samedi 2 août 2008

30 ans après le putsch de 1978 - Mustapha Ould Mohamed Saleck parle

publié par Le Calame (Nouakchott) les 8 . 15 et 22 Juillet 2008





10 Juillet
30ème anniversaire du coup

Mustapha Ould Mohamed Saleck
parle à Ould Kaïge,


Avertissement : depuis le retour d’exil du président Moktar Ould Daddah, Ould Kaïge a voulu savoir les circonstances et les raisons de sa chute. Il a interrogé les collaborateurs du père-fondateur mais aussi les pustchistes. Entendre les raisons de chacun n’est pas les partager,
mais mieux voir et comprendre.

Ould Kaïge n’a la responsabilité que des questions.

L’entretien a eu lieu, il y a deux ans, le dimanche 23 Avril 2006.




questions et dires de Bertrand Fessard de Foucault
dires de Mustapha Ould Mohamed Saleck

I – Ambiance et évolution des choses : une explication ?
II –Un putsch ou le changement ? Qu’est-ce que la légitimité ?
III – Les impasses


I

Ambiance et évolution des choses




Le 10 Juillet 1978, quand l’armée renverse le président Moktar Ould Daddah, vous êtes le chef de l’’état-major national, pour la troisième fois, et vous devenez le premier président des Comités militaires que le pays a connu jusqu’en 1992. Moktar Ould Daddah vous a connu instituteur et vous a fait faire les plus hautes études militaires – elles se faisaient toujours en France à l’époque – et vous avez été son premier aide-de-camp mauritanien. Vous avez été un temps gouverneur de région.

Je remplissais mes missions avec d’autant plus de cœur que j’y croyais, que je croyais à cette Mauritanie, dans ces circonstances tout à fait particulières. J’avais également l’appréciation, en tous cas les égards de la part de tout le monde, aussi bien du secrétariat général à la Défense. Jamais désignation ou initiative n’a été jugée plus juste qu’un garçon comme Mohamed Ould Cheikh : réaliste sur tous les plans. Pas du tout prétentieux en tant que personne, pas du tout prétentieux sur le plan technique. Mohamed Ould Cheikh était un garçon de poigne et quand il est quelque part, dans un gouvernement, on sent qu’il y a Mohamed Ould Cheikh, on sent qu’il y a une personne, qu’on pouvait convaincre, avec laquelle on discutait. Excellent collaborateur, vraiment tout désigné : c’est un chef, incontestablement. Un homme d’Etat. C’est pourquoi les gens ne l’ont pas toujours apprécié tel qu’il est parce qu’ils ont toujours voulu créer entre lui et Moktar une certaine mésentente. A laquelle, d’ailleurs, il se refusait, parce que – lui – il a le verbe franc. Quand il est devant Moktar, il lui dit les quatre vérités.

Une armée, ou pas ?

Nous nous sommes rencontrés, lors du Conseil national à Tidjikja, en Mars 1970. On commence d’envisager l’intégration de l’armée au Parti. Est-ce un problème pour vous ?

M. Sall Abdoul Aziz, à l’époque directeur de cabinet du Président, peut le confirmer. Je lui dis : j’ai l’impression que je piétine, je tourne sur place. Il y a des procédures. Ou bien nous voulons faire une armée, engager cette armée à un certain niveau. Si ce n’est pas le cas, moi je pense que j’ai encore un minimum de vigueur, confiez-moi de grâce quelque chose qui me permette d’être utile au pays et ne me demnadez pas de former des soldats qui ne font plus que manger et boire. Pendant très longtemps avec gentillesse, il m’a écouté. Vous êtes très fatigué, on va vous envoyer à Las Palmas, il y a des hôtels, passer un mois à l’étranger. – Je ne suis pas du tout fatigué … il me faut régler cette affaire, il me faut un équipement, il me faut une armée. Qui soit digne de ce nom, quelque chose d’abouti. Cela ne m’intéresse pas de faire de la politique. A ce moment-là, naturellement, on traversait toutes ces phases de vouloir intégrer l’armée au Parti. Le ministre du Parti, où chacun à son salon et où l’on compte les officiers qui sont là. Je me suis interdit ces choses-là, les militaires politiques, les politiques militaires… en tant que militaires, nous ne sommes pas faits pour faire de la politique. Ce qui m’intéresse c’est que ce pays-là reste sain et sauf. Et qu’il ait un outil militaire qui se développe, qui ait du matériel et qui suive l’évolution des matériels, que tous ces pays inventent… Rester en continuité avec ma conscience et en continuité avec ma formation.

Naturellement, j’ai préparé le dossier, dans un domaine, dans une ambiance, dans un monde auquel je n’appartenais pas du tout, où les gens s’achetaient des officiers pour avoir le plus grand groupe. En tout cas personnellement, moi, je n’y a pas participé. Nous avons fait Tidjikja, j’ai amené le dossier, il était prêt, il comportait tous les éléments pour la décision. A notre retour, une semaine, deux semaines, je suis revenu à la charge. Moktar a été suffisamment gentil quand même pour me recevoir, il m’a dit : nous ne sommes pas un pays en guerre, et notre vocation n’est pas la guerre. Nous n’avons donc pas à nous armer. Nous ne le pouvons pas. Nous avons autre chose de plus urgent que les armes ou que l’équipement militaire. Nous avons besoin d’une présence … d’une grande police… noble, grande qui puisse parer aux petites éventualités. Nous n’avons aucune vocation à agresser personne et personne ne viendra… J’ai répliqué : je ne suis pas de cet avis. Nous avons des mines, nous avons du poisson, nous avons certainement du pétrole qui va apparaître par on ne sait qui, et les gens aujourd’hui ont tous des intérêts économiques… qui attireront certainement des convoitises de tous côtés. Et nous ne pourrons pas affronter ces situations. Moi, en tous cas, je ne peux pas affronter cette situation. Faites les choix que vous voulez, moi, je veux bien gérer peut-être des citoyens, les aider sur le terrain, mais pas cette expectative dans laquelle vous nous conservez… j’ai insisté plusieurs semaines, plusieurs mois, et en définitive, ils m’ont affecté dans l’administration régionale.

D’abord à Néma, adjoint à l’un des gouverneurs, puis je suis allé à Atar comme gouverneur, aussitôt après quelques mois ramené à Néma comme gouverneur, etc… je me suis exercé dans ce domaine de l’administration. Qui n’était d’ailleurs pas moins fatiguant, au contraire où j’ai eu à apporter certaines choses, au point que le Président a exigé que les gouverneurs soient présents à toutes les réunions du Bureau politique. Nous étions convoqués à toutes les réunions à participer à l’avenir du pays sans avoir à renier de mon côté le terrain.

Jusqu’au jour où de Néma, j’ai eu un problème avec les politiciens du Parti. Raison m’a été donnée quand même à au point que j’ai été chargé, pendant la dernière année que je suis resté, à avoir le chapeau du parti, et celui de Wali, du gouverneur. De Néma, j’ai rejoint Aleg. Où très tôt, nous avons eu ce problème de Boghé et nous avons presque failli venir aux armes avec les gens du Sénégal. Réunions avec le gouverneur du Fleuve et les préfets de Rosso, Kaédi. Du côté du Sénégal, il n’y avait qu’un seul représentant, un colonel très en cour. Bras de fer dans des conditions particulières, quand pendant deux jours, il nous a tenu tête… j’ai demandé à ce que nous restions seuls entre militaires et je lui ai dit : colonel, si vous êtes venus dans cette intention, qu’à cela ne tienne, faisons tout de suite le procès-verbal suivant et nous rentrons chacun dans son pays … nous n’avons plus rien à ajouter. Evidemment, cela a fait impression et l’officier a été suffisamment intelligent pour revenir sur tout ce qu’il avait avancé et terminer le travail assez correctement. Je suis rentré aussitôt à Nouakchott, et, au ministre d’Etat, chargé de l’Intérieur, à l’époque Ahmed Ould Mohamed Salah, j’ai dit : vous avez les résultats, le Sénégal est là, mais l’affaire va éclater sur la frontière du Sahara. Nous allons l’avoir dans très peu de temps … avec le Sénégal, nous n’avons aucun conflit, aucun contentieux que nous avons pu discuter. Le Sénégal est mû par un certain mouvement, par une certaine action, un certain conseil…et derrière il y a quelque chose qui se prépare. Méfiez-vous, cela va éclater. Vous verrez… Je suis parti, l’affaire a éclaté pas plus de quatre jours après mon retour à Aleg.

