samedi 29 septembre 2012

lecture du livre de Mohamed Saleck Ould Mohamed Lemine, par un de ses pairs


Je viens d’achever la lecture de l’ouvrage du Ministre Mohamed Saleck Ould Mohamed Lemine au titre de « l’expérience déçue » publié aux éditions l’harmattan. Sans partager certaines de ses analyses et ses conclusions, j’avoue que ce livre est passionnant et sort de l’ordinaire. Ce n’est pas vraiment un ouvrage politique, et ce n’est pas non plus un roman historique. Jugé à sa couverture ou à son titre (accrocheur), il ressemble à une chronique : celle d’une mort annoncée d’un « printemps mauritanien» piégé par un bataillon de l’Armée, et la chute programmée d’une «démocratie sans lendemain ». Mais, jugé au contenu de ses 261 pages… l’intérêt premier du livre est ailleurs.
Il se résume plutôt à un documentaire sérieux sur l’évolution récente de notre pays, un récit vivant de la vie politique nationale depuis 1984, écrit à partir de rencontres, discussions, échanges, réunions, entretiens… avec des Souverains, des présidents, des hommes d’Etat, ministres, ambassadeurs, professeurs, chercheurs… de tous les continents et de tous les horizons politiques. Il se lit très vite, et est rempli de détails, de petites confidences et d’anecdotes… ce qui en fait une lecture agréable. Une fois ouvert, il est difficile de le refermer. Ses mots, son style, sa manière de s’exprimer, son art dépouillé mariant aisément le français et l’information… captent le lecteur.
Mais au-delà de son intérêt documentaire, «l’expérience déçue» est aussi un livre chronologique qui retrace le parcours exemplaire d’un diplomate chevronné qui, guetté par les sollicitations, les dérives et les pressions dévastatrices d’un environnement ravagé par le népotisme et l’injustice, est resté honnête, professionnel et digne. L’ayant connu comme ministre et comme ambassadeur, je témoigne de son mépris pour la chose « politicienne », son courage, son esprit d’indépendance et de méthode, sa prodigieuse mémoire, et sa forte capacité de synthèse… Autant de qualités qui lui sont indispensables pour réaliser cet ouvrage. Je tiens à le féliciter pour cet exercice d’honnêteté intellectuelle, de rigueur et de recherche de la vérité dans le respect des devoirs de courtoisie, de réserve et de discrétion.
Vous l’avez donc compris, j’ai apprécié ce livre pertinent, vivant, fouillé, étayé, original, bien structuré, et sans complaisance ni concession pour le monde politique toutes couleurs confondues. Je le recommande vivement à nos dirigeants, à nos diplomates, à tous ceux qui s’intéressent à notre pays, à ceux qui cherchent à savoir plus sur notre politique extérieure et notre diplomatie, à ceux qui veulent comprendre comment et pourquoi Mohamed Saleck a pu gravir tous les échelons du MAEC, mais aussi à ceux qui ne connaissent pas ce jeune diplomate discret et compétent dont l’histoire retiendra qu’il fut en 2007 le successeur - au demeurant unique - de l’illustre disparu Hamdi Ould Mouknass à la tête du ministère des Affaires Etrangères en étant nommé, comme lui, par un président de la République civil.
Nouakchott, le 28/9/2012
Mohamed Vall Ould Bellal

la Coordination de l'opposition démocratique a répondu à la rencontre de Mohamed OUld Abdel Aziz avec le peuple...

Texte de l’Interview accordée par Monsieur Moussa Fall, homme politique, leader de la Coordination de l’Opposition démocratique au journal  Biladi (19 septembre 2012)


-          Dans sa troisième sortie médiatique ‘’rencontre avec le peuple’’, à Atar, le président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, a présenté un tableau exaltant de la situation économique du pays. Un mois après, personne n’a jamais pu réfuter ses exploits économiques. Sauriez-vous lui apporter la contradiction ?

-          Le Président Aziz a effectivement déclaré en introduction à cette cérémonie que vous évoquez qu’il a, en deux ans, réalisé 70% de son programme. Tout le monde se souvient que le programme du candidat Aziz était focalisé sur deux points : la lutte contre la corruption et l’éradication de la pauvreté. Faisons le point, si vous le voulez bien, sur ces deux questions.

-          Prenons la question de la gabegie.

Le candidat Aziz promettait, dans une conférence de presse à Nouadhibou, de construire autant de centres pénitenciers qu’il en faut pour séquestrer tous les auteurs de malversations. Aujourd’hui seules 3 ou 4 personnes, qui ne sont pas particulièrement étiquetées comme des symboles de la gabegie, croupissent en prison. Toutes ayant commis les actes incriminés après le coup d’état de 2008. Aujourd’hui on ne parle plus des rapports de la cour des comptes et de l’IGE. Ils sont systématiquement classés sans suite quelle que soit la gravité des actes délictueux soulevés.

Aujourd’hui la quasi totalité de ceux qu’on vouait aux gémonies pour malversations sont casés ou en attente de placement  dans des fonctions  étatiques en guise de récompense de leur allégeance au pouvoir en place.

