samedi 9 août 2008

3ème anniversaire - 3 août 2005 . déposition de Maaouya Ould Sid'Ahmed Taya

Les 8 – 15 Novembre 2005


Le changement en Mauritanie

réflexions sur l’événement du 3 Août 2005 et ses suites possibles




les faits

3 Août 2005, en l’absence de Maaouya Ould Sid Ahmed Taya, un Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), présidé par le lieutenant-colonel Ely Ould Mohamed Vall, directeur de la sûreté nationale depuis 1984, prend le pouvoir

4 Août 2005, dissolution du Parlement et publication le 6 d’une Charte constitutionnelle remplaçant provisoirement la Constitution du 20 Juin 1991

8 Août 2005, l’ancien président, dans un entretien à la chaîne Al-Arabiya, annonce son retour au pays et ordonne aux troupes d’ « intervenir pour rétablir l’ordre constitutionnel » ; il demande aux autres Etats membres de l’Union du Maghreb arabe de « prendre leurs responsabilités » ; en vain ; il s’établit à Banjul.

10 Août 2005, formation d’un nouveau gouvernement ; un des anciens Premier ministres d’Ould Taya (1992), en poste à Paris, est Premier ministre : Sidi Mohamed Ould Boubacar

11 Août 2005, premier conseil des ministres du nouveau régime ; il se tient sous la présidence d’Ely Ould Mohamed Vall, qui prend de facto le titre de chef de l’Etat

16 Août 2005, le CMJD réitère ses engagements, notamment un processus électoral de deux ans au terme duquel, sans qu’aucun de ses membres ni de ceux du gouvernement y soit candidat, il remettra le pouvoir

20 Septembre 2005, la veuve de l’ancien président Moktar Ould Daddah est reçue par le nouveau chef de l’Etat

25 au 29 Octobre 2005, journées de concertation CMJD – société civile : consensus sur les réformes et sur le calendrier
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calendrier électoral

24 juin 2006, référendum pour l’adoption des réformes constitutionnelles ;
19 novembre 2006, élections législatives et municipales ;
21 janvier 2007 élection sénatoriales ;
11 mars 2007, premier tour des élections présidentielles et en cas de second tour, le 25 mars 2007.

I – Des questions légitimes pour la communauté internationale

II – Un état de l’opinion mauritanienne maintenant


III – Le processus de transition démocratique


IV – Quelle conduite tenir pour l’Union européenne ?


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L’événement du 3 Août 2005 en Mauritanie ressemble formellement à celui du 12 Décembre 1984 : en l’absence du « président » régnant, un de ses pairs, militaires, prend le pouvoir et suscite de grands espoirs.

Les différences tiennent à ce que Maaouya Ould SID AHMED TAYA avait les apparences de la légalité depuis un referendum de 1991 ayant conclu à l’adoption d’une Constitution, et à la suite de trois élections présidentielles censément pluralistes en 1992, 1998 et 2003, tandis que Mohamed Khouna Ould HAIDALLA n’avait pour lui que la possession d’état depuis une série de révolutions de palais à partir du renversement du père fondateur, Moktar Ould DADDAH, le 10 Juillet 1978. Il y a aussi la vraisemblance d’une intervention française, ou au moins d’un encouragement de Paris, dans les événements de 1984 : le chef d’état-major des armées, peu de temps avant le coup, est en Mauritanie, ostensiblement proche de son homologue, le colonel Ould TAYA tandis que le « chef de l’Etat » est quasiment contraint de s’absenter sur pression française pour participer au sommet francophone de Bujumbura. Au contraire, l’événement du 3 Août 2005 semble indépendant de tout appui moral ou matériel de l’extérieur. Dans les deux cas, le régime n’était plus supporté pour une violation constante des droits de l’homme sans réelle efficacité sur la condition populaire quotidienne. Deux signes avant-coureurs ont précédé le coup récent : la tentative violente de renversement les 8 et 9 Juin 2003 et l’issue lénifiante du procès de Wad Naga, le 31 Janvier 2005, où avaient comparu aussi bien les acteurs militaires effectifs de la tentative que les candidats malheureux à l’élection présidentielle du 7 Novembre 2003. Pas de condamnation à la peine capitale et non-lieu pour les politiques, le 13 Février 2005.