L’attaque surprise du Polisario sur Nouakchott

Et cette histoire-là, dès qu’elle a éclaté, on n’a pas trouvé mieux de m’affecter de la circonscription d’Aleg à la direction de la Sonimex, parce que c’était une société qui s’en allait à la dérive et qui tombait en faillite. Et je me retrouve donc directeur général de la Sonimex, il ne devait rester qu’une comptabilité mal fichue et des stocks pratiquement dévastés. Je n’étais pas prêt à faire çà, mais je n’ai pas perdu mon temps, je ne suis resté d’ailleurs que quelques mois. A peine le temps… c’était déjà en 1976… comme par hasard, nous nous trouvons à Nouakchott. Donc, un beau matin, tombent les obus du Polisario, à côté de la Présidence … je venais de rentrer à la Sonimex, je n’étais qu’un civil, et naturellement quand sont tombés les obus, je me suis dépêché à rentrer chez moi, j’avais mes affaires militaires, un petit équipement pour pouvoir m’habiller rapidement, s’il le fallait. Et je me suis dirigé au ministère de la Défense. J’ai trouvé les gens… jusqu’au moment où le ministre a accepté de me recevoir, il voulait me voir d’ailleurs, en me disant : qu’est-ce que vous faites là ? – Je crois que c’est le ministère de la Défense et je ne suis pas encore étranger, je voudrais bien savoir à quoi je peux être utile. Je ne peux pas rester dans cette situation, les bras croisés. – Votre place n’est pas là. Rejoignez l’état-major. Qu’à cela ne tienne, c’est tout ce que j’attendais. Je suis parti voir mes collègues à l’état-major. Je suis entré… je les ai trouvés un peu … le premier qui m’a… c’était l’adjoint, à l’époque c’était Maaouya Ould Taya. Qu’est-ce qu’il se passe ? qu’est-ce que vous faites ? rien. Où est le chef ? A l’époque, c’étaut Hamoud Ould Naji. Il est en train de dormir sur un petit lit. Qu’est-ce que vous avez fait ? rien. Nous n’avons rien fait jusqu’ici. Il y a une unité de la garde qui est sortie du côté de… Dans combien de temps, pouvez-vous faire rassembler vos hommes, voilà ce qu’on pourrait faire ensemble, qu’y a-t-il comme officiers présents ? Il m’a dit : d’accord. Je n’avais pas mis les pieds là-bas depuis trois ans, mais je me suis rendu aussitôt près de M. Gallouedec. J’ai besoin de votre avion. Nous avons fait le tour de l’ensemble de Nouakchott, vu la petite unité de la garde qui était alignée dans la sebkha, avec Djeïda. Nous sommes allés plus loin, jusques là où se trouvait le PC du Polisario et nous avons constaté qu’effectivement il y avait une petite présence, une petite activité de ce côté-là. Je suis rentré donc avec la fin du rassemblement de mes collègues. Ecoutez, nous sommes là, vous ne pouvez pas vaquer à vos activités alors que le pays vient d’être attaqué. Nous ne savons pas ce qui peut recommencer. Avant la nuit, il faut nécessairement qu’une ceinture de protection soit installée autour de Nouakchott. Et avant dix-sept heures, tous sont partis pour se poster.

Et tout cela, uniquement par votre autorité morale, sans commandement effectif, légal !

Ni légal, ni quoi que ce soit. Naturellement, je ne reste pas derrière les gens qui exécutent. Sur le terrain, du côté de l’armée, il y avait deux ou trois officiers, un artilleur, un commandant de groupement assemblé à partir du disponible des effectifs, la gendarmerie, son chef, ils étaient également sortis. Les gens étaient à leur commandement. Ils n’avaient aucune raison de démissionner. Et moi… je ne me suis même pas mis en tenue, je suis resté en civil comme je l’étais avec mes archives et mes documents de Sonimex et pas plus.

Et vous aviez gardé une arme de service ?

Même pas … mais l’armée était là, il n’y avait pas de problème. Je suis resté deux ou trois semaines, le temps de faire évoluer l’affaire et je me retrouve un soir, convoqué à la présidence de la République.

Evidemment, les événements du Polisario se précipitaient. Bloqués à Nouakchott, ils se sont retournés aussitôt sur Atar, Zouératte et toute cette période-là. Et les petites escarmouches contre le train s’accentuaient très fort : ils avaient dû descendre un effectif très important. Nous avons pu faire déclencher l’intervention des Jaguar : ah ! des frappes très fortes, sans lesquelles nous ne les aurions pas freinés. Parce qu’ils étaient entrés très profondément.

Donc, vous voyez le Président à ce moment-là.

Oui, oui. C’est sur sa convocation que nous sommes venus. Moi-même avec un certain nombre d’officiers. Il faut se concentrer et voir ce qu’il se passe. Nous sommes allés rejoindre Atar le lendemain où il y avait des bagarres permanentes, loin sur tout le Dhar, des attaques sur Chinguetti, sur Ouadane, même à proximité d’Atar. Les gens criaient un peu partout, en disant : vous acceptez le Polisario… le commandement de la région d’Atar était confié à Haïdalla… Haïdalla, les gens… les civils, le taxaient d’avoir une antenne… d’être en termes… on le taxait de n’importe quoi…

… par sa parenté de naissance

Me voici de nouveau chef d’état-major. Cela a été au début difficile, mais après cela s’est très bien passé, parce que, d’abord, j’ai été obligé de modifier le dispositif : il y avait une situation très dure à gérer.


La responsabilité du changement


Mais il se développait tout un autre esprit que je ne cherchais pas à connaître, aussi bien à l’occasion des événements de 1966, qu’à l’occasion de toutes les manifestations qui ont failli nous amener à de véritables catastrophes.… Ainsi, à l’occasion des réformes de l’enseignement à partir de 1965-1966. Elles étaient très contestées entre ceux qui prônaient l’arabisation et le choix par les Négro-Africains d’un enseignement francophone : un méli-mélo inextricable. Face à cette situation, certains officiers, beaucoup, et chaque fois, sont intervenus ou sont venus près de moi manifester, ou bien, en tout cas, essayaient de se dévoiler en disant que cette situation n’était pas supportable, qu’il fallait chercher des solutions rapides et adaptées… qu’il fallait ceci ou cela… je ne leur ai jamais prêté l’oreille, naturellement, à cela car j’ai toujours considéré que la solution doit venir du gouvernement civil en place.

On vous a prêté des velléités, comme vous le savez, dès 1966… en liaison, avec Mohamed Cheikh. On vous a fait porter beaucoup de péchés.

Cette histoire de Mohamed Ould Cheikh m’étonne beaucoup et je me demande en réalité quelle a été l’origine de cette rumeur.

Quant aux événements de 1966, je me demande ce que serait devenue la Mauritanie si je n’avais pas été là à ce moment précis. Pendant plusieurs semaines il n y avait plus de pouvoir gouvernemental. Pourtant, suite à notre intervention, les choses sont rentrées dans l’ordre.

Par la suite effectivement, beaucoup a été rapporté sur ce qui aurait été mes intentions. En Mauritanie, si on se base ou si l’on prête l’oreille à ce que les gens sont capables de dire. On se perdrait complètement. Tant mieux, si cette histoire a pu alimenter ou occuper l’imagination de certains pendant quelques temps.

De toute façon, il y avait des gens qui ne pouvaient pas se tromper autant, ce sont les officiers français qui ont travaillé avec nous jusqu’à la dernière minute. Ils savaient parfaitement ce que chacun voulait et ce vers quoi on s’orientait. Mais je ne vivais pas dans cette ambiance-là… je n’ai jamais rien dit à personne et je ne me suis jamais non plus… et je ne le ferai jamais de ma vie… vanté d’avoir fait ceci ou cela. Je ne voulais rien d’autre que servir mon pays. Rien d’autre, l’essentiel pour moi, c’est que – sur le terrain – les résultats soient là. Il n’y a donc pas du tout de publicité à faire autour d’une quelque vocation ou ambition personnelle, quelles qu’elles soient. Jamais… jusqu’à présent d’ailleurs, je n’ai accepté d’approcher la presse de près ou de loin pour parler de ces choses là.

Qu’est-ce donc qui vous a amené à prendre une telle responsabilité ?

Le président Moktar, moi je l’ai bien connu… je sais une chose. C’est qu’il a toujours agi en pensant à l’intérêt de ce pays. Mais les choses ne sont pas allées dans le bon sens.