Aujourd’hui une nouvelle génération spontanée d’intermédiaires, ayant tous pour dénominateur commun leur proximité avec le chef se livrent a un monopole systématique d’accumulation de richesses par voie de marchés de gré-à-gré comme la convention de pèche avec la Chine, les agréments d’établissements bancaires selon le bon vouloir du prince, les marchés réservés auprès des sociétés minières pour des entreprises de prestation de services. Autant de sujets qui méritent qu’on y revienne plus tard avec plus de détails.

L’autre soir j’ai assisté à une conférence-débat sur la crise politique en Mauritanie où tous les intervenants se réclamant de la majorité ont mis en exergue la persistance et la centralisation marquée du phénomène de la corruption.

-          Venons-en à l’éradication de la pauvreté.

Tout le monde s’accorde à dire que la situation sociale du pays n’a cessé de se détériorer depuis l’avènement du pouvoir en place. Les rapports du FMI qui déplorent le retard dans la réalisation des enquêtes sur les conditions de vie des ménages censés suivre l’évolution des indices sur la pauvreté, soulignent à chaque fois la très forte inégalité dans la répartition des richesses. Ils notent à chaque fois les manquements dans l’exécution des programmes spécifiques dédiés à la lutte contre la pauvreté.

L’indice de prévalence de la pauvreté en milieu rural s’est, selon le dernier rapport du FMI, fortement dégradé pour atteindre 59% de la population. Depuis, la sècheresse dans ses effets sur les cultures et le bétail et la hausse des prix n’ont cessé d’aggraver cet état des choses.

L’inflation qui côtoie, selon les chiffres officiels, les 7% est la plus élevée dans la sous région. Au Mali elle se chiffre à 1,6% et à 2,5% au Sénégal. Et le taux de chômage des jeunes est des plus élevé au Monde : 52% en Mauritanie contre une moyenne mondiale de 12%, Un taux de 13% en Afrique sub saharienne, de 17% au Maroc et de 30% en Tunisie. (source FMI)

-          Pourtant, il a présenté des tableaux sur la macroéconomie du pays, en bonne santé disait-il,  en prenant même à témoin les institutions financières internationales qui attestent, semble-t-il, ces chiffres.

Je ne conteste pas ces chiffres. Encore que le taux de croissance 4,8% avancé à Atar a été rectifié par le tout dernier rapport du FMI publié en Août 2012. Ce taux a été ramené à 4%.

Ce que je conteste c’est que ces chiffres soient le résultat de la gestion de l’actuel chef de l’Etat. Prenons les indicateurs fondamentaux : le taux de croissance de l’économie, l’état des finances publiques, les réserves de change.

Le taux de croissance de l’économie est estimé à 4% en 2011. Le premier constat est que ce chiffre n’est pas une performance en soi, ni par rapport à la situation d’avant le coup d’état de 2008 où l’économie affichait un taux de plus de 6% en 2007. Ni par rapport à l’année 2010 où on avait atteint 5,1%, encore moins par rapport à l’Afrique en général où la croissance moyenne annuelle est de 5,5%.

D’un autre coté  tous les analystes et, en particulier ceux du FMI, savent et disent que cette croissance est principalement tirée par les secteurs miniers qui bénéficient d’une conjoncture particulièrement favorable en matière de prix. Le cours du fer est passé de 61,6$/T en 2008 à 170$/T en 2011. Celui de l’oe de 700$ en 2008 à 1700$ l’once aujourd’hui.  Où peut-on voir l’action de l’actuel exécutif dans cette évolution ?

Les recettes budgétaires sont constituées pour l’essentiel par : les recettes fiscales (impôts et taxes) et les recettes non fiscales (dividendes et revenus de la propriété). Des efforts ont certes été déployés par l’administration fiscale en matière de recouvrement. Certains de ces efforts ont donné des résultats d’autres ont été abandonnés en cours de route. Mais ces efforts sont loin d’être déterminants dans les performances obtenues car l’essentiel des recettes fiscales provient de la TVA des Droits à l’importation, de  la TPS et de l’IMF qui sont des prélèvements obligatoires ayant une forte corrélation avec l’évolution des prix. Les rendements de cette fiscalité augmentent automatiquement avec la hausse des prix qui tire vers le haut les valeurs nominales des assiettes. Ce qui a été catastrophique pour le consommateur et pour le pouvoir d’achat des populations, en 2011 et au premier semestre de 2012. Pour les recettes non fiscales elles sont dominées par l’apport des dividendes exceptionnels de la SNIM qui ont atteint pour les raisons indiquées plus haut le montant de 45 MM d’ouguiyas. Là aussi, on ne voit pas où se situe l’action de l’actuel exécutif dans ces performances.

