en 1963, pour ou contre le pire en Février 1966, pour ou contre l’apaisement ou la tension avec le Maroc à maintes reprises des treize dernières années, Moktar Ould Daddah a toujours su rester en situation d’ultime réserve par le poids grandissant de la caution qu’il devenait. Ce qui lui a permis d’anticioer largement et chaque fois la solution du problème et par là d’en découvrir la solution constamment puisée dans un idéal très simple mais aux moyens de réalisation de plus en plus approfondis.

Ce qui en d’autres temps ou en d’autres pays pourrait être une lenteur fâcheuse ou étapes trop ménagées, s’avère en Mauritanie nécessaire : on marche au pas du chameau, mais déjà le regard est parvenu aux premiers palmiers de l’oasis ; la monture au rythme de laquelle on accepte de se plier y mènera infailliblement pourvu qu’on ne la force pas. Mais bien entendu on reste inflexible quant au cap à maintenir.

C’est par honnêteté intellectuelle et par conviction nationale – non par engouement subit ou successif – qu’un homme modéré sur tous les plans en vient aux solutions les plus audacieuses et progressistes. En quoi il déconcerte ses compatriotes et l’étranger, dans sa décision comme dans sa ténacité une fois son choix. Fruit d’une longue supputation et non du ressort contingent d’un tempérament, la détermination du Président est posée avec le calme du définitif. De passion, il n’en est question que dans la défense de l’idéal ; jamais dans la discussion des moyens. Exemplaire, ce cheminement intellectuel du régime colonial aux ultimes implications de la construction nationale. D’autant que par tempérament, Moktar Ould Daddah n’est l’homme ni des éclats ni des extrêmes. Qu’il soit parvenu – à chaque moment qui ont fait la Mauritanie contemporaine – à une tranquille certitude quant au but à atteindre, est le fruit d’une démarche intérieure. Les textes qui suivent en sont le résultat et toute intelligence de bonne foi peut s’adonner à la même méditation.




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« Du côté d’un certain nombre des pays, hier colonisés, comme on dit, et qui, aujourd’hui, sont affranchis ou en cours de l’être dans de plus ou moins tumultueuses conditions, nous voyons bien à quels obstacles se heurtent les milieux dirigeants pour faire vivre, organiser, développer les peuples qu’ils ont pris en charge. D’autant plus que, bien souvent, l’unité et la léégitimité nationales y sont fort aléatoires, que l’expérience et la capacité des hommes responsables n’y sont pas toujours très bien assurées, et que des concurrences spectaculaires, d’un pays à l’autre, peuvent exister entre les chefs . . . Assurément, parmi les nouveaux chefs politiques de ces Etats, il en est qui ont assez de courage, et assez de lucidité pour se consacrer à la mise sur pied de leur Etat, et au près réel de leur peuple. Ceux-là sont des hommes d’Etat. Mais parmi les autres beaucoup ne résistent pas au mouvement qui consiste à se précipiter dans des déclarations tonitruantes. »

A quelle race politique et morale appartient le jeune chef de l’Etat mauritanien, celui qui s’adressait ainsi à la presse mondiale le 5 Septembre 1960, le général de Gaulle ne le cache pas en l’accueillant officiellement à Pariss le 23 Mai 1962 : « . . . parmi toutes les raisons que nous avons de faire confiance à votre pays, l’une des meilleures, c’est que vous êtes qui vous êtes. Votre personnalité, nous la connaissions bien déjà avant que vos compatriotes vous aient confié la respoonsabilité d’être le chef de leur Etat. Mais, depuis, en vous voyant conduire au milieu de beaucoup d’obstacles les affaires intérieures et extérieures de la Mauritanie, notre considération et notre estime à votre égard se sont élevées au plus haut de gré . . . Moi, ce soir, je vous le dis franchement et simplement. »

Que l’estime entre l’homme de Brazzaville, de Phnom-Penh et celui qui fonde la Mauritanie moderne, soit profonde, on serait tenté d’écrire que c’est inévitable tant l’un comme l’autre fonde son cheminement politique sur la vocation et l’image idéale de son pays, tant le manque initial de moyens à Londres en 1940,à Saint-Louis en 1957, sur une terre amie mais étrangère semble aiguiser d’autant leur exigence et leur liberté de langage, tant leur pouvoir s’établit et pousse ses racines populaires en une légitimité fondée sur la sibcéruté et l’ampleur d’un dessein patriotique : faire renaître ou naître leur nation.

Le cheminement est gaullien qui répète avec la sérénité de la certitude qu’il n’est de meilleuree solidarité africaine que celles de peuples forts en leur constitution et déterminés dans leur dessein, quii inlassablement engage un pays à l’unité pour l’effort, à ne compter d’abord que sur soi pour se faire et pour se défendre.