Pour le changement, on peut évoquer toutes les raisons que l’on veut. D’ailleurs beaucoup de bruits avaient couru à ce sujet. Des ministres de Moktar, dont certains amis à moi, auraient déclaré, à la suite de visites qu’ils m’avaiet faites, ou après des voyages que j’ai accomplis avec eux, en tant que Gouverneur de région…. travaillant sur le terrain, sur des choses concrètes… eh bien ! cet homme-là va prendre le pouvoir. Cet homme là a un goût personnel du pouvoir. Certains d’entre eux ont ainsi parlé de moi au président Moktar, se fondant sur ma manière d’agir, d’expliquer l’évolution des événements. Mais, rien de tout cela n’était vrai. D’ailleurs, dans les cercles du pouvoir, et le Président lui-même personne n’avait quelque chose à me reprocher. A preuve, d’ailleurs, j’ai été nommé une troisième fois chef d’état-majaor national, c’était en Février 1978.

Je n’ai rien à faire du pouvoir. Par contre, j’ai des vérités devant moi, devant le pays, et ma confiance en Moktar, et mon désir de le voir sortir le pays de cette impasse… ma tristesse de le voir partir sur de mauvais choix, de ne pas dire à ses ministres : Non ! Stop ! çà ne va pas, dans tel et tel domaine, votre façon de faire ne correspond pas à ce qu’il faut pour la Mauritanie. Il ne faut pas obligatoirement partir sur la volonté, ou suivre pas à pas, ou essayer de faire plaisir au Président ou aux ministres en leur disant que ce qu’ils font, est bien, alors que – en réalité – on est parfaitement conscient que çà ne l’est pas.

En réalité, les raisons profondes du changement opéré résident dans le fait que la machine étatique s’était arrêtée depuis que la guerre avait été déclarée ; que les efforts et le courage humains n’étaient plus suffisants à eux seuls pour poursuivre la guerre ; que le pays commençait à se dépeupler en direction de l’Algérie (appels du Polisario) ou vers le Sud (Sénégal, Mali,…) ; que la SNIM, seule source de financement, n’avait plus de carburant pour les forces armées et les troupes combattantes ; même si les forces armées s’étaient battues jusqu’au dernier homme… comme il leut fut demandé et comme elles y étaient prêtes. Les mécontentements étaient grandissants et à tous les niveaux.

Je ne suis pas arrivé à me faire entendre. A la fin… j’avais peur pour la vie de Moktar. J’ai entendu dire… ce sont les officiers qui veulent prendre le pouvoir. Ce n’est pas vrai, c’est une erreur, il n’y a pas d’officiers qui ont voulu prendre le pouvoir … il y en avait qui en éprouvaient l’envie, mais ils savaient que, moi, j’étais là et que j’étais – si vous voulez – le passage obligé. Ils ne pouvaient pas entreprendre, dans cette armée que j’avais constituée à partir de zéro, que j’ai formée… qui est là… ils ne pouvait pas entreprendre la moindre action pour changer quoi que ce soit tant que je n’ai pas accepté de le faire. Mais il a fallu attendre et écouter tout le monde. Dans certains milieux, loin de l’institution militaire, la grogne devenait perceptible. Cela pouvait aller très loin. Certains promettaient de commettre l’irréparable…faire disparaître Moktar à la première occasion.

Cela, je ne l’aurais jamais accepté de ma vie.

L’ancien directeur de la SNIM me disait : il faut trouver une formule politique pour sortir de cette crise. Je veux bien mais la guerre était là, les combattants courageux mais de plus en plus démunis. Les dégâts devenaient importants et la solution politique n’arrivait pas. Personne ne refuse le combat, personne ne refuse le sacrifice, mais il fallait un minimum de moyens pour pouvoir faire la guerre.


Et on ne les avait pas… on ne les avait pas, au départ ?

… ni à l’arrivée. On n’avait absolument rien du tout. Le pire, c’est qu’un certain nombre de ministres de cette époque – à ce que l’on dit, ce n’est pas mon domaine et je n’ai pas de vérification à faire – sont partis et ils ont eu, semble-t-il, des aides très importantes de l’extérieur, dont les forces armées, dont le pays avaient grandement besoin. Personne n’a jamais su ce que ces aides étaient devenues. C’était là aussi l’une des facettes dramatiques de cette guerre.

Je me suis retrouvé avec des troupes dans cette situation-là, des hommes sur le terrain : je veux bien qu’on fasse ce que l’on peut faire, mais le matériel que nous utilisons, les véhicules, tout avait besoin de carburant. Que me proposait-on ? Réquisitionnez les stocks de la SNIM. Je signais des réquisitions chaque fois, mais au bout de quelques temps, il n’y avait plus de quoi faire fonctionner les trains ni la société. Nous, qui avions besoin d’une liaison en permanence de Nouakchott jusqu’à la frontière, et surtout vers la partie du Sahara que nous supervisions, nous ne pouvions nous permettre d’épuiser par réquisition les stocks de la SNIM. Surtout que la société ne se voyait pas payer une seule facture. Le directeur était là et fasait ce qu’il pouvait… je l’avais souvent dans mon bureau.

Les troupes étaient dans la misère. La plupart d’entre elles étaient sur le front, isolées, immobilisées depuis des mois. Les combattants étaient là sans voir leur famille, ni pouvoir leur donner quoi que ce soit. C’était vraiment une situation invivable : je n’ai jamais voulu exagérer les choses, mais, ceux comme moi, qui ont vécu les choses de l’intérieur, sur le terrain, savaient que les résultats étaient là.

Et au moment où se fait l’accord de Madrid et le partage, vous n’avez pas d’opinion ? il y avait une contradiction : on avait soutenu l’autodétermination du Sahara en pensant que ces Sahariens, étant Mauritaniens, vous viendraient, puis ensuite on partage pour un petit morceau, une exploitation commune.

Cela va survenir complètement en dehors de l’institution militaire.. Jamais, je n’ai été associé ni de près ni de loin, à cette négociation là. Ce sont pratiquement tous des civils qui sont allés mener cela. Et nous, en tout cas, sur le plan militaire, nous n’avons jamais été associés à ces questions d’accord tripartite, à ce qui se discutait avec le Maroc, l’Algérie, etc…

Pourtant, je ne me suis pas limité à cela. Après des contacts personnels avec Moktar, j’ai essayé d’expliquer… je n’ai jamais réclamé autre chose que des moyens, jamais voulu autre chose ou alors – à défaut de moyens – de quoi faire arrêter, par une décision politique, diplomatique, le carnage qui était en cours.

Et cette décision politique, vous l’aviez dans la tête ? vous la proposiez ?

… avant le changement ? Non ! Moi, je ne sais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas…enfin, de ce qui ne me regarde pas directement, je me limite à mes propres responsabilités. J’évitais surtout que l’on puisse supposer que j’étais en train de chercher à faire arrêter la guerre parce que je ne voulais pas combattre. Je suis allé, dans des conditions vraiment incroyables, de nuit comme de jour, sans répit, pour justement arrêter tout ce qui pouvait l’être… limiter les dégâts… Non seulement, après m’avoir envoyé dans le nord, on m’a ramené à Nouakchott, mais avant de me ramener d’Atar à Nouakchott, on nous a rattaché tout ce qui était proche d’Atar et de ses environs : Choum, toute cette partie de la voie ferrée et les unités qui s’y trouvaient parce qu’on s’est aperçu qu’avec moi, les moyens seraient bien utilisés et contribueraient à l’effort de guerre… il y a des témoins, tout ce monde qui assistait à cela… il faut parler de cette période-là avec la mission française, les Jaguar…aucun problème.

Mieux, quand on est revenu à Nouakchott, après les différentes réunions avec le Maroc au sujet des Comités de défense, l’utilisation des troupes marocaines,… dont d’ailleurs je n’ai jamais voulu, j’ai plaidé pour une meilleure utilisation, encore plus à fond. J’escomptais – et je l’ai dit devant le Roi et le président Moktar –que les unités marocaines qui sont là, deviennent des unités mauritaniennes. Je m’attendais à pouvoir les utiliser de la même façon que les autres. J’ai donc précisé que si ces unités doivent avoir une utilisation particulière, et n’obeir qu’à une hiérarchie donnée, moi – je n’en ai pas besoin. Vous les retirez immédiatement chez vous, et vous les gardez. Parce que je ne voulais pas du tout que la souveraineté de la Mauritanie soit entachée de quoi que ce soit et qu’une partie, quelle qu’elle soit, puisse, à travers la présence de ses unités, prétendre au commandement chez nous.