-          Le niveau des réserves extérieures résulte quand à lui de l’activité du secteur minier : la SNIM d’abord avec un chiffre d’affaires en nette progression du fait de la hausse des prix du fer alors que l’on constate sur la même période un net ralentissement de sa production ; le développement des activités des sociétés minières et la domiciliation, dans le système bancaire mauritanien, des avoirs destinés à leurs dépenses locales. Je note à ce niveau que si l’administration était efficace et si la capacité d’absorption des financements extérieurs, qui est un critère fondamental de bonne ou de mauvaise gestion, était au rendez vous, le solde brut des réserves extérieures aurait été supérieur. On constate en effet que, au premier semestre de 2012, sur un potentiel de financement de projets sur ressources extérieures de 25MM d’ouguiyas seuls 12 MM, soit moins de 50%, ont été utilisés.

-          On peut quand même dire que son bilan économique est positif, n’a-t-il pas axé son action sur la mise en chantier des infrastructures de routes, hospitalières et éducatives, qui sont là, du concret, en somme ; et s’emploie à régler définitivement l’épineuse question des gazras, au bonheur des laissés pour comptes et autres populations, jadis, marginalisées ?

Il ne suffit pas d’exhiber des chiffres en progression pour attester du succès d’une politique. Allons au fond des choses et analysons objectivement les réalisations présentées comme des exploits.

-          L’AEP (Adduction d’eau potable) de Magta Lahjar : ce projet vital pour les populations de cette mougataa avait fait l’objet d’une requête de financement auprès du gouvernement espagnol. Une suite favorable a été donnée à cette requête et Son Excellence L’Ambassadeur d’Espagne en Mauritanie est venu l’annoncer à qui de droit. Mais comme on ne voulait lier cette réalisation au nom d’un Président autre que l’actuel, l’Etat a renoncé à ce financement pour réaliser ce projet sur ressources nationales. Pour des raisons subjectives l’exécutif a commis des erreurs inacceptables : Il renonce à un financement extérieur avantageux avec un apport substantiel en devises dont le pays a grand besoin. Il mobilise des ressources intérieures qui auraient pu être consacrées à d’autres projets. Il fait appel au Génie militaire pour des travaux qui devaient être confiées à des entreprises nationales dont l’expérience dans le domaine est avérée. Le Génie militaire ayant une mission bien définie Il ne doit porter ombrage au secteur privé qu’en cas de catastrophe naturelle.

-          Les infrastructures routières : Un programme très ambitieux est en cours de réalisation dont : une voierie à Nouakchott d’une longueur de 113Kms confiée à ATTM, des voieries dans les capitales régionales, des routes inter-mougataas. Ce programme ne saurait être mis en totalité à l’actif du pouvoir actuel. Plusieurs projets ayant été initiés bien avant son avènement. Les questions que l’on pose à ce niveau sont : la pertinence de certains éléments de ce programme et la priorisation de ses composantes. Le plus urgent dans ce secteur est la reconstruction de l’axe Kiffa-Tintane. On sait que les travaux, qui sont confiés en sous-traitance, en violation de la règlementation des marchés, à une entreprise sans référence, enregistrent des retards pénalisants pour le trafic intense sur ce tronçon. La reconstruction de la route Nouakchott-Rosso n’arrive pas à démarrer en dépit de la disponibilité des financements qui lui sont destinés. Pendant ce temps nous avons des voieries construites qui connaissent des taux de fréquentation nuls comme à l’entrée de Rosso  et dans certains quartiers de Nouakchott.


-          Dans le domaine de la santé il y a effectivement 4 scanners et un IRM acquis dans le cadre de marchés de gré-à-gré. Un 5ème scanner sera installé dans le cadre de la coopération mauritano-chinoise à l’hôpital de Riadh. Notons aussi l’existence de 5 scanneurs dans les cliniques privées à Nouakchott. C’est une excellente chose d’équiper les établissements hospitaliers mais à condition que ces équipements soient opérationnels. Or la norme pour assurer le fonctionnement d’un service radiologique prévoit la disponibilité de 5 radiologues par service. La Mauritanie ne compte à ce jour que 10 radiologues au total et pour le public et pour le privé. Juste de quoi faire fonctionner 2 services. Dans de telles conditions ou bien les services rendus seront de qualité médiocre, ou alors les équipements seront sous utilisés. En outre les prévisions budgétaires pour l’achat régulier de consommables et l’entretien n’ont pas été assurées. Enfin ces dépenses massives ont été faites au détriment de la santé de base qui concerne les populations les plus pauvres et qui se trouve actuellement en état de paralysie quasi complète.
-           

-                 Dans  le domaine de l’électricité deux centrales ont vu le jour : une  de 36 MW à Nouakchott et une autre de 22 MW à Nouadhibou. A Nouakchott la puissance disponible est de 79MW pour une demande estimée à 117MW. L’exécutif envisage de mettre en œuvre un programme d’investissement qui échappe à toute rationalité. Un programme qui comprend une centrale duale de 120MW, une centrale à gaz de 700MW, une centrale éolienne de 130MW, une centrale solaire de 30MW et un apport en hydroélectricité de 35MW. Le montant total de ces investissements se chiffre à 1270000000 de $ (un milliard deux cent soixante dix millions de dollars). Compte tenu de l’évolution de la demande en électricité la réalisation de ce programme se traduira par un excédent sur les besoins de 163 MW en 2018. Cet excédent ne cessera d’augmenter au fil des ans pour atteindre 585MW en 2024. Comment comprendre cette logique qui consiste à dépenser tant de ressources pour produire une puissance trois fois supérieure à nos besoins prévisionnels.