Et le résultat l’est aussi qui place – comme si là était l’inéluctable – la Mauritanie en situation de concilier et de cimenter en permanence les « quatre rives » du Sénégal, qui fait se dénouer – parce que là est la nature des choses – la revendication marocaine, qui fait œuvrer côte à côte au développement mauritanien Chinois et Français sans que Pékin ni Paris ne s’en offusquent.

Le ton est-il moins impérieux ? Voire ! Il est une morale politique qu’on ne peut transgresser. L’Afrique ne peut ne pas clamer et organiser sa solidarité avec la nation arabe spoliée en 1967, le Bureau Politique National ne peut pas bafouer les résolutions du Congrès qui l’a élu : à ceux qui esquivent le problème autour des tables politiques ou politiques, à Kinshasa ou à Nouakchott, Moktar Ould Daddah le rappelle : simplement.

Il semble n’exister qu’une seule voie pour faire ou refaire une nation : ce n’est pas là adhérer à une idéologie ouse réclamer d’un homme, le non-alignement est synonyme d’indépendance. C’est seulement entrer dans une logique de nature. Etablir la souveraineté nationale, affirmer et défendre son indépendance, choisir ses amis et ses causes en toute liberté ; non pour se soustraire à tout choix ou ignorer les rapports de force régissant l’Afrique et le monde, mais pour peser – par soi-même et chez soi – le but à poursuivre et l’entreprise à mener. A dix ans de distance, Moktar Ould Daddah dit non à la Fédération voulue à Dakar et au Maroc impérial, oui à l’Organisation des Etats riverains du Sénégal et au Maghreb économique. Entretemps, la Mauritanie s’est affirmée maîtresse de son destin : elle peut donc le choisir. A l’O.C.R.S. qui absorberait l’embryon de souveraineté, à l’O.C.A.M. tentée de renier la compétence politique de l’O.U.A. et le non-alignement africain, Moktar Ould Daddah se refuse mais pour une coopération étroite entre partenaires sahariens ou Etats d’Afrique de l’Ouest sans distinguer entre leurs métropoles d’origine, il ne ménage pas ses efforts.

Il s’agit d’unir en vérité, non de concilier par l’amoindrissement ou l’amalgame : fonder et traiter suivant les arrière-pensées – comme le souhaitait Valéry regardant le monde actuel – mais en les élevant, en les convertisssant, en les conjuguant. En apparence, c’est vouloir l’impossible – choisir le bilinguisme au-dedans, compter ses amis dans chaque camp – Moktar Ould Daddah s’y emploie pourtant, et fait se dépasser les antagonismes en insistant sur ce à quoi contribue chaque élément du conflit. L’arabe c’est l’enracinement, le français c’est l’ouverture : les deux sont vitaux. Tempéraments guinéen et sénégalais sont souvent aux prises : on ne parlera pas de ce qui oppose deux Etats mais de ce que doivent entreprendre quatre jeunes nations riveraines d’un même fleuve et peuplées de frères de condition et de religion.

Ce n’est pas du laxisme ; s’il faut dire les choses nettement, Moktar Ould Daddah ne choisit pas le mot le plus doux. Pendant quatre ans, Algérie et Sahara ponctuent la moindre de ses adresses aux autorités françaises ; au président quui vient de succéder au prestigieux décolonisateur et qu’il accueille à Nouakchott, il mentionne la période révolue comme celle d’une « domination » ; au voisin sénégalais, officiellement reçu, il rappelle l’émancipation mauritanienne : « le libre choix de nos destins qui, tout en demeurant étroitement liés, n’en sont pas moins devenus distincts et originaux l’un par rapport à l’autre. »

Les choses clairement dites et franchement pratiquées, la Mauritanie est alors l’alliée exemplaire qui ne manque aucun des rendez-vous « au sommet » de l’Organisation de l’Unité Africaine (peut-être même rest-elle la seule depuis le 25 Mai 1963), qui rompt en compagnie de cinq Etats seulement les relations avec Londres à propos de la Rhodésie, qui coopère avec la France comme elle respecte le contrat avec MIFERMA depuis qu’elle s’y erst engagée.

Sobriété, sans éclat, dans la prise deposition ; puis, le départ pris, le cap est silencieusement maintenu : l’homme mauritanien est vraiment celui du désert. Mais le désert qu’on a voulu irriguer, rassembler, mobiliser. La voix un peu sourde, âpre à dénoncer divisions intestines et ingérences étrangères, ces plaies de la Mauritanie et de l’Afrique, pudique pour féliciter et exprimer la joie tout intérieure à la vue de ce peuple rassemblé dans le vent, dans le sable, sous le soleil et les banderoles et les drapeaux, ce peuple et ces sourires accueillant le Secrétaire général du Parti, président de la République, en « tournée de prise de contact ». L’impression est d’un chapitre monastique où chacun écoute en hochant la tête et se fonde sur un ordre moral, un droit naturel. Ailleurs, la discussion est plus vive ; après quelques rapports d’introduction ou de bilan, chacun intervient, parfois avec véhélence. Congrès ou séminaires, le chef de l’Etat se réserve de les conclure par une méditation à haute voix – pédagogue et fraternel – n’esquivant, ne taisant rien.