La position que doit prendre l’Union européenne – quelle que soit l’interprétation que l’on donne aux dispositions pertinente du traité de Cotonou – doit être appréciée selon deux éléments :

1° l’Union pressée explicitement par l’opposition unie contre Ould TAYA en 2003 a éludé toute procédure de contrôle des élections présidentielles, alors qu’il s’avérait que par suite de changements de programmes, la possibilité budgétaire existait ; ce refus tient à la position de certains Etats, dont probablement la France quoique celle-ci, au niveau de l’Elysée et du Quai d’Orsay, ait été édifiée à plusieurs reprises par les opposants ; l’emprisonnement durable du candidat de l’opposition à l’élection présidentielle de 1997, l’arrestation d’un des principaux candidats à celle de 2003 la veille puis le lendemain du scrutin du premier tour n’ont pas fait suspecter le régime ; ce refus a été notoire en Mauritanie, il a à la fois conforté Ould TAYA et diminué le prestige européen ;

2° la position stratégique de la Mauritanie a grandi en importance ces années-ci :
- le pays devient producteur de pétrole ; c’était pendant depuis le début des années 1970, mais la nationalisation de MIFERMA en Novembre 1974 a probablement effrayé les investisseurs ;
- l’environnement démocratique dans la région se précarise ; le régime du président WADE au Sénégal a déçu, la corruption est trop proche du pouvoir ; le régime malien n’a pas le rayonnement escompté ; la capillarité avec la Côte d’Ivoire est importante du fait de la diaspora mauritanienne commerçante et maraboutique dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest ;
- la question du Sahara anciennement espagnol pourrit après les approches de solution qu’offraient les différents plans BAKER ; elle est grosse d’un conflit entre le Maroc et l’Algérie et d’une instabilité de l’Union du Maghreb arabe à laquelle le partenariat euro-méditerranéen, selon le processus initié à Barcelone en Novembre 1995, est attaché de manière à ce que l’Union européenne ait quelques répondants bilatéraux au sud ; l’expertise mauritanienne n’est pas contestable, et elle est désintéressée ; mieux qu’aucune autre puissance locale ou organisation internationale, elle connaît les populations et le terrain ; rien qu’un séjour dans les camps de Tindouf, après qu’on soit passé en Mauritanie, montre qu’il s’agit des mêmes groupements humains et de la même façon de vivre et de se référencer ; elle est désintéressée puisqu’elle a renoncé à la possession que lui accordaient les accords de Madrid en Novembre 1975 et aux présomptions de droit que lui reconnaissait, davantage qu’au Maroc, l’avis consultatif de la Cour internationale de justice en Octobre 1975 ; elle peut donc être un élément arbitral ou accompagnateur ;
- l’établissement de relations diplomatique et probablement dans le domaine des services de sécurité entre Nouakchott et Israël, quoique fort mal considéré par les Mauritaniens, met la diplomatie du pays et surtout ses élites en capacité de faire comprendre une diversité de points de vue ; la participation de certains Mauritaniens à des instances intellectuelles musulmanes mondiales montre l’effectivité de cette influence et de cette indépendance.


I – Des questions légitimes pour la communauté internationale

Ayant refusé d’approfondir le régime qui vient de tomber, et de participer à l’observation de ses principales consultations électorales, la « communauté internationale » s’est construit un système la conduisant à soutenir l’état de choses existant.

Il est certain que les changements de régime depuis 1978 ont suscité des manifestations d’enthousiasme à chacune de leur époque, cela s’est encore vu à l’échec de la tentative de Juin 2003. L’expression d’attentes que ne satisfaisait pas le système précédent ne vaut pas adhésion. L’état de fait est toujours raisonné en Mauritanie de façon pratique. Le pays a toujours été attentiste, les colonisateurs l’ont vêcu durant toute la période d’administration française : sans doute, le pays était-il pacifié, mais après trente ans de péripéties et de retournements politiques et militaires, mais les esprits n’étaient pas tous gagnés. La défection de l’émir de l’Adrar dans les années 1930, le mouvement hamalliste dans les années 1940 dont encore aujourd’hui il est difficile de démêler s’il fut uniquement de pratique religieuse ou aussi de revendication nationale, l’allégeance au Maroc de l’ancien député à l’Assemblée nationale française en 1956 puis de l’émir du Trarza en 1958 tandis que la France commençait d’établir l’autonomie interne l’ont montré. Mais à partir de l’indépendance et jusqu’à cet été, deux dialectiques se sont succédées ; l’une d’intégration progressive de tous les éléments du pays, moyennant une ambiance de détribalisation et de suppression des structures traditionnelles (chefferies, servage) par suppression de base légale et de tolérance judiciaire et par extinction ; l’autre à partir des coups militaires de défections et de déceptions successives affaiblissant avec le temps l’assise de pouvoirs n’acceptant aucune fin prévisible d’exercice, assise nettement tribale, les changements ne s’opérant depuis 1978 qu’au regard de l’ethnie ou du clan dominants.