-                 Venons-en à l’accord de pêche avec l’Union Européenne. L’impact financier présenté comme étant un résultat majeur de cet accord a été mal expliqué. Cet impact est constitué par :
Un montant fixe annuel alloué par l’Union Européenne  qu’on appelle  compensation financière qui est versée indépendamment du nombre de navires opérant dans les eaux mauritaniennes.
Un montant  versé par les armateurs de l’Union Européenne et qui varie suivant le nombre de navires et les quotas pêchés. Ce dernier montant était indexé sur le tonneau de jauge brute des navires. Dans le dernier accord l’indexation est  alignée sur les tonnages effectivement péchés.
Or en comparant les compensations financières de ce dernier accord avec ceux qui l’on précédé, on se rend compte que le montant de la compensation fixe passe de 70 Millions à 67 Millions d’€.  La part revenant aux armateurs est un leurre dans la mesure où il est aléatoire et ce, d’autant qu’il  soulève déjà de fortes contestations.
Il faut aussi, pour obtenir une juste évaluation de la politique de pêche suivie par les autorités, tenir compte des avantages indus accordés à la société chinoise Poly-hondone Pelagic fisheries Co Ltd  qui se traduiront par  l’aggravation de la surexploitation du poisson de fond ; des avantages fiscaux excessifs pour une durée de 25 ans, l’alignement des redevances à payer sur celles des nationaux et le flou entretenu sur les zones de pêche, les maillages des filets, les quotas maxima à pêcher, les taux de la fausse pêche autorisés, les tailles des espèces  autorisées pour chaque pêcherie.

- Dans un autre chapitre, on assiste à un interventionnisme de l’état dans tous les domaines avec une frénésie de création de nouveaux établissements et organismes publics. On estime à 43 le nombre des nouvelles créations avec leurs dépenses en capital, les subventions de fonctionnement et les prises en charge des nombreux déficits. Cette politique est économiquement contre productive dans son essence et couteuse dans ses conséquences. Ainsi   pouvons nous observer une progression phénoménale des dépenses au titre des transferts et subventions qui passent de 2,7% en 2009 à 8,6% du PIB en 2012 ; Notons que sur la même période les rémunérations des employés chutent de 10,2% à 8% du PIB.


Tous ces exemples mettent en évidence une politique volontariste marquée par l’improvisation, le surdimensionnement, la mauvaise allocation et le gaspillage de ressources. Des dérives qui s’expliquent, entre autres raisons, par l’absence de stratégies et de schémas directeurs rationnels qui résulte de la marginalisation des compétences et de l’hypercentralisation des pouvoirs de décision. Elles résultent également de la mise en avant de calculs démagogiques au détriment de la planification rigoureuse fondée sur les avis des professionnels et des experts des domaines concernés.


-          Avez-vous des propositions concrètes ou alternatives plus  porteuses que celles résumant le bilan de réalisation du président de la République ?