Dans le propos, pas de grandiloquence : Gouvernement et Parti veulent tout faire pour ces gens qui écoutent et qu’il faut mieux nourrir, mieux éduquer, mieux soigner. Le but que s’est fixé le jeune investi du 20 Mai 1957 est le bien-être de ses compatriotes. Il n’est d’autre prospective que celle-là car au bout du compte l’Etat, la politique, la mobilisation des hommes n’ont qu’un fondement : mettre à disposition de l’être humain davantage de moyens pour se réaliser, davantage de chances d’être heureux. L’unité est pour l’efficacité et l’effort pour la promotion. On y parviuent en arrachant qui à sa contemplation, qui à son attentisme, qui à son raisonnement : la Mauritanie attaquée et contestée, la Mauritanie pauvre, négligée des capitaux et des planificateurs, on ne peut l’édifier que par la participation de tous.

L’option et la manière sont décidées dont il ne sera plus démordu et qui semblent toutes naturelles : chaque prise de position importante des dirigeants est ponctuée d’un rassemblement populaire ; Aleg, en Mai 1958, inaugure une longue série d’explications aux militants, c’est-à-dire à tous les Mauritaniens de bonne volonté. A la suite de chaque congrès : tournées et réunions ; lors des agressions du Moyen-Orient ou de Guinée, lors des échauffourées de Nouakchott ou de Zouerate : mobilisation, explication, rassemblement. L’ « option pour un parti de masses » après des discussions qui ne furent pas qu’académiques, n’est pas un slogan : les événements de Février 1966 confirment Moktar Ould Daddah dans son sentiment. A la subversion, la Mauritanie a répondu par l’unité politique et la vigilance de chacun ; le spectre des dissenssions raciales ne peut être dissipé définitivement que par la dévotion de tous, à part entière et égale, à la construction nationale.

Justifié, illustré, prêché et réimplanté chaque année, le Parti devient réalité ; la constitution de chaque bureau de section est autant de triomphe sur les luttes de clan : désormais, ici on réfléchira, on travaillera, on s’organisera sans dissonnances familiales ou domaniales ; aux appétits bornés à l’horizon local, on ajoute l’ambition et l’entreprise régionales. Et peu à peu, se tisse un réseau – sans doute à refaire souvent, à constamment entretenir – qui couvre cependant de plus en plus de territoire et anime davantage de Mauritaniens et chaque Mauritanien. Le critère de la réussite ou plutôt le signe que quelque chose se fait, commence ? Ils ne sont pas à chercher dans le nombre de militants venus applaudir Moktar Ould Daddah durant une tournée à l’intérieur du pays : ils sont porutant nombreux, sérieux, sincères, de toute condition, de toutes tribus et ethnies, de tout âge ; mais quel régime, quel système ne parviennent à rassembler des hommes et des femmes le temps d’une manifestation ou d’une génération ? Le signe, l’accord et la compréhension du dessein et de l’œuvre accomplis, ils se lisent sur les visages : onn’a jamais pu obliger personne à sourire . . .

Qu’il faille encore parcourir bien des étapes, tenter bien des pistes, rallier des hésitants, mettre à l’œuvre commune les générations qui viennent au sein d’un mouvement qui n’a qu’un seul dogme : le développement national – certes ! Les prochaines années et les décades suivantes le montreront, mais les choix sont faits et ce livre propose de dire comment et pourquoi ils le furent.

« Car, si cette contrée est empreinte d’un caractère géographique très particulier, si certains ont pu se demander quel serait son comportement dès lors que le génie des temps modernes l’aurait abordée à son tour, bref, si elle a pu parfois poser comme une énigme quant à son avenir, chacun est aujourd’hui fixé. La voici marchant sur la route qu’elle-même a choisie. Cette route est celle du progrès …

L’institution de la Mauritanie en un Etat cohérent est la preuve de cette réussite. Combien celle-ci est-elle méritoire ! Population vivant, pour la plus grande partie, éparse et mobile sur de très vastes espaces ; ressources naturelles qui ont longtemps paru des plus limitées ; voisins souvent difficiles pour une région qui se situe entre le Maghreb et l’Afrique noire et entre l’Atlantique etr le Sahara, telles étaient, en effet, les conditions dans lesquelles votre pays a dû ériger sa personnalité et sa souveraineté nationale. Qu’il y soit cependant parvenu, voilà qui démontre d’une manière éclatante sa réalité, sa vitalité et sa capacité !
»



N.B. Les citations du général de Gaulle, dont celle qui conclut cette introduction, sont tirées de Discours et Messages (tome III, pages 235 et 418 – de l’édition Plon)





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