Le régime d’Ould TAYA avait un point commun avec le régime colonial français : à défaut de s’assurer fondamentalement les esprits, ce qui est impossible quand le système est de domination, il s’est agi de contribuer à une amélioration matérielle de la vie des gens, surtout en brousse, en province, au désert. La France ne s’y donnait pas complètement puisqu’il n’y eut pratiquement pas de formation de cadres et qu’il n’y avait pas d’administrations centrales ni même de chef-lieu qui soient propres au Territoire. Le régime d’Ould TAYA électrifia, fit campagne pour des écoles, des bibliothèques, goudronna, mais ne parvint pas à freiner l’exode rural : la moitié du pays ou presque vit à Nouakchott. Les infrastructures d’administration et de logistique datent des années 1960 et 1970 : la capitale, le port en eau profonde à Nouakchott, l’extraction minière, la route ouest-est profitant autant au centre de gravité démographique du pays qu’à ses voisins directs ou proches, le Mali et le Burkina-Fasso.

Le fond de l’opinion mauritanienne ces dernières années peut se caractériser ainsi :
- une vive conscience chez les élites du délabrement des structures administratives et culturelles du pays : l’Université inexistante, l’enseignement secondaire insuffisant ;
- une sorte de honte répandue dans toutes les classes de la société, en brousse plus encore qu’en ville sur ce que devenaient les Mauritaniens eux-mêmes subissant un régime les avilissant par le consentement tacite qu’il réclamait et obtenait parfois d’eux, résignation malsaine ; les plus réfléchis ou plutôt les plus informés, car les Mauritaniens sont nativement réfléchis, observaient la perte de crédit moral et international du pays ;
- une inquiétude exprimée quant à la précarité de l’unité nationale du fait de la très mauvaise gestion des incidents raciaux au Sénégal et en Mauritanie du 25 Avril au 3 Mai 1989, suivi d’une rupture des relations diplomatiques avec Dakar et de l’établissement de fait de très nombreux camp de réfugiés au sud du Fleuve. L’horreur a sans doute redoublé quand une tentative prétendue de coup d’Etat, le 6 Décembre 1990, a motivé, sans procès, le massacre de plus de 500 militaires Toucouleurs. La population sédentaire a senti que se rompait un pacte multiséculaire et des solidarités familiales et économiques établies et une partie majoritaire de l’élite maure a considéré que le fondement moderne de l’Etat et de la légitimité en Mauritanie était ébranlé, même si certains éléments originaires de la Vallée du Fleuve avaient manifesté des tendances très contestataires, mais auxquelles donnait prise le régime ;
- une débrouillardise sans morale fondée sur le sauve-qui-peut rendait tout accessible, compte tenu de la pauvreté ambiante du pays ; la police s’achetait ; il y eut des « émeutes du pain » en 1995 ; il était notoire que telle tribu s’était vue attribuer le monopole pratique de telle importation ou de tel commerce ; toute l’éducation au développement et au sens de l’Etat et du bien commun était à refaire, et chacun s’en désolait.

L’ensemble aboutissait à une passivité générale, ce n’était plus même l’attentisme caractérisant la fin de la colonisation, il n’y avait pas non plus les impatiences d’une jeunesse qui fut décisive dans la construction du nouvel Etat. L’Etat disparaissait. Le discours qui se faisait entendre de l’étranger était celui de ses soutiens, lesquels se répétaient un argumentaire tenant en quelques points :
- le pays n’est pas mûr ;
- le régime est moins autoritaire qu’on ne le dit puisqu’il y a la géographie et la tradition qui tempèrent le pouvoir ;
- la démocratie, le pays ne l’a jamais connu. L’opposition parvient à faire élire des candidats, un peu au Parlement, beaucoup aux municipale (de fait, l’opposition est majoritaire dans les arrondissements de Nouakchott, mais n’obtient pas pour autant la mairie de la capitale) ;
- les élections sont peut-être falsifiées mais pas à une échelle telle que les candidats de l’opposition l’aient jamais emporté ; les nouvelles cartes électorales garantissent la régularité d’une partie du processus.