-          Vous comprendrez que je ne me lancerai pas dans des développements sur des stratégies économiques que je ne maitrise d’ailleurs pas. Une politique économique digne de ce nom est forcement une œuvre collective mobilisant un ensemble de compétences et de connaissances qu’il faudra, le moment venu, mettre à contribution. Ce que je peux faire, à ce stade, c’est d’exposer certaines idées dans le but d’introduire et de susciter une réflexion sur les grands défis auxquels nous sommes confrontés.
-          A mon avis toute stratégie économique doit s’édifier sur la base des 3 priorités suivantes : La reconstruction de l’Etat et de ses institutions ; la diversification du tissu économique du pays ; le redressement du système éducatif national.
-          La reconstruction de l’Etat: Le drame de l’hypercentralisation et de personnalisation du pouvoir est l’effet destructeur qu’il exerce sur toutes les institutions du pays. Aujourd’hui nous nous trouvons en présence d’un Etat léthargique, absent, ne jouant qu’un rôle passif pour ne pas dire parasite. Or, en amont, pour la conception, et en aval, pour l’exécution, toute politique économique a besoin de cet outil central. L’une des priorités est d’investir pour donner de l’efficacité et de la vitalité aux services publics. Il faut désengager l’état des activités marchandes qui peuvent être exercées par le privé, réduire les établissements publics et les organismes à caractère administratif dont l’objet n’est pas essentiel pour la vie de la nation. Il faut réduire sensiblement le budget destiné aux transfert et subvention pour investir massivement dans le redressement des services publics ; réduire et rationnaliser les effectifs, rétablir les critères de mérite et de compétence dans les choix, bannir le clientélisme, instaurer l’équité et améliorer sensiblement les conditions de travail des fonctionnaires sur tous les plans : responsabilisation, conditions de travail et conditions de rémunération.   Moins de fonctionnaires, mais des fonctionnaires compétents, efficaces et motivés. Tel est le premier objectif que l’on doit se fixer.
-          La diversification du tissu économique : L’économie du pays est totalement dépendante des industries extractives. Elle est de ce fait extrêmement vulnérable. Nous avons les mines de fer exploitées par la SNIM dont la durée de vie est estimée à 20 ans. Nous avons l’or de Tasiast dont la production commencera à décliner à partir de 2014 pour s’épuiser en 2030. Nous avons l’or et le cuivre d’Akjoujt qui n’iront pas au delà de 2020.  Une politique économique judicieuse et responsable doit gérer de façon rationnelle les ressources générées par le secteur minier pour investir dans l’enrichissement, la diversification et la sophistication du tissu économique pays en vue de créer les conditions d’une croissance durable impliquant tous les secteurs d’activité.
Une rectification de la politique suivie pour les investissements peut permettre de dégager des fonds pour financer ces reformes d’avenir. Il s’impose de mieux dimensionner les projets pour les adapter aux besoins rationnels réels du pays. Il y a lieu, avec la reforme de l’Etat, d’améliorer la capacité d’absorption des financements extérieurs et d’inverser le rapport des contributions respectives des ressources nationales et des ressources extérieures au financement des projets. Actuellement ce rapport est de  25,5% pour les financements extérieurs contre 74,5% sur fonds propres.
Les reformes d’avenir supposent, en premier lieu, la création d’un environnement favorable pour le développement des affaires. Plutôt que de régler des comptes pour évincer l’ancienne classe d’hommes d’affaires et promouvoir de nouvelles figures il faudrait encourager le secteur privé dans son ensemble en  établissant des règles qui s’appliquent à tous et qui ont pour objet de garantir la transparences et la libre compétition entre opérateurs.
Le pays doit promouvoir une destination Mauritanie par des formules de partenariat et d’investissement direct afin d’encourager les opérateurs étrangers à investir en Mauritanie. Cela suppose la mise en œuvre d’un nouveau code des investissements assurant des avantages incitatifs une sécurité dans l’exercice des activités, une protection par un système judiciaire professionnel et équitable et une protection contre toutes les formes d’interventions et de pressions indésirables,  
Une réflexion doit être engagée pour développer le secteur rural. Dans le domaine agricole en particulier il sera nécessaire de revoir, dans un climat apaisé serein et consensuel, le délicat problème de la réforme foncière pour pouvoir libérer toutes les potentialités dans ce domaine : Ainsi pourrons-nous réaliser les nombreux arbitrages entre toutes les formes d’exploitation de la terre dans l’intérêt des agriculteurs traditionnels, des exploitants de grands périmètres  aménagés et de l’introduction de partenaires étrangers pouvant ouvrir des opportunités sur le marché extérieur. Dans le domaine de l’élevage il y a lieu de mettre en œuvre une stratégie axée sur la sécurisation du bétail contre les aléas naturels.
-          Le redressement du système éducatif national. A la base de tout développement il y a le facteur humain dont la qualité dépend du système éducatif. Depuis la reforme de 1979 notre école est en crise. Entre autres effets négatifs, cette reforme a crée une division nette entre les différentes composantes de notre pays qui sont à l’origine des regrettables évènements de 89 à 91. Aujourd’hui nous avons des générations qui ne se comprennent pas qui n’ont pas fréquenté les mêmes classes et qui n’ont pas cultivé cette complicité qui nous a été inculquée par notre vie commune dans les internats des collèges et lycées. Aujourd’hui, allons visiter les écoles publiques à Nouakchott on n’y trouvera que les enfants de familles pauvres avec une nette prédominance de couches sociales particulières. Le reste des élèves suivent leurs études dans les écoles privées. Nous sommes en train de poser des bombes à retardement qui exploseront un jour ou l’autre. Il est plus que jamais urgent de revoir cette question. En Mauritanie le budget consacré à l’éducation est de  3,5% du PIB  seulement pour une norme allant de 5,6 à 6,5 dans les pays de la sous région (Maroc, Sénégal, Tunisie). Il est impératif d’atteindre et même de dépasser la norme internationale dans ce domaine pour améliorer la qualité de l’enseignement public et pour promouvoir la mixité dans les écoles.

vendredi 28 septembre 2012

Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah - l'exceptionnel, le complet, l'inoubliable

Vendredi 28 Septembre 2012

Par un ami commun, le fidèle, généreux et infatigable Ahmed Salem Chadli, j’apprends la mort – survenue il y a huit jours à l’Hôpital national de Nouakchott – de Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah. C’est un immense chagrin. Nous nous connaissions et fréquentions depuis 1965 et surtout avions travaillé intensément à deux reprises en Décembre 2002 et en Décembre 2005 sur ses hypothèses pour une histoire de la Mauritanie pré-coloniale. Travail, intuition, synthèse exceptionnels sinon révolutionnaires, justifiant tous les paris de son cousin éminent, le président Moktar Ould Daddah. Je terminais juste ces jours-ci la mise au net de ces entretiens pour la lui faire relire et corriger pour les noms propres – surtout – que j’avais mal saisis.

