mardi 5 octobre 2010

menace sahélienne, inadéquation du régime mauritanien, responsabilité européenne - courriel au président de la Commission européenne


----- Original Message -----
From:
Bertrand Fessard de Foucault
To:
José Manuel Barroso, président de la Commission européenne
Cc:
Viviane Reding - Commissaire européen à la Justice & aux Droits fondamentaux
Sent: Wednesday, October 06, 2010 12:44 AM
Subject:
le risque européen en Afrique sahélienne : démocratie de façade, développement détourné, dévoiement sécuritaire

Cher Monsieur le Président,

je me suis permis il y a trois semaines de soutenir Madame Viviane Reding dans son haut-le-coeur à propos des contradictions des dirigeants de mon pays : il s'agissait des Roms, nos concitoyens européens, et je suis revenu vers elle pour proposer une piste ouverte précisément par cette citoyenneté. Je vous ai donné copie à chaque fois.

Je crois maintenant devoir appeler votre haute attention sur le risque que, nous tous Européens, nous courons au Sahel. Si proche géographiquement et humainement de nous. Ce risque géo-stratégique a d'ailleurs comme origine une mésestime complète de la nature des gouvernants actuels de l'un des Etats partie au conflit et à l'insécurité dans cette région : la Mauritanie. Risque et mésestime, malheureusement fait de mon pays.


1° L'engagement politique contredit nos engagements éthiques d'Européens

Sans consultation de son opinion, sans consultation des autres Etats-membres, la France est en train de s'engager dans un type de guerre que personne au monde ne maîtrise, alors qu'elle a toute l'expérience des conflits de décolonisation outre-mer ingagnables militairement. Elle s'y engage - non pas sur un théâtre lointain où aucun de ses intérêts et voisinages n'est en cause, tel que l'Afghanistan - mais dans une région où elle est connue, a été très aimée et appréciée mais l'est de moins en moins, une région où elle a des intérêts miniers considérables en Mauritanie comme au Niger, sans doute aussi pétroliers (Total en Mauritanie) et certainement halieutiques (Mauritanie comme pour l'Espagne aussi et le Portugal), une région où un de ses partenaires séculaire, le Sénégal, est devenu d'un avenir immédiat très incertain, alors qu'elle a déjà perdu en fiabilité la Côte d'Ivoire. Une région et un contexte humain, idéologique où pèsent la question du Sahara anciennement espagnol et non résolue, la rivalité algéro-marocaine, la susceptibilité d'Alger à l'égard de la France. L'Union européenne n'a rien à y gagner ni dans son fonctionnement - des zones d'ombre dans le processus de décision - ni pour sa sécurité, ni pour son image en Afrique.

La responsabilité de la France - mon pays si cher et dont j'ai eu l'honneur d'être l'ambassadeur en Asie centrale lors de l'implosion soviétique - et ses initiatives sans doute sont provoquées pour ce qui est des opérations militaires, mais menées avec trop de communication vis-à-vis des Français et pas assez ou pas du tout avec les partenaires véritables que sont les ravisseurs et tous ceux qui sont capillaires avec eux. Mais elles ont commencé - de notre chef - quand la France a cautionné, après quelques jours de fermeté lucide, le coup militaire du 6 Août 2008 à Nouakchott, en Mauritanie, et qu'elle a - malgré le maintien d'une ligne lucide et ferme par le ministre Louis Michel, alors le Commissaire compétent (son communiqué du 28 Mars 2009) - fini par convaincre l'Union d'accepter les subterfuges de la "négociation" dite de Dakar et du scrutin présidentiel du 18 Juillet 2009. Il est vrai que, avec encore plus de zèle, l'ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne avait aadhéré à toutes les apparences du processus d'auto-légitimation du pustchiste. Non seulement, nous - Européens - avons défait ce qu'une démocratie, quoique tâtonnante et sans expérience après trente ans de dictature en uniforme ou défroquée, était en train d'établir dans les esprits locaux et dans toute l'Afrique par un processus exemplaire, mais nous nous sommes totalement mépris sur le personnage à la "légitimation" duquel la France a décisivement contribué, par tolérance de ses partenaires européens. Tout a semblé - ces deux dernières années surtout - comme si la Commission se portait fort devant les Etats-membres d'une expertise française qui est maintenant controuvée.

Ce scenario de soutien européen du fait de la France a continué pour la table ronde avec les bailleurs de fonds le 23 Juin dernier, nonobstant le manque de suivi de la lettre d'intention signée par le Premier ministre mauritanien avec le directeur général Manservisi.

Cette tolérance européenne vis-à-vis de l'appréciation française des événements et des personnes au Sahel - il est très pénible à un Français d'avoir à vous le faire savoir ainsi - et le soutien apporté de la sorte au régime mauritanien sont dangereux, immédiatement et à terme. Ils ne sont ni dans l'intérêt de l'Union ni dans celui de mon pays ni à l'avantage d'un pays, stratégiquement décisif, dont le développement est pollué par les dictatures militaires depuis trente ans. En Mauritanie, que nous prenons pour fournisseur de supplétifs et pour base clandestine, l'opposition se durcit, elle est durable car elle n'est plus celle d'une vieille élite datant de l'indépendance et ayant tenté, malgré le truquage des élections depuis 1992, de prendre les régimes prétendûment démocratiques au mot. Le seul scrutin qui fut valable, celui de 2007, depuis 1978, nous ne l'avons pas soutenu quand il a été en péril.


2° L'engagement militaire ne réduit pas la menace : il donne à celle-ci territoire et ressources humaaines

Or, le général Mohamed Ould Abdel Aziz a un palmarès de fiasco sécuritaire depuis 2003 qui devrait nous faire entendre raison.