II – Un état de l’opinion mauritanienne maintenant


L’ensemble des politiques mauritaniens a réagi positivement, non seulement au renversement d’Ould TAYA mais aux engagements pris par le Comité militaire, ainsi qu’à l’amnistie générale permettant l’élargissement des inculpés au procès de Wad Naga, et leur participation aux diverses instances de concertation. Il est généralement considéré aujourd’hui que les engagements sont crédibles, et que ceux dont on peut vérifier s’ils sont immédiatement tenus, le sont.

A vrai dire, il y a peu de choix pour ces milieux. Douze ans de combats dans le respect de la légalité instaurée par la dictature militaire en 1991-1992 n’ont pas abouti. La fraude massive aux élections, le maintien d’un état d’exception du fait de l’ajout, après la consultation référendaire du 12 Juillet 1991, d’un article 104 à la Constitution maintenant les textes répressifs entre autres, le détournement deds procédures au Parlement et dans l’exercice de la liberté de presse n’ont pas permis l’émergence d’une réelle démocratie politique. Quant à la direction de l’économie du pays, elle a été tribalisée et les gestions ont été mensongères, avec – il est possible – la complicité de certains agents d’organisations financières internationales : ainsi la tenue d’une comptabilité double pour la Banque centrale. Les politiques n’ont été pour rien ni dans la tentative de Juin 2003 ni dans les supposées tentatives de l’automne 2004, ni dans le coup de main, mal identifié, du 4 Juin 2005 (un prétendu « groupe salafiste pour la prédication et le combat » GSCP algérien ? ayant fait allégeance à Al Qaïda, attaque le poste de Lemgheity, dans le nord-ouest). Le régime déchu tel qu’il fonctionnait ne pouvait être renversé que par lui-même.

Il l’a été parce qu’il avait perdu depuis au moins 2003 son dernier argument : celui de garantir la stabilité et l’ordre apparents du pays. Et cela pas tant aux yeux de la population ou des politiques, mais en son sein propre. Plus qu’un régime, c’est un homme qui a été abattu, son autisme, peut-être ses mœurs, plus rien n’était collégial et la méfiance était maladive – les anecdotes en couraient Nouakchott – et l’évidence qu’il ne tenait plus compte des événements l’avertissant d’avoir à changer et ouvrir. La population et l’Etat étaient complètement séparés l’un de l’autre. En ce sens, les membres du Comité militaire sont en phase avec les politiques.

Les engagements pris et réitérés ont convaincu. Notamment que les tenants actuels du pouvoir, membres du Comité et membres du Gouvernement, ne seront pas candidats aux prochaines élections. Les processus de consultation et d’éventuelle rédaction, le calendrier des échéances électorales sont crédibles et acceptés. Tout au plus, est-il souhaité que les délais soient abrégés. Car de deux choses l’une ou les Mauritaniens, malgré deux décennies de dictature, sont prêts pour l’exercice de la démocratie ou bien ils ne le sont pas, et deux ans de « préparation » et d’étapes n’y changeront rien. C’est une pratique immédiate qui est donc attendue.

Deux points sont particulièrement discutés.

L’administration de la justice faisait l’unanimité contre elle, depuis des années : la dépendance du juge du pouvoir exécutif, la corruption, le népotisme, l’hétérogénéité de niveau, le défaut de moyens et de compétences. Lors des journées de concertationtenues par le CMJD avec la société civile du 25 au 29 Octobre dernier, il a été entendu de garantir l’indépendance du juge, soustraire la justice du système de dysfonctionnement où elle végète depuis des décennies en la dotant de moyens d’infrastructures et de compétences. L’accord est fait sur la garantie et la protection des libertés individuelles et collectives des citoyens mauritaniens et aussi celles de tout étranger résidant ou de passage en Mauritanie. Les garanties juridiques offrant la sécurité au développement du capital, et surtout à l’investissement étranger sont en gestation : traitement juste et équitable de tous les justiciables qu’ils soient nationaux ou étrangers.

La bonne gouvernance porte sur le gaspillage et le détournement des ressources nationales. Le système économique est paralysé par la généralisation de toutes les formes de la délinquance économique : du détournement de deniers publics, la corruption, le délit d’initié, le trafic d’influence. La chose publique était devenue la propriété de quelques gouvernants. Un ensemble d’audits est attendu et convenu, particulièrement dans les secteurs les plus sensibles pour dégager de nouveaux paramètres de meilleures gestions. Le pétrole et les mines sont concernés, les richesses de la mer aussi.