Je vais écrire mieux et plus, d’abord dans les colonnes que veut bien m’ouvrir le Calame.

Ce soir, simplement, quelques lignes après avoir quitté son campement semi-sédentarisé d’Aïn Selama, non loin de la route de l’Espoir, de Boutilimit et d’un émouvant cimetière où l’attendaient les siens, le président-fondateur aussi, les Ahel Cheikh Sidya enfin.

Portrait maintenant d’un Mauritanien de toujours :
Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah

Les notes enregistrées, et donc les trois jours de conversations suivies que j’ai eu le privilège de vivre à deux reprises, en Décembre 2002 et en Novembre-Décembre 2005, font ressortir progressivement le portrait d’un Maure très caractérisé.

C’est d’abord un homme qui aime s’informer, mû par la curiosité aussi bien pour ce qui l’entrainera dans des travaux scientifiques, que pour l’actualité de son pays. Une information surtout orale, la radio, les on-dits, les rapports faits après-coup par des gens dignes de confiance, mais le plus souvent de seconde main, quoique certains témoins soient des acteurs de ce qu’ils racontent. Au passage, dans les jugements faits sur la dictature, qui sont essentiellement le jugement d’une médiocrité intellectuelle et d’une corruption à la tête, plutôt que celui d’un système à exactions et atteintes au droits de l’homme, il y a la conscience (ou la pétition) d’appartenir à un groupe social exceptionnellement libre et mûr culturellement, et donc honnête intellectuellement et moralement : les Oulad Biri.

C’est un homme dont les recherches le confortent dans ce à quoi nativement il croit, en l’espèce un ensemble mauritanien bien plus vaste que l’actuelle Mauritanie, et comprenant le pays maure au sens extensif mais aussi le pays noir contigu qui partage avec le premier l’économie et l’histoire. Un ensemble à tendance commerciale et démographique nord-sud, ce qui accentue le caractère mixte – historiquement et ethniquement – du pays.

L’homme est imprégné d’une culture arabo-musulmane fortement marquée par une situation géographique le mettant aux confins occidentaux d’un monde immense et extrêmement évolué au moins jusqu’à une période récente : le monde arabe, et au contact avec un autre monde avec lequel les siens entretiennent des relations multiples, mêlant commerce et religion, le monde noir. Mais il a une méthode tout européenne de travailler en ethnologie et en sociologie historique.
                                                 samedi 14 janvier 2006

pour une autre relation franco-africaine, la relation euro-africaine . 17.21 Juin 2010

                                                                                                      17 . 21 Juin 2010

  

Mauritanie : exemple de ce qu’il faut revoir
pour une vraie relation Europe-Afrique



Le Fonds européen de développement a plus de cinqante ans et l’association de l’Europe – originellement des Six – avec l’Afrique et par extension avec les pays des Caraïbes et du Pacifique, près de cinquante. Ce ne sont ni des vues stratégiques ni des calculs économiques qui ont inspiré les pères fondateurs, et même les principales métropoles concernées : la France et la Belgique. C’est un fort et noble sentiment de responsabilité. Les conventions de Yaoundé puis de Lomé – tandis que les Communautés puis l’Union s’élargissaient – ont correspondu aux souhaits, notamment africains. Le traité de Cotonou voici dix ans a doublement innové. Tandis qu’il faisait abandonner par les Européens au prétexte de l’Organisation mondiale du commerce et de ses règles « libérales » une vraie solidarité économique avec leurs partenaires du Sud, il énonçait des valeurs censément partagées entre tous les Etats associés quel que soit leur continent d’appartenance, et prévoyait de sanctionner les manquements. Le fonctionnement de ce partenariat intime n’avait pas de précédent dans l’histoire ni dans la géographie. Il était indépendant des organisations internationales soit d’ambition politique universelle comme l’Organisation des Nations Unies, soit de compétence économique ou financière comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

La décennie qui s’achève, a montré que les accords européens de désarmement douanier à convenir entre régions d’Afrique et l’Union européenne ne sont pas adaptés à nos partenaires, moins dotés que les Etats-membres, et sont dénoncés comme nuisibles sans que l’Union ait au moins invoqué les exceptions prévues par les traités, et permettant de négocier les échéances. Depuis la signature du traité de Cotonou, bien des mises en œuvre du processus de consultation et de sanction – pour raisons politiques : le plus souvent des coups dits d’Etat – prévu par l’article 96, ont eu lieu : Nigeria, îles du Pacifique, Haïti quand les catastrophes n’étaient que la dictature, et d’autres dont la République Islamique de Mauritanie quand fut renversée pacifiquement et inopinément celle qu’elle subissait depuis vingt ans.