Je suis allé voir le Président. Il faut quand même que vous entendiez les officiers, que vous les voyiez, que vous voyiez un peu dans quelle mentalité ils se trouvent, il m’a dit : bon ! je vais tenir une réunion avec les officiers du front et les commandants de région pour faire le point de ce qui se passe. On tient la réunion, on commence à discuter. Les officiers, la majeure partie des officiers et surtout un certain nombre d’anciens viennent carrément avec des idées, pour le moins particulières, avec un discours différent de celui qu’ils me tenaient… en disant que … ils ne se plaignent de rien. Il est sorti de cette réunion que la seule revendication était la décentralisation des moyens financiers.

En réalité, qu’est-ce qu’on a fait ? tout ce qui était destiné aux régions était confiné entre les mains du commandant de région militaire, il le gérait comme il le voulait. Cela a abouti à toutes sortes d’abus qui ont marqué cette période et terni l’image de l’institution militaire. Ces actes sont indignes et particulièrement pendant cette période. Détournements et autres camouflages de disparitions d’armes et de stocks. Le Mauritanien a toujours eu une imagination fertile.

Pour terminer, nous sommes sortis de cette réunion, à laquelle étaient présents le Président et le Ministre de la Défense, avec un procès-verbal, certes, mais qui n’avait aucun sens. Ce pourquoi j’avais demandé et organisé cette réunion, n’vait pas été discuté.… pourtant tout le commandement des forces armées était là.

Cette réunion, c’est celle du 5 Juillet, ou quelque chose comme çà ? c’est très peu avant les événements, avant le putsch…

Le chef de l’Etat n’a pas dit autre chose que : écoutez, il n’y a qu’une seule solution, avec moyens ou sans moyen, nous nous battrons jusqu’au dernier homme. Cela, c’était la conclusion, il n’y avait pas autre chose. Nous nous battrons jusqu’au dernier homme, quelles que soient les conditions dans lesquelles on se trouvait. Voilà … en tout cas, pour moi, la conclusion fut : maintenant, il n’y a plus rien à faire. Pour qui était là, il n’y avait pas de mesures, en vue. Il n’y avait pas de renforcement des moyens parce que les ressources étaient complètement épuisées. Il fallait donc tenter le statu quo. Et … c’est dans ce contexte qu’est intervenue Le Changement.



II



Qu’est-ce que la légitimité ?




La réunion a été désastreuse ?

Absolument. Absolument. Absolument (voix de plus en plus basse)… mais d’un autre côté, elle a été édifiante pour moi… je savais désormais ce que je pouvais attendre des pouvoirs publics.

Alors que vous l’aviez pensée comme une solution de décision collective, et un peu un sauvetage ?

Je pensais plutôt que le Président avait des solutions de rechange … que cela l’amènerait lui-même, le ministre de la défense et l’ensemble des officiers à réfléchir sur ce que l’on pouvait faire pour sortir de cette situation. C’est-à-dire tel et tel moyen, ou s’entendre dire : écoûtez, tenez bon ! jusqu’à telle date, nous allons voir de quelle manière politiquement, diplomatiquement nous pourrons mettre fin à cette guerre .

Y avait-il une stratégie ? une doctrine et un dispositif de défense ? ou bien une stratégie de contre-attaque, même de suite. Et y avait-il une conduite politico-stratégique, à la fois civile et militaire, de la guerre ? une espèce de cabinet de guerre ou de comité de guerre ?

Il n’y avait rien, sur le plan national, de particulier à la Mauritanie. Entre le Maroc et nous, il y avait la Commission de défense, qui était présidée à tour de rôle par le Président ou le Roi. On y faisait le point de l’évolution de la situation sur le terrain. Il y avait débat sur l’utilisation des moyens du Maroc. Ou les unités marocaines étaient là, et elles étaient intégrées aux unités mauritaniennes, et elles devaient donc répondre aux ordres du commandement mauritanien. Sans autre forme de procès, il n’y avait pas de procédure. Le Maroc, ou le Roi, l’entendaient plus ou moins comme çà, mais naturellement le grand obstacle, c’était le commandement militaire marocain, et il y avait les troupes marocaines, sur le terrain à côté de nous, qui ne voulaient pas du tout être manipulées quotidiennement, recevoir nos ordres. Ils étaient bien enterrés. Ils préféraient que leurs unités soient utilisées comme des bouchons de défense, et non comme unités opérationnelles.

Le Polisario est un ennemi commun : leurs combattants ne visent pas seulement la Mauritanie, mais tout le monde, et comme par hasard quand il sont en territoire mauritanien, ils cherchaient à retrouver les points de défense des Marocains.

Nous, nous avions donc double tâche : défendre les unités marocaines telles qu’elles sont, là au point de bouchon, et aller au-devant du Polisario quand il se met en attaque. Les unités marocaines, finalement, devenaientt une charge pour nous, en tout cas une raison d’éparpillement des moyens, et nous ne profitions pas beaucoup de la présence des Marocains.

N’eût été la présence des Jaguar, de l’aviation qui est intervenue avec beaucoup d’énergie, qui a donné du souffle, qui a donné du courage aux unités mauritaniennes, nous aurions été très fatigués. Très très fatigués.

La décision


Alors, nous revenons à cet après-réunion…

Evidemment, les contacts continuaient, plutôt dans la clandestinité… je ne peux pas vous parler d’une véritable organisation. Ceux qui ont participé, vous diront qu’il s’agissait d’abord d’une préparation psychologique… qui n’a d’ailleurs pas dépassé le stade des contacts.

On dit même que le Président était au courant. Cela m’importait peu. J’arrivais à contenir les officiers qui s’impatientaient et personne ne pouvait soupçonner quoi que ce soit. Pendant ce temps-là, les attaques sur la voie ferrée se multipliaient…un certain nombre d’officiers, mais aussi des civils, étaient là derrière et poussaient. Ceux-là, je les connaissais tous. Il fallait avoir un regard sur tout le monde. Les civils d’ailleurs étaient beaucoup plus acharnés que les militaires.

Tout cet ensemble de mouvements ont fait que pratiquement, j’avais presque vidé Nouakchott, d’unités. Tous ces officiers se trouvaient en dehors – tous étaient sur les frontières. Ceux qui qui revenaient encore à la charge, c’étaient les civils. Je sais que beaucoup d’entre eux ont déclaré avoir été associés à ce qui se préparait. En réalité, il y avait une demi-dizaine de jeunes cadres, civils, qui étaient dans ce vent. Je n’en voyais qu’un ou deux , de temps à autre, mais tous voulaient précipiter les événements.

Il fallait faire cela, sinon je n’aurais pas su quand éclateraient les choses ni dans quelles conditions. Pratiquement, Nouakchott a été vidée de tous ceux qui pouvaient agir. Il n’y avait plus d’unités. Et finalement, ceux qui ont fini par exécuter l’intervention, l’arrestation du président Moktar… n’étaient pas du tout dans le coup. Ils ne faisaient pas partie de ceux qui étaient au courant.

Nous avions – simplement – une espèce de petit plan de défense à organiser, une veille au désordre pour qu’il n’y ait pas de fausse note… que rien ne bouge… une sécurité devait être assurée au-devant des portes des différentes formations militaires et autres endroits stratégiques.

Personne n’a su à quel instant, cela devait se déclencher … jusqu’au moment, où certains ont reçu la convocation d’être présents à Nouakchott. Voilà un peu comment c’est arrivé.

Ce qui fait que ce n’est que pas vous qui, finalement, avez pris l’initiative… qui avez contacté des officiers, de vous-même.

Tout le long et sur le plan militaire, rien ne s’est fait en dehors de mon initiative propre. Je n’ai jamais convoqué de réunion spéciale à ce sujet. Les officiers concernés pouvaient se voir entre eux en dehors de Nouakchott. Toutefois, au cours de leur passage à Nouakchott, ils profitaient du temps qui leur était réservé par le chef d’état major pour faire part de leurs idées sur le sujet.

Les seuls que j’avais convoqués finalement, ce sont les deux qui ont eu à superviser l’exécution et assurer la sécurité.


En assumant la responsabilité … pour que les choses se fassent techniquement le mieux, vous avez également assumé, parce que seul devant l’Histoire, une rupture de légitimité et un autre ordre des choses – ce qui n’était pas votre but premier.