L’administration est malade de ses hommes, de ses structures, de ses méthodes de travail, de son népotisme. Une refonte totale à tous les niveaux s’impose. Le nouveau pouvoir est prolixe en recommandations de proximité vis-à-vis des administrés et de vigilance à maintenir envers les problèmes concrets se posant à la population. Il n’est pas douteux qu’une bonne partie du jugement de l’opinion générale se fondera sur ce changement, s’il est rapide et avéré.

La radio et la télévision sont devenues accessibles aux partis politiques qui interviennent de façon très libre et participent à des débats en direct. Ce son des personnalités indépendantes qui animent maintenant les échanges dans l’ensemble des médias. C’est sans précédent dans le pays. Ceux des journalistes, qui étaient interdits des médias, ont trouvé leur tribune. Un cas-type a été un débat dans toutes les langues parlées en Mauritanie sur le processus électoral à venir, avec participation des auditeurs en direct.


Les éléments de dubitation viennent de ceux qui observent plusieurs points :
- le lieutenant-colonel Ely Ould MOHAMED VALL a été le plus proche collaborateur d’Ould TAYA depuis son accession au pouvoir ; il a occupé sans discontinuer la position clé de dirigeants des services de sécurité et de renseignement ; comme tel, il partage la responsabilité morale de toutes les fraudes, mais aussi de tous les grands actes du régime contraires aux droits de l’homme (massacre des militaires d’ethnie Toucouleur, pogroms anti-sédentaires du Fleuve et anti-Sénégalais en réponse il est vrai à des exactions analogues commises au Sénégal-même) ; son intégrité pécuniaire est généralement reconnue, mais certains la contestent ; il ne pourrait donc incarner le changement mais plutôt une manière de l’ancien régime de se sortir d’impasse ;
- les thèmes principalement traités par le nouveau pouvoir : justice, bonne gouvernance et démocratie font discours, mais ne portent sur les deux problématiques de fond que sont l’unité nationale (avec comme préalable la réconciliation nationale, que ne peut faire la seule absence de « chasse aux sorcières ») et la gestion avec reddition de compte du pillage pendant deux décennies des ressources du pays ; des « journées de réflexion » très médiatisées, au début de l’automne, n’ont pas abordé ces sujets ;
- l’armée est en très mauvais état ; elle peut se révolter pour des raisons matérielles ; le Comité n’est pas homogène, il peut se diviser ; les engagements pris par ceux à qui est échu le pouvoir le 3 Août ne valent que par eux, qu’ils partent ou se divisent et rien ne tient ;
- l’analyse n’est pas faite d’un élément essentiel du régime déchu, la fraude électorale, ce qui empêche, dans l’état actuel des choses, une préparation technique et psychologique appropriée des prochaines consultations.

Pour un observateur extérieur, un autre élément de doute apparaît. Le fonctionnement d’institutions démocratiques supposent un consensus sur leur légitimité. Celle-ci peut se définir par la légalité des institutions et des pratiques, et un large consentement à l’expression de cette légalité. Elle se définit aussi par les services effectivement rendus au pays, par le progrès du bien commun. Or, la légitimité s’était fondée en Mauritanie, à l’époque contemporaine, sur les circonstances d’une décolonisation politique, diplomatique et économique. Sans doute, le système du parti unique de l’Etat, dominant à l’époque en Afrique, peut paraître décalé et critiquable aujourd’hui ; il était, dans sa version mauritanienne, de pratique démocratique interne non contestable, et susceptible d’évolution, que préparait d’ailleurs Moktar Ould DADDAH à la veille d’un renversement où les dettes fiscales de certains militaires ont beaucoup joué. La vision qu’expose Ely Ould MOHAMED VALL met à pied d’égalité tous les régimes et personnages qui sont antérieurs à sa prise de pouvoir. Ainsi, la période de transition, telle qu’elle se présente et popularise sa thématique, reporte au lendemain des élections promises et selon la sincérité qu’elle leur garantit, la naissance d’une légitimité. Et celle-ci serait sans base ni précédent. Le pays est ainsi privé de la ressource de son histoire propre.

Le régime est bel et bien de transition, pas tant parce qu’il prétend ne pas s’installer mais seulement servir et garantir les prochaines échéances, mais parce que moralement et politiquement, il reste très lié au régime précédent, dans son personnel et dans sa lecture des événements depuis cinquante ans. Etant d’ailleurs noté que cette lecture n’a jamais été explicite ; elle est le socle d’une justification du parti dominant ou de l’exercice de la fonction présidentielle par des précédents. Or ceux-ci ne correspondent nullement à la réalité de l’ancien parti unique des débuts de la Mauritanie contemporaine, le Parti du Peuple Mauritanien ni à la manière dont le père fondateur Moktar Ould DADDAH exerça très collégialement le pouvoir.

