vendredi 29 mai 2009

proposé au journal Le Monde qui l'a refusé - 10 Mai 2009


Mauritanie

Tête de Turc ou intelligence collective ?


Sauf empêchement que provoqueraient de graves incidents à Nouakchott ou une division dans la junte au pouvoir depuis le 6 Août 2008, la Mauritanie aura le soir du 6 Juin prochain trois présidents élus : le colonel Ould Taya dont le mandat de 2003 court jusqu’en Novembre 2009, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi dont le mandat de cinq ans reçu le 25 Mars 2007 – dans des conditions de régularité unaninement reconnu dans le pays et par la communauté internationale – n’expirera que dans trois ans, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, commandant la garde prétorienne, putschiste de 2005 et de 2008.

La perpétuation d’un pouvoir de fait va faire renouer les Mauritaniens avec les régimes militaires en place depuis le renversement du père-fondateur Moktar Ould Daddah, le 10 Juillet 1978. La respiration démocratique n’aura duré que quinze mois, mais ce long passé et cette si courte expérience ont déterminé un fait nouveau dans le pays et sans doute dans toute l’Afrique : une opposition qui a ses parlementaires, ses manifestants, ses réseaux dans le pays et à l’étranger, ses sites internet, et une revendication légaliste que soutiennent l’Union africaine, l’Union européenne et les Etats-Unis. Une opposition fidèle à un Premier ministre prisonnier et à un président de la République n’ayant plus qu’un papier à en tête et un cachet.

Si les hiérarques passent outre, c’est qu’ils comptent sur le temps pour l’acceptation du fait accompli et qu’ils négligent deux facteurs de dégénérescence d’une situation qu’ils croient pouvoir encore mieux contrôler matériellement et moralement après le plébiscite du 6 Juin : le premier est que leur illégitimité les rend discutables dans l’armée-même et que l’homme fort ne se maintiendra que par des purges de sa junte et dans une atmosphère de complots que la Mauritanie a vêcues déjà à une dizaine de reprises ; le deuxième est que l’opposition démocratique ne peut être éradiquée et que ses manifestations engendreront de la violence physique et une législation répressive. L’expérience mauritanienne – entre autres – prouve que l’assainissement économique devient alors impossible, que les clivages ethniques et sociaux redeviennent purulents, que la corruption restera la règle de pénétration et de contractation dans le pays pour les entreprises étrangères. La liste des visiteurs à Nouakchottt depuis le putsch est éloquente.
Quant aux dégâts moraux du plébiscite, ils sont les plus graves. Les Mauritaniens sous la précédente dictature avaient honte d’eux-mêmes. L’histoire contemporaine, et notamment celle de la période fondatrice de 1957 à 1978, reste occultée, donc la possibilité pour le pays d’être autre que ce que la hiérarchie militaire l’a forcé à être. L’amalgame par les putschistes depuis trente ans est constamment fait entre eux-mêmes et les fondateurs de manière à faire croire que corruption et régime de fait ont toujours caractérisé le pays, en sorte que le dernier en date des putsches prétend à chaque fois rompre avec le précédent, mais sans jamais admettre que la Mauritanie a eu une période heureuse, stable et consensuelle, grâce à un projet commun, la culture d’une identité propre, un rôle international manifeste et un mode de gouvernement dialogué et apaisant. Il n’y a pas qu’un passé militaire en Mauritanie, la démocratie et le bien-être sont possibles. Ils ont existé.

Pour les fonder à nouveau, il faut qu’un consensus se construise. Les fondations existent, elles aussi. Les militaires ne l’ont empêché, malgré la parodie d’états-généraux, boycottés par les légitimistes et aux conclusions récusées par les oppportunistes. La candidature de l’homme fort et l’organisation unilatérale du scrutin ont dressé contre le candidat de la junte ceux-mêmes qui disaient « comprendre » le putsch et reconnaissaient à l’usurpateur le titre de chef d’Etat que le général Ould Abdel Aziz s’est donné sans même que la charte de la junte le prévoit ! La profondeur des dissentiments désormais et la complexité des dossiers à régler – principalement la question des institutions, celle du « passif humanitaire » né de plusieurs drames entre 1987 et 1990 (massacres des militaires originaires de la vallée du Fleuve, pogroms des grandes villes répondant à la chasse au Maure dans le Sénégal), celle des clivages sociaux et ethniques, toutes préalables à la définition d’un cadre économique fiable pour les Mauritaniens et pour l’étranger – sont telles qu’il faut du temps et de la maturation.

Les multiples médiations internationales présentent deux défauts jusqu’à présent.