J’estime très franchement que ce n’est pas une rupture de légitimité parce que celle-ci a cessé depuis que la conduite des affaires de l’Etat s’est arrêtée. La légitimité demeure, tant que l’acteur principal est à même de prendre les choses en mains et de les faire évoluer dans l’intérêt général. Or, à partir d’un certain moment, il était clair aussi bien au niveau du fonctionnement de l’administration, qu’au niveau du Bureau politique du Parti, que la paralysie était devenue totale. La majeure partie du peuple vivait mal cette situation et le faisait savoir.

Il n’y avait plus d’acteur qui fasse fonctionner… Déjà, en Février 1966, je m’étais trouvé avec une délégation des responsabilités du fonctionnement de l’Etat et de la sécurité du pays. Et j’ai passé un mois à régler toutes sortes de problèmes, même les litiges mineurs. Et le ministre de l’Intérieur a même déclaré : le pouvoir n’est plus entre nos mains, il a été confié à untel. Et il a fallu que, moi-même, de ma propre initiative, je décide que tel jour je devais organiser la tenue d’un meeting populaire auquel seront présents le Président et ses différents ministres etc… pour qu’ils prennent la parole…

C’est le meeting au ksar, le 14 ou le 15. Et vous dites qu’à une seconde occasion, vous vous êtes trouvé dans la même situation de responsabilité. Laquelle ?

A trois reprises, des événements graves ont éclaté à Zouerat et à Fdeirick. La première, devait être en Février 1965, on en a peu parlé. Il s’agissait de différends entre personnels de la mine. Les dégâts humains et matériels étaient importants. J’y ai été appelé de ma base d’Atar et pendant plusieurs semaines, nous avons essayé de contenir l’ensemble des problèmes et de favoriser la reprise du travail dans les meilleures conditions. Les problèmes se posaient entre la société et son personnel ; entre personnel étranger et personnel mauritanien ; entre société et syndicats… [1]
La deuxième fois, en 1967 ou en 1968, je ne me rappelle plus exactement, j’ai été mis à contribution alors que je me trouvais en mission à Nouadhibou. J’avais déconseillé l’envoi de renforts, persuadé que seul le dialogue était efficace [2].

En 1971, alors que j’étais Gouverneur à Atar, de nouveaux incidents ont encore éclaté à Zouerate [3]. J’ai du me rendre sur place, et Dieu merci, la situation a été rétablie à la satisfaction de tous et sans incidents majeurs.



Le scenario


Le Président a été au courant… vous l’avez vu dans son livre – le samedi midi ou le samedi une heure, que du coup vos projets se sont arrêtés, que Ahmedou Ould Abdallah qui devait être – peut-être – l’exécutant, ne l’a plus fait, que Jiddou l’a peut-être fait, et que le samedi-dimanche vous avez – semble-t-il – été perplexes. Et est-ce que le président Moktar aurait pu… avait un moyen de réagir et de vous neutraliser, sans en même temps paralyser l’armée. Comment ? si vous vous mettez dans les deux rôles…

Ce sont effectivement les personnes-mêmes que le Président a citées dans son livre qui étaient les plus impliquées autour de moi. Le colonel Ahmedou Ould Abdallah s’était effectivement porté malade… c’était lui qui devait exécuter… ou en tout cas son unité. Il n’a pas pu se lever : à l’époque il avait commencé à avoir des problèmes de santé, qui ont fini d’ailleurs par se compliquer : il a fallu qu’il aille se soigner à Dakar. Mais son unité a été celle qui a exécuté le plan conçu. Lui-même a pu être tenu au courant.

Mais je crois que le Président savait très bien qu’il n’avait pas de possibilités d’intervenir sinon de faire agir une ou deux personnes, peut-être des fidèles, … mais qui n’auraient pas osé sortir la tête à ce moment là.

J’étais pratiquement seul à l’état-major, j’étais en train de suivre les mouvements du Polisario sur la frontière, et le ministre de la Défense, accompagné d’un officier de gendarmerie, qui était de son voisinage, sont venus me voir dans la salle d’opérations… le samedi soir, parce qu’il y avait une réunion du Bureau politique. Le report s’est fait ce soir là car le colonel Ould Abdallah était indisponible. La nuit suivante, tout était en place et le ministre … tout seul, est revenu me voir dans la salle d’opérations. Et il n’y avait pas de Jiddou sur place – il était sur la voie ferrée, et il n’y avait pas Haidalla non plus… ce sont ceux-là qui étaient avancés comme étant si, vous voulez, les plus proches de moi

… ce sont ces trois-là qui ont compté comme les germinateurs.

Disons que ce sont ceux-là avec lesquels l’idée du changement a été conçue.

Est-ce que le président Moktar pouvait contre-carrer votre plan ?

Personnellement, je ne vois pas comment. A moins d’un retour à la raison et d’un engagement ferme d’apporter des solutions adéquates. Il ne pouvait pas le contrecarrer, parce qu’il n’y avait pas d’unités disponibles. A Nouakchott, la seule unité qu’il y avait, c’est la 6ème région qui était à l’époque commandée par Ahmedou. Lequel s’était déjà engagé. Franchement, à moins d’une intervention extérieure, préparée à l’avance, je ne vois pas ce que le Président pouvait faire.

Et alors votre scenario était plutôt de capturer le Bureau politique que de réveiller le Président dans son lit ?

C’est un peu cela … on voulait surtout éviter qu’il y ait une réaction… nous n’avions l’intention de capturer qui que ce soit, nous voulions surtout les prendre pour les amener dans leur maison, leur demander de rester tranquilles là où ils sont, et de ne rien tenter jusqu’à ce que la situation soit totalement sous contrôle. Evidemment, le Président serait également mis quelque part en sécurité mais, moi, je ne voulais pas du tout que çà prenne l’aspect d’une poursuite quelconque. Mes instructions dans ce sens étaient fermes. Malheureusement certains ministres ont été arrêtés le lendemain car j’ai reçu des informations sur certains agissements particuliers. Nous avons préféré cela pour ne pas envenimer la situation.


Vous étiez dans votre pensée, rétrospectivement, plus un chef nominal qu’un chef d’opération ? et les autres vous débordaient un peu, ou vous avez… vous dirigiez quand même l’ensemble ?

Je tenais surtout à conserver le contrôle d’une situation jusqu’à son exécution.. Et je n’ai jamais accepté qu’il y ait une initiative, ni une action quelconque, avant le moment. Mon souci était de faire que la seule responsabilité – s’il devait y en avoir – soit la mienne parce qu’on ne sait jamais… et surtout je craignais qu’il y ait une intervention extérieure que je ne pouvais pas totalement exclure. Je connaissais le roi du Maroc, et son esprit très éveillé. Sa rapidité d’instruction, d’intervention sont telles que … il n’était pas impossible de le voir faire des parachutages sur Nouakchott, ou dans les environs de Nouakchott, que moi j’avais pratiquement vidée de toutes les troupes mauritaniennes, je n’avais aucun élément d’intervention sur place, si ce n’est de petites unités pour assurer la sécurité de l’ensemble. Je ne pensais pas à une action nationale quelconque.

Par rapport aux autres officiers qui n’étaient pas associés dans la préparation, ils ont été mis au courant de l’idée et ils y ont adhérés. Pour ce qui est du déclenchement de l’opération, j’avais dit qu’aucun moment précis ne pouvait être arrêté ; discrétion oblige.

Et vous avez décidé presque du jour pour le lendemain ?

C’est exactement cela. Mais cela s’est fait conformément à nos prévisions.


Les conséquences

… évidemment dans l’immédiat, vous n’aviez ni une idée sur la question saharienne et le Polisario, ni non plus une idée du sort de Moktar, ni non plus une idée du scrutin. C’était trop proche…

Pour nous, il n y avait pas de mystère. La direction nationale que le pays se sera choisi devait examiner les deux options suivantes :
- soit la poursuite de la guerre et dans ce cas il faudrait y mettre les moyens qu’il faut…quitte à organiser une consultation sur la partie du territoire qui revenait à la Mauritanie.
- soit un arrêt négocié des combats.

Quant au Président Moktar, tout le monde ne lui voulait que du bien, en particulier celui que vous vous plaisez à appeler le ‘Putschiste’. J’avais dit que sa volonté serait respectée quant au rôle qu’il voudrait bien jouer dans la poursuite de la construction nationale. Lui, était suffisamment raisonnable pour savoir que la Mauritanie appartient à tous les Mauritaniens, censés dans leur majorité, savoir quoi en faire et lui réserver le meilleur des sorts.