Il importe que le nouveau pouvoir ait en face de lui un interlocuteur vigilant et authentique. Une société civile existe en Mauritanie du fait de la cure d’opposition pendant plusieurs décennies de personnalités qui ont d’autant plus mûri et se sont habituées à travailler en équipe et en coalition. L’accord des candidats d’opposition à l’automne de 2003, à propos du processus de l’élection présidentielle, était très démonstratif d’un état d’esprit qui s’est encore davantage structuré depuis le 3 Août. Les attentes de la population, le consensus des politiques participent de la même certitude : une chance, qui ne s’était plus produite depuis vingt ans, existe. La possibilité d’un jeu de rôles et d’un dialogue tient autant à l’attitude du nouveau pouvoir qu’à la maturité des oppositions au précédent régime.

C’est de ces oppositions qu’émane sans doute le bilan le plus juste du régime défait ; l’audit des textes de droit politique et économique est prêt, il est précis et constructif.

Les putschistes de 1978, en quelques semaines, s’étaient corrompus et paradoxalement avaient accusé le régime de Moktar Ould DADDAH de leurs propres déviances. Alors qu’il était notoire à l’époque et qu’il a été établi depuis que le président-fondateur était d’une parfaite et méritoire intégrité, et exigeait, sanctions à l’appui, ce qui lui était souvent reproché, un comportement semblable de tous ses collaborateurs proches ou au gouvernement. Maaouya Ould SID AHMED TAYA, en Décembre 1984, ne prit que des engagements vagues. Le Comité qu’il institua alors : le CMSN (Comité Militaire pour le Salut National) était fait de membres de droit. L’actuel Conseil militaire ne comprend que des personnes, il est vrai toutes de statut militaire. De 1984 à 1991, comme d’ailleurs depuis 1978, le pays était sans constitution ; il devrait en avoir une d’ici l’été 2006.



III – Le processus de transition démocratique


Des journées de concertation, tenues du 25 au 29 Octobre et largement médiatisées ont conclu des consultations qui avaient été entreprises par les militaires avec la société civile depuis le changement de régime. Elles aboutissent à un consensus sur les réformes et mesures suivantes :

1° les réformes constitutionnelles suivantes ont été adoptées par les participants :
- la réduction du mandat de président de la République à cinq ans, renouvelable une seule fois, avec inscription dans la Constitution que le nombre de mandats ne peut faire l’objet de modification constitutionnelle dans l’avenir ;
- inscription du serment du Président de la République avec une formule fort solennelle ;
- incompatibilité des fonctions de président de la République avec la direction d’un parti politique ;
- suppression de l’article 104 : cet article avait été rajouté par Ould TAYA à la Constitution, après qu’elle ait été adoptée lors du référendum en 1991. Cet article vidait la Constitution d’alors de toute sa substance en terme de libertés, parce qu’il maintenait l’arsenal répressif antérieur à la Constitution (lois sur l’assignation à résidence surveillée, sur les associations, sur les réunions publiques, sur le régime de la garde à vue , etc.) Tous les participants sont convenus qu’il s’agit d’un article anticonstitutionnel qui avait été rajouté à la Constitution, qu’il sera abrogé et remplacé par un nouvel article portant le numéro 103. Ce texte à rédiger, tout en préservant la continuité du droit, énoncera avec obligation à la charge du gouvernement, d’adapter tous les textes législatifs et réglementaires à la Constitution. D’ici cette mise en conformité, tout citoyen s’estimant lésé par une disposition législative ou réglementaire, pourra saisir le Conseil constitutionnel en invoquant son inconstitutionnalité.

2° la commission nationale électorale indépendante, CENI, est sans précédent en Mauritanie. La source d’inspiration a été une synthèse des systèmes africains ; la formule retenue réunit des personnalités indépendantes de toute formation politique, connues pour leurs compétences, leur technicité, leur impartialité et leur sens du devoir et de l’intérêt majeur du pays. La composition de cette instance décisive a fait l’objet la semaine dernière de consultations et devrait être connue incessamment.