Faire bon marché de l’élection de 2007 et donc du président alors élu pour cinq ans renouvelable une fois : Mohamed Sidi Ould Cheikh Abdallahi, et considérer comme acquise sa disponibilité à démissionner pour anticiper l’élection présidentielle selon les vœux du candidat militaire et aussi du principal parti, celui présidé par Ahmed Ould Daddah, défait en 2007. Et par là présenter une solution toute faite ne portant que sur le remplacement du président de la République légitime. Les variantes tenant aux garanties de régularité du scrutin à organiser sous observation internationale et l’égide d’un gouvernement d’union nationale. Façon de faire qui recule le problème car depuis sa prise de pouvoir, le général Ould Abdel Aziz a mis en place une administration à sa dévotion pour faire voter dans le bon sens... Ahmed Ould Daddah, pour l’emporter, devrait d’une part bénéficier d’une transparence de scrutin, difficile à obtenir parfaitement, d’une liberté des comportements électoraux qui n’a jamais existé en Mauritanie tellement l’état de fait s’impose à des gens souvent démunis et forcément opportunistes – malgré les progrès évidents de la conscience civique par réaction au simplisme avéré des militaires – et d’autre part disposer de toutes les voix d’opposition au système militaire. Or, sa « compréhension » tant qu’il crut que les militaires ne seraient pas eux-mêmes candidats, l’a coupé des légitimistes et le président de l’Assemblée nationale, se considérant autant « opposant historique » que lui, ne laisserait la vedette qu’au président légitime. L’arithmétique autant que la corruption des électeurs, font ainsi du général-candidat le vainqueur assuré. Surtout, l’intérim de la présidence de la République que régulariserait la démission trop sollicitée de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, resterait assuré par un président du Sénat, à l’équation personnelle faible et qui s’est retourné plusieurs fois depuis le putsch dont il fut quelques semaines l’opposant à l’instar du président de l’Assemblée nationale.

Il faut donc créer le cadre d’un débat national approfondi sur les grands sujets et reporter le scrutin présidentiel à une date où le consensus, autant que la reprise d’habitudes démocratiques, seront assurés pour tout le monde. Pour le général-candidat, ce serait la chance d’une élection incontestable. Pour les candidats civils, Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir, ce serait prendre le temps de s’entendre en animant la plate-forme d’exercice d’un pouvoir dépassant des clivages, habituels en Europe et aux Etats-Unis, mais impraticables sans longue tradition parlementaire : seul, mais difficile chemin pour une joute électorale défaisant enfin la prétention de quelques officiers, puis de leurs émules, à répondre seuls du destin national et à arbitrer tous les éphémérides politiques au-dessus de la Constitution et des lois.

Ce cadre est simple.

Quel intérimaire plus désintéressé et disposant initialement de plus d’expérience démocratique et de partisans, précisément définis par leur attachement à la démocratie, que le président de la République élu le 25 Mars 2007 ?

Sa tâche sera de favoriser le consensus sur les grands sujets, dont les nouvelles institutions puisque l’apparent décalque de la Constitution française ne répond pas aux nécessités et à la sociologie politiques mauritaniennes. L’expérience de journées de concertation en Octobre 2005, singée du 30 Décembre 2008 au 6 Janvier 2009, n’est plus la solution. L’institution parlementaire se fonderait enfin dans le pays si précisément elle était le cadre et l’outil de ces débats et de consensus. La composition actuelle des deux chambres est frappée d’un vice initial – voulu par la junte de 2005 et qui a pleinement profité à celle de 2008 (comprenant d’ailleurs six des membres de la précédente). Malgré un consensus hostile de tous les partis politique petits ou grands, traditionnels ou de circonstances, il a été admis que les candidatures pouvaient être indépendantes aux élections de 2006-2007. Ce qui a permis aux partisans du colonel Ould Taya renversé par ses candidats et vite dociles aux tactiques de ces derniers d’avoir de fait la majorité.

La transition démocratique que permettrait le rétablissement du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi s’inaugurerait par l’adoption d’un nouveau régime électoral, consacrant les partis, leur stabilité et leur financement, interdisant donc les manipulations désastreuses de candidats dits indépendants. Le renouvellement du Sénat, pour un tiers, qui a été reporté le mois dernier et qui aurait pu changer la présidence de cette chambre et donc la personne de l’intérimaire, se ferait en même que l’élection d’une nouvelle Assemblée nationale. Celle-ci serait, entre autres missions, constituante. Ses travaux porteraient sur les grandes questions de manière à ce que l’élection présidentielle à venir enregistre davantage un consensus sur les thèmes qu’une querelle entre les personnes. Le scrutin présidentiel anticipé ou pas par une démission du seul ressort du président légitimement rétabli, n’aurait plus pour objet que d’élire le candidat le plus propre à appliquer les décisions de ce Parlement de consensus. Un gouvernement d’union nationale expédierait les affaires courantes. Des commissions mixtes Parlement-société civile-forces armées pourraient contribuer aux débats parlementaires.

Parfaitement désintéressé, ne se représentant probablement pas sauf – là encore – consensus, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi ne serait plus ce qu’il a été, malgré lui : un gouvernant coincé entre un cabinet militaire qui l’assiégea dès son élection, faute qu’il ait été aussitôt rétrogradé dans les organigrammes, et une opposition qui fut très impatiente et de personne. Il ne sera plus la tête de turc des militaires et de l’opposition dite démocratique d’avant le putsch. Ni la tête de turc dont toutes les médiations supposent l’élimination maintenant, à peine moins imposée, que celle par la force le 6 Août 2008. Son utilité nationale sera évidente.

Si cette vue idéale – qui tôt ou tard sera la voie mauritanienne – ne se réalise pas dans les trois semaines à venir, la responsabilité en sera au général-candidat et à ceux qui, à l’étranger, sont en situation de lui faire comprendre, d’homme à homme, que son fait accompli, si déguisé soit-il, ne sera pas accepté./.

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