L’évolution des choses ne s’est pas faite dans le sens que je voulais. J’ai préféré m’éclipser après plusieurs tentatives de conciliation plutôt que d’assumer l’inauguration d’un nouveau mode de querelles irresponsables autour du Pouvoir. J’aurai pu agir de la manière la plus forte mais cela ne correspondait pas à ma vision des choses. Le premier cap, celui de la stabilité, de l’absence de violences et de tiraillements internes, m’a paru plus convenable à la situation que vivait le pays.

Et maintenant que le temps a passé, quand vous faites le bilan et notamment de cette responsabilité énorme que vous avez prise de prendre acte de ce qu’il se passait en 1978 et d’opérer ce changement, qui a provoqué finalement plutôt des désastres. Parce que l’évolution vous a échappé et le pays – on sent pendant la période Haïdalla la pluie de complots et la tension de tout le monde, à commencer par lui, Haïdalla – et alors ensuite les souffrances de vos compatriotes, un certain avilissement des gens. Moi, je le sentais en 2001… on sentait presque des gens qui avaient honte d’être Mauritaniens dans ce régime, mais qui ne pouvait pas faire autrement. Donc, ils avaient un discours d’âme dans leur salon particulier, et ils étaient obligés de plier devant Maaouyia, et cela devenait infernal. Et tout çà a été une évolution qui vous a échappé à partir de Juillet 1978.

Il y a un peu de cela, je le reconnais. Mais le raccourci que vous faites tend à trop simplifier les choses, qui sont, en réalité, beaucoup plus complexes.

Trente ans après…

Les trente années qui ont suivi, sous les différents régimes militaires et civils, n’ont certes pas été des plus glorieuses et la Mauritanie y a connu malheureusement beaucoup d’agitations et d’instabilité inhérentes à l’incertitude et l’inexpérience des différents acteurs.

Mais je continue de penser que le coup d’Etat de 1978 a sorti la Mauritanie d’une période sanglante qui a engendré énormément de victimes.

… vous les estimez à combien ? à peu près, parce que cela n’a jamais été dit.

Malheureusement, je n’ai pas souvenir des statistiques de cette période. Je sais que les victimes sont très nombreuses. Je suis resté quelque temps sur le terrain, et j’ai quelquefois assisté à des carnages terribles.

Des hécatombes.

Absolument. Les attaques de Ouadane d’abord, de Chinguetty ensuite ont été très violentes. Des pertes importantes ont été enregistrées. J’y ai perdu beaucoup d’hommes ; surtout à Ouadane. Du côté du Polisario, aussi, les pertes ont été importantes.

… que vous n’avez jamais analysés comme des mercenaires ? vous les avez analysés comme des combattants.

Non ! qu’ils soient mercenaires ou combattants, ils n’ont jamais en tout cas essayé d’agir comme une armée organisée. C’était le fait de se lancer comme çà contre des troupes mauritaniennes qui, au passage, n’avaient même pas occupé la parcelle qui revenait au pays

Cela a été une présence très symbolique à Dakhla ?

Bien sûr, à Dakhla, il n’y avait pas tellement de présence militaire. C’était surtout un pouvoir civil qui s’est installé. Nous n’avons fait qu’assurer une certaine administration abandonnée. Le Polisario n’aurait jamais pu y accéder. Et les gens n’auraient jamais pu opérer, à partir de Dakhla, s’ils ne traversaient le territoire mauritanien. Il a fallu qu’on dise : ou bien vous trouvez un chemin par lequel vous passez vers le Maroc si vous voulez, en tout cas par le territoire mauritanien vous ne passerez pas. Nous n’avions comme tension avec eux que çà, parce que le reste n’est qu’un terrain vague où il n’y a pas grand chose.

Enfin, vous avez en tout cas, une énorme responsabilité devant l’Histoire…

… Je ne regrette pas du tout ce que j’ai fait et j’estime que la Mauritanie en est sortie réconfortée, tant sur le plan humain que sur celui des perspectives de développement. La base de tout cela est la paix.


Et psychologiquement, si le Président, une fois sa santé rétablie en France - parce qu’il était quand même… il est arrivé fatigué, et puis il y avait ces calculs rénaux, sa vie était en danger – était revenu, comme çà. Il prend l’avion avec son baluchon, son haouli, il arrive un matin comme çà, au début des années 1980, vous n’êtes plus au pouvoir d’ailleurs, quelle est la réaction du pouvoir militaire ? et quelle est la réaction des Mauritaniens ?

Je voyais très bien le président Moktar rentrer dans son pays en disant : écoutez, ma période, je l’ai faite. Je préfère garder ma grandeur et mon estime, si ces pouvoirs ont besoin de mes conseils, je suis là et je les mets à leur disposition. Et si non… en tout cas, je me mettrais à travailler… j’écrirais … par la presse, à travers certaines personnes en particulier. Moktar, sa personnalité, sa vocation religieuse, et logiquement sa maîtrise de soi par rapport à sa vie personnelle, loin de sursauts politiques lui auraient permis de s’installer plus rapidement en Mauritanie.

Cela aurait été fort utile...

Fort utile, absolument. S’il acceptait d’être le représentant, le porte parole de son pays auprès des institutions internationales, servir dans les médiations internationales. Il avait énormément de talents dans ce domaine et il aimait profondément la Mauritanie.


III

Les impasses




Vous êtes au pouvoir. Il y a des textes qui sont sortis très vite, il y a des communiqués et une composition du Comité, une Charte constitutionnelle. Comment sont venues ces idées-là ? et qui les a faites ? c’est vous ?

C’est en réunion de groupe que nous avons décidé de cette organisation, qui devait répondre à l’objectif fixé. Je n’étais pas venu pour m’éterniser au pouvoir. Mon intention était essentiellement, une fois la situation stabilisée, après le coup d’Etat, de remettre le pouvoir entre les mains des civils et de les placer devant leurs responsabilités. Pour ce faire, il m’a paru nécessaire de mettre en place une structure et un minimum de textes juridiques pouvant garantir l’organisation d’un scrutin, le plus rapidement possible, sans dissocier la partie civile de ses responsabilités d’Etat et en faisant en sorte que toute la population de la Mauritanie soit représentée dans un Conseil national ou dans une assemblée…

… que vous avez organisé d’ailleurs et qui devait se réunir le 5 Avril, la veille de la désignation de Bouceif.

Exactement, ce Conseil devait préparer le passage à la démocratie. Il est vrai que j’avais annoncé la composition de ce Conseil, assez rapidement. Mais toutes les régions et sensibilités du pays y étaient représentées. Ce qui importait à mes yeux, c’était la volonté de faire participer tous les compatriotes civils, grands cadres de cette nation … Malheureusement, la majeure partie des militaires était réticente à cette idée. C’était le moins que l’on puisse dire.

Mais l’idée de Charte constitutionnelle, ou le mot-même de Comité militaire de redressement national, d’où viennent ces mots et ces concepts et ces textes ? ce sont les civils qui l’ont pensé ?

Non, mais ils y ont participé. Un certain nombre de civils se sont également impliqués à l’élaboration des textes juridiques, à leur mise en forme, comme d’ailleurs à l’ensemble des mesures prises à l’époque… c’était le sens même de ce qui devait se passer après le 10 juillet 1978. La situation qui prévalait était sans précédent et les militaires n’étaient pas préparés à la préparation et à la prise en charge de tout l’arsenal de gouvernance de l’Etat. En revanche, nous devions nous mettre dans une situation de retrait progressif…et les textes auxquels vous faites allusion devaient servir à cela.

Avez-vous été inspiré par l’exemple des autres prises de pouvoir par des militaires en Afrique ?On a parlé du Mali…

Absolument pas. Je crois que les deux contextes étaient tout à fait différents. Nous vivions, en Mauritanie, une situation tout à fait particulière avec le contexte spécifique à la guerre. En aucun moment, je n’ai pensé à un modèle extérieur.

Comment avez-vous composé le gouvernement ? en consultation au sein du Comité ?

Tout s’est fait au sein du comité. Mais, il est bien évident que des discussions avaient été menées avec l’équipe civile qui nous avait accompagné dans cette entreprise. Certaines de leurs suggestions ont même été retenues.