3° le calendrier. Il a été décidé d’écourter la durée de la période de transition et de la ramener à 19 mois au lieu de 24 ; ce qui constitue une concession importante qu’on peut interpréter comme une démonstration de bonnes foi et volonté de la part de ceux qui s’étaient engagés à rester au pouvoir pendant une période de 24 mois et qui l’ont écourtée de 5 mois. Il prévoit les étapes suivantes :
- 24 juin 2006, référendum pour l’adoption des réformes constitutionnelles ;
- 19 novembre 2006, élections législatives et municipales ;
- 21 janvier 2007 élection sénatoriales
- 11 mars 2007, premier tour des élections présidentielles et en cas de second tour, le 25 mars 2007.

Sans qu’elles soient listées, un certain nombre de questions sont laissées à la décision des futurs élus, le Conseil militaire et les participants aux journées de concertation se sont limités aux sujets d’intérêt majeur qui structurent la transition.

La grande nouveauté mauritanienne est certainement la mise en œuvre, spontanée, qu’a permis le renversement du régime, d’une participation effective de certaines élites et des formations politiques constituées dans l’opposition à une décision commune avec les militaires et les nouveaux tenants de l’Etat sur la transition démocratique. Les conditions d’une seconde fondation sont réunies, si cette participation se maintient et si elle fait la preuve de son efficacité. La vigilance demeure. Elle est cruciale pendant toute la durée du processus. Elle doit avoir ses répondants internationaux. Cette vigilance est d’ailleurs constructive d’une opinion publique moderne et informée ; elle structurera la société civile. Il semble bien que le Conseil autant que les partis politiques en soient bien conscients. L’émergence d’une société civile changerait en effet les structures pas seulement politiques mais sociales du pays. Au lieu des solidarités tribales, maintenues et renforcées faute de mieux, exploitées par l’ancien régime, au lieu des circuits de corruption. C’est d’ailleurs, sous une forme apparemment très différente, ce qu’avaient tenté dans un contexte aussi de consensus, les premiers fondateurs de 1957 à 1978.



IV – Quelle conduite tenir pour l’Union européenne ?


Il y a un régime de fait, qui affiche des intentions et qui est accepté par la population ; il y a un consensus des politiques, tant des partisans de l’homme déchu que de ses opposants de longue date ; il y a, du fait du régime renversé, une certaine expérience de lutte pour les droits de l’homme et il existe un corps d’avocats de niveau comparable à celui de bien des pays européens en matière de libertés publiques et d’analyse du droit constitutionnel ; il y a une presse qui ne demande qu’à s’épanouir si elle a la garantie de n’être pas confisquée après tirage ; il y a enfin une reconnaissance internationale, et d’abord de la Ligue arabe, de l’Organisation de la conférence islamique, de l’Union africaine et des voisins, notamment marocain et sénégalais.

Il y a une équipe gouvernementale, combinant expérience et virginité. Sidi Mohamed Ould BOUBACAR, le Premier ministre vient de Paris où il était ambassadeur depuis quelques mois, c’est habile, il l’a déjà été en 1992 sans qu’il soit dit combien de temps, il a occupé le poste de trésorier général. Le ministre des Affaires étrangères et de la coopération l’a déjà été de 1998 à 2001, occupant avant et depuis des ambassades névralgiques, Etats-Unis, Egypte et connaissant les Nations unies, le seul d’ailleurs de la combinaison actuelle à avoir eu des fonctions d’autorité sous Moktar Ould DADDAH, avant 1978. Le ministre des Finances, un CHEIKH SiDYA a été ministre des affaires économiques et du développement en 2003. Aux autres postes-clés, des connaisseurs sans qu’ils aient eu déjà le portefeuille, ils sont donc sans compromission : à la Justice, un avocat, membre du conseil de l’ordre et qui semble faire l’unanimité chez ses confrères, à la Pêche, un expert, au Pétrole aussi.