Et cette spirale où nous ont engagés certains de mes compatriotes, financièrement intéressés à titre personnel ou indirectement, et donc quelques-uns se vantent, nous fait commettre plusieurs chefs d'oeuvre...

Les aventures militaires ont eu raison de la précédente dictature de vingt ans - Ould Taya - dont les principaux exécutants ont pris peur après l'affaire du poste de Leimghetty en Juin 2005. Nous risquons en Mauritanie - non seulement le renversement par des gens du rang de l'homme prétendûment fort que nous avons "légitimé" : ce ne sera pas une perte - mais une débandade des troupes régulières et en fait des recrutements massifs par Al Qaïda de militaires en déshérence dans tout le Sahel. En plus, il y a la question du Polisario toujours pas réglée, et l'opacité habituelle des Américains dans ce genre d'affaire et dans une zone qu'ils ne connaissent pas, mais dont ils croient pouvoir acquérir la pratique.

Sur le plan géo-stratégique, c'est encore pire. L'atteinte, maintenant chronique, faite à la souveraineté malienne en image et en effectivité puisque Bamako est éludé dans ces opérations de poursuite ou de punition, et que l'on stigmatise sa prétendue tolérance envers Al Qaïda, a pour conséquence que l'ancien Soudan français devient terra nullius, aucun de ses voisins ne pouvant l'y remplacer : c'est-à-dire que ce devient le territoire d'Al Qaïda. Nous reconstituons le système des zones tribales entre Afghanistan et Pakistan avec les perspectives que nous subissons là-bas.


3° Changer d'attitude et européaniser le point de vue, puis à terme les bénéficiaires de notre soutien

L'Union européenne n'était jusques là qu'éventuelle prestataire de transparence électorale, ce qui aurait pu la mettre en situation d'arbitre et en possibilité de faire valoir une autorité morale contre la corruption et la dictature.

Mais la voici en danger elle-même dans son voisinage le plus stratégique.Et par sa faute. Privilégier la recherche de baroudeurs (type Mohamed Ould Abdel Aziz sur le papier... puisqu'il n'a aucun état personnel de "services") pour venir à bout du terrorisme dans le Sahel ne peut conduire qu'à l'échec, puisqu'elle fait fausse route. C'est en agissant sur la société mauritanienne, par la mise en oeuvre d' une stratégie, qui s'inscrit dans la durée et qui promeut la démocratie et le développement qu'on peut lutter efficacement contre l'intégrisme sanguinaire. Dérisoire toute politique qui consiste à croire qu'on peut faire disparaitre la Qaïda si on lui assène quelques coups forts à l'intérieur de frontières nationales ou à l'extérieur. Tuer dix mauritaniens de la Qaïda que celle-ci, du fait d'une très mauvaise politique des dirigeants mauritaniens, peut remplacer en recrutant vint ou trente, ne peut conduire qu'à la catastrophe. Or, ces pertes dans l'armée régulière, elle-même si pauvre, et en regard les recrutements par la Qaïda sont des faits nouveaux, coincidant avec le régime actuel. Nous sommes en train de faire naître l'incendie et d'en préparer l'alimentation durable.

Remède : la politique africaine de chacun des Etats-membres - dans leur intérêt bien compris d'ailleurs - doit être européanisée, pas seulement au plan des concours financiers, mais sur celui de la délibération stratégique et de la présence politique.

Prétendre n'être pas solidaires de fait de l'action française - avec en remorque, ce qui exceptionnel, les Etats-Unis - c'est oublier la politique extérieure et de défense commune, au sens certainement des traités, mais surtout de la solidarité vis-à-vis du reste du monde. Les dysharmonies se sont constatées à propos du précédent otage français - finalement assassiné - et des otages espagnols finalement libérés. L'échec français dans l'ensemble sahélien et ouest-africain sera un échec européen : la Chine, la Libye et bien entendu les Etats-Unis ne prendront pas la place, il leur manquera toujours l'intimité euro-africaine et la densité de ce qu'apporte les traités ACP si nous les amodions sur le plan économique (l'application des thèmes et disciplines OMC est unanimement rejetée par les chefs d'Etat africains depuis 2005), mais l'instabilité déjà grande pour des raisons internes et propres à chaque pays, augmentera beaucoup s'il y a rivalité d'influences quand celle de la France et de l'Europe auront décliné, ou seront finalement dénoncées, pour maladroites et improductives, toutes immixtions dans les affaires nationales de chacun.

En Afrique sahélienne, encore plus qu'ailleurs, l'Europe ne peut être belligène - en tant que telle ou selon l'un de ses Etats-membres, les plus en vue.


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Je n'ai de compétence dans cette affaire saharienne - qui va nous coûter énormément, en tant qu'Européens comme elle va coûter aux dirigeants français actuels - que mon désintéressement personnel qu'il vous est facile de faire vérifier et une amitié de plus de quarante-cinq ans avec ce pays et plusieurs de ses générations, depuis que j'y ai accompli mes obligations nationales comme enseignant à la future E.N.A. et qu'alors le président fondateur, Moktar Ould Daddah, m'accorda confiance et amitié, intimité qui a duré jusqu'à sa mort.

J'ai déjà saisi depuis 2003 les directions générales compétentes à propos des scrutins et des putschs mauritaniens depuis cette date jusqu'à cet été.

En Afrique sahélienne, encore plus qu'ailleurs, l'Europe ne peut être belligène - en tant que telle ou selon l'un de ses Etats-membres, les plus en vue.

Croyez en mes sentiments attentifs et déférents, en toute ma disponibilité, et en ma confiance.

Je puis d'ailleurs vous assurer que confiance et attente sont celles de beaucoup d'Africains concernés par cette aventure qu'ils ne veulent pas, mais que courent des dirigeants frauduleusement au pouvoir. En cela, la Mauritanie est exemplaire.

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