Aujourd’hui, ce pays se présente à Bruxelles, apparemment devant un jury seulement économique et financier. Une « table ronde » avec les bailleurs de fonds a été organisée, par la Commission européenne à la demande du gouvernement mauritanien, pour se tenir les 22 et 23 Juin – demain et après-demain. Elle a été préparée la semaine dernière par la Banque mondiale en délégation à Nouakchott, et par le Fonds monétaire international, dont les experts ont séjourné en Mauritanie du 2 au 17 Décembre 2009 et rendu compte le 26 Février 2010 : une facilité triennale a été accordée le 10 Mars 2010, dont il est de jurisprudence que les bailleurs de fonds la regarde comme une caution technique. Mais la part politique de l’examen n’est en principe pas à l’ordre du jour. La décision du Conseil, en date du 25 Janvier 2010, « permet la reprise totale de la coopération ». Cette décision est fondée sur le processus de l’article 96 et sur deux accords propres à la Mauritanie : 1° un consensus entre « pôles » politiques nationaux, intervenu à Dakar l’an dernier et signé à Nouakchott le 4 Juin 2009, et 2° une lettre d’intention signé par le Premier ministre mauritanien, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf qui préside la délégation de son pays à la « table ronde » des 22 et 23 Juin, et le directeur général du Développement compétent pour la Commission.

Ces examens et ces textes lient le politique et l’économique.


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I – La question mauritanienne est d’abord politique


La situation macro-économique du pays est analysée par les différents observateurs et institutions de manière concordante. Si la Mauritanie pâtit de la sécheresse, d’une urbanisation socialement désastreuse et d’une véritable déception quant à son avenir pétrolier, son handicap principal réside dans son mode de gouvernement. Celui-ci n’est pas consensuel – les ouvertures et fermetures se succèdent à contre-temps vers des oppositions qui ont été manipulées pendant l’année putschiste autant par le pouvoir de fait que par la « communauté internationale » soucieuse de classer la chose – et il n’est même pas délibératif. Le président de la République commande en personne la garde présidentielle (dont il a été l’organisateur il y a plus de vingt ans et qu’il n’a jamais quittée physiquement) et s’est octroyé la fonction d’ordonnateur national des dépenses en la retirant – informatiquement – à la direction du budget, il y a quelques semaines.

Or, les deux questions auxquelles les représentants des bailleurs de fonds doivent répondre pour leurs mandants, sont très simples : les déficits budgétaires mauritaniens sont la conséquence d’un système où la masse salariale est beaucoup trop publique et où les transferts aux entreprises trop laxistes et volumineux – l’organisation bancaire est maffieuse pour les principales raisons sociales et elle subit en outre les manœuvres du pouvoir tendant soit à intimider physiquement les dirigeants, soit à asphyxier fiscalement et surtout inopinément les banques. Résoudre ces questions nécessitent un Etat impartial et convenablement organisé, fort de personnalités ayant le sens du service public. Cet Etat a failli exister dans les deux premières décennies de la Mauritanie indépendante : succès indéniable du président Moktar Ould Daddah et de ses co-équipiers. « Président des pauvres », soutenu explicitement par la principale fortune privée du pays, le général Mohamed Ould Abdel Aziz – qui n’a aucune culture économique et ne se sépare pas d’un ministre des Affaires économiques, sévèrement jugé par l’ambassadeur, délégué de la Commission à Nouakchott – ne peut résoudre les équations que lui proposent les bailleurs de fonds, et qui sont de bon sens.

L’examen des comptes et les projections d’avenir a peu de sens aussi bien pour les bailleurs de fonds que pour la population mauritanienne. Dans des pays aux économies développés, l’homme statistique correspond à peu près à l’homme moyen, et les circuits de redistribution peuvent s’analyser aussi bien que les modes de financement des divers déficits. Les ressources figurent aux budgets. La fiscalité des personnes et des entreprises n’est pas contractuelle, la direction du pays est délibérative et, au moins, déconcentrée. Rien de ces généralités rendant vraisemblables, puis applicables, les diagnostics ne se retrouve en Mauritanie. Pour des raisons qui ne sont pas – principalement – sociologiques, à l’instar de beaucoup de pays comparables, mais politiques : ce qui fait toute la particularité de la question mauritanienne. Cette question n’est pas financière, elle est politique et éthique.

Depuis son indépendance, il y a cinquante ans, la République Islamique de Mauritanie a vêcu davantage sous un régime militaire, avoué ou camouflé, que selon un régime consensuel (celui du président Moktar Ould Daddah : 1957-1978) ou démocratique à l’européenne (les quinze mois d’exercice du pouvoir par le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi). Depuis Juillet 1978, la dévolution du pouvoir s’est toujours faite – sauf en Mars-Avril 2007 – par la force.

La discontinuité du pouvoir politique à Nouakchott – et les improvisations de moyens faites par les militaires pour encadrer la population et se légitimer – ont eu deux conséquences.

C’est la « communauté internationale », principalement les bailleurs de fonds : Union européenne, Banque mondiale et Fonds monétaire international, qui donne une continuité aux financements et à la formulation d’une certaine planification budgétaire, économique et sociale, et rappellent le pays au respect des valeurs fondamentales en gestions diverses et en droits de l’homme. Ces partenaires, déjà recours financier du pays au lieu du tête-à-tête avec l’ancienne métropole française dans les deux premières décennies des indépendances africaines, sont devenus aussi des recours politiques pour les opposants à ces régimes de contraintes et de masques : depuis 2003, ce fait domine la vie politique mauritanienne et a amené les pouvoirs successifs à déployer des efforts de plus en plus précis, mais de plus en plus mensongers également… pour donner le change à ce que le population ressent ou attend comme un arbitrage étranger, faute de solutions nationales.