A cela s’ajoutent certains traits du tempérament mauritanien :
- le désert est contagieux, en ce sens que les originaires de la Vallée du Fleuve, comparé à leurs frères de race au Sénégal, ont un mimétisme avec la part maure de la population ; c’est manifeste dans les élites ; là est l’unité du pays ;
- l’Islam mauritanien est tolérant et ouvert ; il est cultivé, historicisant et se sent des racines très anciennes depuis le Hedjaz et le Yémen ; il se veut missionnaire mais pour propager la tolérance et une certaine conception de la dignité humaine en Afrique de l’Ouest ; la relation avec l’Etat est d’ordre culturel mais guère identitaire ou hiérarchique. Elle était devenue très mauvaise sous l’ancien régime (de nombreuses arrestations eurent lieu dans les milieux religieux en Avril 2004) qui fondait de plus en plus sa préoccupation sécuritaire sur la répression d’un possible intégrisme ; cette dialectique n’a pas tenu ;
- l’Autorité palestinienne est très populaire, le bureau de l’OLP date de 1969, mais il n’y a pas d’anathème contre Israël, il y a une réflexion juridique et sociologique, une pétition de droit, mais la reconnaissance de l’Etat hébreu a été le fait d’Ould TAYA donnant la priorité à ses relations avec les Etats-Unis et à l’obtention de certains crédits internationaux, supposant que la Mauritanie soit rayée d’une « liste noire » ; il y a des influences libyennes, il y avait des influences baasistes, mais elles n’ont jamais transformé le pays en « dictature des oulémas » ;
- le Mauritanien n’est pas xénophobe, il n’est pas non plus servile face aux modèles étrangers, il sait imiter mais il a le sens critique, et même celui de l’auto-critique ; .
- le tropisme vers l’Europe, et pas seulement la France, est certain ; les déclarations d’Ely Ould MOHAMED VALL sur le maintien des orientations pro-américaines de son prédécesseur ne correspondent pas au sentiment général.

Il y a donc matière et interlocuteurs dans la « société civile » pour un dialogue politique entre l’Union européenne et la République Islamique de Mauritanie. Il y a aussi matière et possibilité concrète pour l’observateur étranger à établir un diagnostic du pays : une volonté d’être informé trouve très vite des répondants éclairants, il faut les chercher et de les rencontrer.
La ligne à suivre pourrait donc être :

- abréger au plus possible les délais pour procéder aux prochaines consultations et faire préciser la nature de celles-ci (referendum constitutionnel ?, élections législatives, élection présidentielle, et leur ordre) ;
- relire en experts les principaux textes de droit public régissant les élections, refaire sans doute le Code électoral qui est actuellement dispersé en plusieurs lois et décrets et semble porter exclusivement sur les consultations municipales, le droit applicable pour les autres s’en déduisant : il existe au barreau de Nouakchott de bons spécialistes du droit électoral ; quelques experts européens, de divers Etats-membres, pourraient enrichir et préciser les textes en dialogue avec ces spécialistes ; les instances de contrôle et d’appel en matière électorale seront sans doute à étoffer et à constituer, cela ne peut s’improviser et impose le détachement d’experts pendant la période préparatoire ;
- suivre le processus électoral de bout en bout, de la confection des listes électorales jusqu’au dépouillement du scrutin, ce qui suppose une présence à plusieurs agents de plusieurs mois dans chacune des quelques cinquante circonscriptions mauritaniennes ; le devis avait été fait pour l’automne de 2003, de l’ordre d’un euro. par électeur, à investir de la part de l’Union européenne.

Le prochain pouvoir, issu des urnes, sera refondateur. Il aura pour ambition de reconquérir le crédit international – moral et financier – qu’avait écrit le premier pouvoir mauritanien, jusqu’en 1978 ; il reprendra la lutte contre le tribalisme et la corruption, tentera de redonner à la jeune génération le sens de l’Etat et du bien commun. L’ambiance ne dépendra pas que de lui, elle sera le résultat de l’accompagnement ou pas par l’Europe de la période transitoire. Si cette période n’est pas structurante, le futur pouvoir s’établira mal ; l’histoire est trop peu démocratique depuis des décennies pour que la base d’un vote suffise, il faut manifestement une politique très éclairée, informée et que la population entende dès maintenant un discours qui la prépare à cette objectivité et la lui fasse apprécier. Elle est déjà à l’exiger et il est probable qu’elle saura la discerner.

L’enjeu est un test de la coopération eurafricaine et de la conditionnalité politique des derniers traités d’association. L’Europe a contribué à l’établissement de la démocratie dans quelques pays d’Afrique à l’occasion d’élections supervisées et validées par elle. L’espèce mauritanienne est plus exigeante, l’accompagnement doit se faire dès maintenant.

La caution européenne du nouveau cours n’a de sens que si ce cours est nettement dessiné et constamment veillé. Elle n’est pas indifférente pour le maintien et l’accroissement des indispensables investissements étrangers. Elle pourrait se caractériser par l’offre d’un audit des finances publiques, des comptes de la Banque centrale et des principales exploitations des matières premières et des réserves alleutiques ; l’Etat mauritanien serait libre d’en déduire des tendances à la falsifications ou à la corruption, de punir ou pas, mais la matière serait présentée avec toute garantie d’exhaustivité et d’objectivité./.


BFF 8 & 15 XI 05

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