Les militaires refusent la démocratie

Vous êtes vite écarté du pouvoir. Il y a eu ce Conseil consultatif national qui semble n’avoir pas plu, et il y a un mois avant, une retouche de la Charte constitutionnelle avec un article – qui est peu être l’article des circonstances exceptionnelles françaises, qui permet en état d’urgence de concentrer les pouvoirs sur le président du C.M.R.N. Cet article-là est voté, et vous le faites entrer en vigueur le lendemain. Il y a donc au printemps de 1979 à la fois votre projet d’essayer d’aller vers la démocratie et à la fois, probablement, une situation de crise puisque vous prenez des pouvoirs d’urgence. La combinaison de ces deux pouvoirs d’urgence et de ces projets démocratiques vous fait renverser. En tout cas, on organise une dyarchie, un bicéphalisme.

La mise en place des textes n’a pas eu d’effets immédiats sur la situation. A partir du moment où il y avait des pouvoirs exceptionnels dans une situation exceptionnelle, mon principal objectif était de ramener, rapidement, le pays à la légalité institutionnelle et installer dès que possible un pouvoir civil. C’est pourquoi j’ai très tôt voulu par ce Conseil faire participer la composante civile à l’élaboration des textes juridiques.

J’ai voulu faire comprendre à tous que seul un choix consensuel et national pouvait donner une orientation bénéfique à ce pays. De grandes décisions allaient désormais revenir à ce Conseil. Il n’y a que des solutions étudiées, convainquant l’ensemble des acteurs qui pouvaient aboutir.

Des cadres de haut niveau, représentant la Mauritanie dans toute sa diversité, ont été désignés à cette fin.

Ces gens ont été nommés, j’ai vu la liste au Journal officiel, vous les aviez consultés les uns les autres, avant de les nommer, ou vous avez bombardé tout le monde ?.

J’avoue n’avoir consulté personne parmi eux. Nous travaillions dans l’urgence. J’ai tout simplement chargé un certain nombre de collaborateurs – dont la plupart d’ailleurs étaient des civils – de s’occuper de ces aspects-là en donnant les grandes directives. J’ai aussi insisté sur la nécessité d’aboutir à un consensus national. Une représentation de l’ensemble des régions à travers des cadres compétents.

Les militaires n’avaient pas apprécié … car ils se voyaient partir trop tôt. J’ai essayé de leur expliquer que notre rôle restera celui de l’arbitrage jusqu’au moment où notre sécurité en tant que militaires aura été assurée par la nouvelle classe politique élue par le peuple.

… parce que vous aviez des garanties à prendre rétrospectivement ?

C’est obligatoire… Le Comité militaire se devait d’accompagner le processus d’accès à la démocratie, d’une part, et d’assurer la reconstruction et la stabilité de l’institution militaire, d’autre part. Tout cela me paraissait aller dans l’intérêt du pays.


Qu’est-ce qui pousse le Comité à inventer un Premier ministre et à faire nommer Bouceïf et à instaurer ce dualisme, tout au moins ces deux fonctions de chef de l’Etat et de Premier ministre ?

C’est une divergence de point de vue au sein du Comité militaire qui a imposé cela. Nous avions constitué un Comité d’officiers, et nous prenions les décisions de manière collégiale sans tenir compte du degré d’implication des uns et des autres dans le projet de coup d’Etat au départ. Certains ont d’ailleurs voulu me pousser à introduire cette différentiation-là. Mais je ne l’ai jamais accepté…je tenais beaucoup à cette approche collégiale.

Mon attachement à la remise du pouvoir aux civils ne plaisait pas à tout le monde. C’était une idée qui était loin de faire l’unanimité au sein du Comité. A partir de là, certains d’entre eux ont commencé à se voir dans le cadre de groupes restreints. J’étais tenu au courant de tout ce qui se passait. D’autres revenaient régulièrement à la charge pour me demander de revenir sur les décisions prises. Cette question commençait à diviser le collège, mais il se dégageait très clairement que la majorité était pour une reprise en main totale du pouvoir par les militaires.

J’avais alors deux possibilités.
Soit d’user du pouvoir qui était le mien et imposer une solution par un coup de force. Je rappelle que l’ensemble des forces armées était sous mon contrôle. L’unité de la 6ème région, la véritable force de frappe de l’époque, se trouvait alors entre les mains de mon jeune neveu Djibril Ould Abdallah, que j’avais déjà mis à contribution pour l’exécution du coup d’Etat. Les unités qui étaient à l’intérieur m’étaient également totalement acquises. Sur ce plan-là, si vous voulez, j’étais tout à fait tranquille… et j’aurai pu continuer à garder l’intégralité du pouvoir.
Soit de privilégier la stabilité du moment et accepter ma mise en minorité au sein du collège, respectant ainsi les règles que j’avais moi-même imposées.

J’ai donc choisi la seconde option et j’ai délibérément décidé de me retirer.


Donc là, c’est quelque chose d’informel à quelques-uns, et cela débouche sur une réunion du
Comité et l’idée de Premier ministre, qui est confiée à Bouceïf.

Oui, c’est effectivement au cours de l’une de nos réunions que nous avons formalisé tout cela. Deux sujets ont été débattus : la dissolution du Conseil national et la désignation d’un Premier ministre. Je me suis opposé à ces deux idées et j’ai signifié l’intention de me retirer. Beaucoup de tractations ont suivies sur fond de divisions, certains voulaient absolument me faire revenir sur ma décision. C’est ce qui a pris un peu de temps avant mon retrait définitif.


Le retrait du pouvoir

C’est donc vous qui avez finalement démissionné ?

Tout à fait. Pour les raisons que je vous ai expliquées. Je suis resté le temps de les laisser s’organiser…très vite, il y a eu l’événement douloureux de la mort de Bouceif.

Pourquoi le choix de Mohamed Mahmoud Ould Louly pour vous succéder, finalement, à la tete de l’Etat ? est-ce votre initiative ?

Ce n’est certainement pas à mon initiative puisque j’avais déjà quitté le collège. Mais il me semble que ce choix s’imposait compte tenu des qualités intrinsèques et de la sagesse de Mohamed Mahmoud.


Comment et par qui – vous seul ? un petit groupe ? une cooptation – est composé le Comité militaire, et surtout comment il est modifié. La composition initiale est publiée dès le 10 Juillet, mais plus ensuite. Le lieutenant-colonel Abdelkader n’en fait pas partie, mais il y entre ensuite. Il semble que par la suite – après que vous ayez quitté le pouvoir ou dès 1978 – le président du Comité, chef de l’Etat et/ou chef du gouvernement, peut modifier cette composition comme il veut parce qu’il y aurait des membres de droit, selon les commandements militaires, et que ces commandements ne sont pas cooptés, mais décidés au niveau de l’Etat.

Le Comité au départ était tenu par ceux qui avaient été de l’initiative. Nous l’avons bien sûr étendu à certains officiers par souci de rassembler et de faire participer tout le monde… et ce, dès le départ. Tant que j’étais là, il n y a eu aucune modification et personne, pas même le chef de l’Etat ne pouvait s’arroger cette prérogative. C’est donc après mon départ qu’il y a eu ces ouvertures.

Quel contact le Comité, et vous ? gardait avec les forces armées ? consultations, réunions ? la base de ces forces était-elle consultée pour les changements dans l’organisation du Comité ?

Les forces armées étaient représentées. Le chef de l’Etat est le chef des forces armées. Le chef d’état-major et les commandants de régions sont aussi membres du comité. Les liens se faisaient à ce niveau-là.

Cette rumeur de pustch qu’on vous a prêtée en Janvier 1982, et on vous coffre avec Sid’Ahmed Bneijara, on vous coffre avec Baham Ould Mohamed Laghdaf. Alors 1° : est-ce qu’il y avait une vérité dans ce projet de reprendre le pouvoir, et 2° si çà n’est pas le cas, pourquoi vous a-t-on arrêté ? et surtout extrêmement mal traité ?

Pour ce qui est de la raison de mon arrestation, je ne saurai vous le dire. Après ce que j’ai vécu de ma première expérience du pouvoir… et après l’avoir quitté délibérément et publiquement… qu’est-ce qui m’aurait bien poussé, à vouloir chercher à le reprendre … et de quelle manière ? Ayant des forces à ma disposition, disposant de tous les moyens nécessaires je n’avais pas voulu rester au pouvoir … pourquoi ? un beau jour, et si peu de temps après, peut-on penser que je suis en train d’organiser clandestinement un pustch ? Cela me surprend d’autant plus que le Président en place était une personne pour laquelle j’avais beaucoup d’estime, officier de valeur que j’avais soutenu à plusieurs moments de sa carrière, et que je croyais jusque là m’être des plus fidèles. Je rappelle, par ailleurs, que c’était le premier du collège à s’être fermement opposé à ma démission.


Donc, l’accusation de complot est inexplicable ?

Tout à fait inexplicable ! Le soir où ils sont venus m’arrêter, je me préparai pour me rendre, vers quatre heures du matin, à mon domicile, à soixante kilomètres au nord de Kiffa. La voiture était là, il y avait des jerricanes d’essence et mes bagages prêts à être embarqués. J’étais très loin de préparer un coup d’Etat. C’était une véritable mascarade montée de toutes pièces. Malheureusement, le régime de l’époque vivait dans la peur. D’autres, profitant de pareille situation, vivaient, eux, de renseignements colportés auprès des services secrets et du chef de l’Etat. Elles étaient souvent fausses. Je crois que les Mauritaniens se souviennent bien du climat particulièrement délétère qui a marqué cette période-là.

Réfléchissez bien. Baham, Bneïjara et moi, de quel coup d’Etat, étions-nous capables ? qui étions-nous pour pouvoir mener un projet d’une telle ampleur ? à son terme.

Et vous aviez gardé des relations avec… pas seulement d’amitié, mais de conseil politique…, avec Haïdalla après votre départ du Comité ?

Haïdalla demandait régulièrement de mes nouvelles, manifestait beaucoup de disponibilité à mon égard, avait donné instruction à ses collaborateurs de me faciliter son accès. Il m’est arrivé de l’avoir au téléphone ou de lui envoyer des notes écrites. Ce à quoi il a toujours répondu avec beaucoup d’égards. Mais je ne l’ai jamais revu directement, ni cherhé à le voir, jusqu’à mon arrestation.D’ailleurs, je n’étais que très rarement à Nouakchott.


La question du Sahara


Est-ce qu’on a délibéré pendant la période où vous êtes président du Comité, est-ce qu’on a délibéré déjà d’une solution saharienne ?

Pas tout à fait. On en discutait, la question restait posée, il fallait nécessairement la régler et de manière urgente… je m’étais moi-même rendu au Maroc, pour préparer justement une solution commune. Le Roi l’avait, à l’époque, parfaitement accueillie. Il avait pour cela convoqué et réuni toute son assemblée, durant mon cours séjour à Rabat pour débattre du processus que nous préconisions pour arriver à une solution durable.

Pour ma part, comme – je le pense –, la majeure partie des Mauritaniens, je considérais que le peuple sahraoui était si semblable et si proche du peuple mauritanien qu’il était bien difficile de les dissocier. Il n y avait rien qui pouvait séparer la Mauritanie de cette population là. C’est pour cette raison que notre rapprochement avec le Sahara ne devait pas se faire par le bout de la baïonnette. La Mauritanie préférait donc une voie de conciliation. En effet, nous devions rapidement permettre aux Sahraouis de disposer de leur avenir par voie de referendum où le choix serait posé entre l’autodétermination et le rattachement au Maroc ou à la Mauritanie…

Dans cette perspective, je ne croyais pas en la formule de la séparation. Je n’ai jamais accepté non plus la formule de la rétrocession pure et simple de la partie mauritanienne. Et, avec le Polisario, j’ai été aussi clair, quand Khadaffi les a amenés autour de la table des négociations, devant moi.

Khadaffi vous a forcé à les voir ?

Khadaffi me les a amenés lors d’une visite que j’effectuais en Lybie. Je les ai accueillis et assurés de toute notre disponibilité à œuvrer pour le règlement de ce conflit. Mais il fallait comprendre que la position de la Mauritanie dans ce conflit ne pouvait être comparable à celle d’un mouvement de libération. J’ai donc insisté sur la nécessité du respect des lois internationales pour crédibiliser leur mouvement.

Le cessez-le feu, déclaré unilatéralement par le Polisario après le coup d’Etat de 1978, a été une très bonne chose pour notre pays mais le Polisario y a aussi trouvé plus d’avantages.


Je reviens un peu en arrière. Il y a eu une rumeur qui a été insistante parmi vos compatriotes qui était que la France a été relativement heureuse de votre prise de pouvoir, qu’elle y aurait même un peu aidé, qu’elle y aurait été favorable, et qu’en tout cas elle la connaissait. Qu’est-ce qu’il y a de vrai, là-dedans ?

Je n’ai jamais eu de contact avec une personne de l’extérieur. Je n’ai jamais eu de contact avec une autorité quelconque, qu’elle soit française ou autre. En revanche, juste après le coup d’Etat, j’ai reçu l’Ambassadeur de France. Je crois que c’est la première personnalité diplomatique que j’ai reçue dans mon bureau. Je l’ai fait venir dans mon bureau pour lui expliquer la situation et les motifs de notre action. Je l’ai évidemment rassuré sur nos intentions. Il s’inquiétait, notamment du sort de certaines personnes, en particulier du président Moktar ou encore de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hamdi.



Le traitement réservé au président Moktar Ould Daddah

Justement, le traitement réservé au président Moktar Ould Daddah. Vous-mêmes et ceux – donc – que j’appelle les pustchistes, et notamment Mohamed Khouna Ould Haïdalla –, protestent de leur respect personnel pour lui. Pourtant, il semble que pendant que vous êtes au pouvoir, le Comité est divisé sur son sort, et Haïdalla le visite à Oualata. Il lui déclare venir de la part du Comité et de son président – de vous donc – pour le saluer, s’informer des conditions de son « installation » et lui poser « certaines questions sur certains problèmes ». Quelles étaient les délibérations du Comité là-dessus ?

Le fait d’envoyer Haidalla, alors chef d’état-major et membre du Comité est l’expression de la considération et de l’intérêt que tout le Comité accordait à Moktar. Pour le reste, il n y a pas eu de délibérations particulières à ce sujet. Le cas de Moktar ne se posait pas en ces termes. Personne ne lui voulait du mal et personne n’avait de compte à régler. Il ne faut pas qu’il y ait d’équivoque la-dessus.


Et ce procès qui lui est intenté, par contumace ? Vous n’êtes plus au pouvoir, on est en Octobre-Novembre 1980, mais qu’en avez-vous su ? Et si je rapproche les chefs d’accusation de la déclaration que vous avez publié le matin du 10 Juillet 1978, l’esprit reste le même : . « les forces armées, dépositaires en dernier recours de la légitimité nationale, conscientes de leurs responsabilités ont pris le pouvoir, ou plutôt ont repris le pouvoir à ceux qui l’ont lâchement spolié pour sauver le pays et la nation de la ruine et du démembrement, pour sauvegarder l’unité nationale et défendre l’existence de l’Etat »

Je crois qu’il n y a aucun rapprochement à faire entre ces deux événements. Pour ce qui est du procès par contumace intenté par Haidalla. C’est plutôt à ce dernier qu’il faudrait poser la question.


Les deux avenirs


Dernière question, la première proclamation du Comité ordonne la « dissolution » de la Constitution, du Gouvernement, du Parlement, du Parti du peuple et il est dit que « le comité assume tous les pouvoirs jusqu’à la mise en place d’institutions démocratiques ». Comment envisagiez-vous ces institutions, en aviez-vous discuté avec certains officiers, avec des civils ?

Les choses étaient très claires à ce sujet. Je crois vous avoir expliqué mes intentions à travers la création du Conseil, de l’Assemblée, le retrait progressif au profit des civils et l’organisation du scrutin… la suite vous la connaissez.













[1] - 8-13 Février 1965 à Zouerate, rixes entre personnels mauritaniens et européens de MIFERMA : une grève s’ensuit qui motive le licenciement de nombreux agents européens - NDLR

[2] - 27 Mai 1968 à Zouerate, grève générale du personnel de MIFERMA : la troupe est requise pour maintenir l’ordre, des renforts sont dépêchés, un protocole d’accord est signé entre la Société et les représentants syndicaux, mais le travail ne reprend pas – 29 Mai 1968 à Zoueratte, menacée d’être débordée par la foule, la troupe ouvre le feu : 7 morts et 22 blessés - NDLR


[3] - 30 Août 1971 début d’une grève à Zouérate : l’extraction et l’acheminement du minerai sont bloqués jusqu'au 8 Septembre - NDLR

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