Des groupes privés nationaux se sont fondée selon de fortes individualités, liées familialement ou tribalement ou par corruption avec les tenants successifs du pouvoir politique. Nettement depuis le dernier coup, celui du 6 Août 2008, par lequel s’est auto-promu chef de l’Etat, le chef de la garde présidentielle depuis la création de ce corps destiné à sécuriser l’homme fort du moment, lui-même militaire, vis-à-vis de l’armée aux missions classiques – ce sont eux qui, sauf en prospection minière et en exploitation des richesses halieutiques, restées d’initiative et de financement étrangers, contrôlent les flux économiques, les marchés publics et la valeur ajoutée mauritanienne.

La « table ronde » avec les bailleurs de fonds a été souhaitée par le régime mauritanien (à la suite de péripéties complexes et dissimulées pendant onze mois, le général Mohamed Ould Abdel Aziz a été élu Président de la République, selon un scrutin pluraliste mais non contrôlé faute que l’Union européenne ait pu fournir son expertise en la matière – les délais étaient trop courts et le temps de la réflexion n’a pas été exigé). Elle a lieu dans une ambiance particulière. Pour les institutions économiques et financières s’exprimant en dehors de leurs compétences propres, « la stabilisation de la situation politique en Juillet 2009 » est un fait acquis. Pour l’opposition démocratique à Nouakchott, c’est tout le contraire et pour la plupart des organisations non gouvernementales nationales ou internationales, également. Le gouvernement ne s’y trompe pas, même si sa prise de conscience n’a qu’une quinzaine jours – elle date d’un entretien à Nouakchott entre le général Mohamed Ould Abdel Aziz et le ministre espagnol des Affaires étrangères. Il en est ressorti que faute de la libération de ses ressortissants, la présidence espagnole en fin de son mandat semestriel, n’est pas l’appui sur lequel comptait le pouvoir en place. Alors que pour les consultations d’identité et de bonne volonté démocratique dès la perpétration du coup militaire, la présidence française avait été décisive dans la contagion d’une tolérance aboutissant aux apparences internations actuelles.

L’exercice est donc, depuis trois semaines, l’occasion pour le pouvoir de se donner in extrêmis les apparences voulues, notamment en proposant – enfin – le « dialogue national inclusif » prévu par l’accord de Dakar. Occasion aussi pour l’opposition d’exiger des dirigeants nationaux une participation à la préparation – côté mauritanien – de cette table-ronde, et à la représentation du pays pendant cette table-ronde. Cette pétition n’est pas que démocratique. Seule, l’opposition – dont les personnalités de tête sont encore plus remarquables intellectuellement et moralement, qu’elles sont déterminées – peut exposer aux bailleurs de fonds et aux Etats-membres les habitudes réelles, les camouflages anciens ou récents, les comptabilités parallèles, les corruptions ces dernières années de certains des représentations d’institutions financières internationales avec le pouvoir en place, que la langue de bois gouvernementale n’exprimera évidemment pas.

L’ouverture à l’opposition n’a, en réalité, pas le moindre début d’application ; elle n’a été formulée qu’en tête-à-tête avec l’ancien Premier ministre du président renversé il y aura bientôt deux ans et n’a pas abouti à une préparation consensuelle de la réunion avec les bailleurs des fonds ni à un rééquilibrage de la représentation mauritanienne. Une série  de gestes médiatiques et la circulation d’autant de faux et de nouvelles controuvées ont rendu indéchiffrable la situation politique mauritanienne à la veille de la « table ronde ». Le blocage d’une législation émancipant du pouvoir politique les médias audio-visuels – en dépit de la lettre d’intention du 22 Décembre 2009 (laquelle avait coincidé avec le maintien en prison sans mandat de dépôt le directeur du plus important site électronique, alors d’opposition) – prend tout son sens. Non seulement l’Union et les bailleurs de fonds ne seront pas informés de façon concrète et fiable par la délégation mauritanienne – à la tête de laquelle a failli se placer le général Mohamed Ould Abdel Aziz, tant il ressent l’enjeu en financements et surtout en légitimation, comme décisif – mais les engagements éventuellement pris vont l’être à titre précaire, si l’opposition n’est pas associée à cet examen et à ces signatures. Quant à l’opinion nationale, elle ne sera conviée qu’à constater une légitimation internationale d’un gouvernement dont elle conteste et la capacité technique et la sincérité.

L’exclusion de l’opposition est grave. Pendant toute « l’année putschiste », celle-ci a été forcée d’acquiescer au processus de légitimation du fait accompli à mesure que la France – contrairement à son intérêt bien compris pour une relation adulte et transparente, donc via l’Union européenne – a choisi le putschiste contre le président légitime. Non sans débats intérieurs. Elle ne peut l’être à nouveau, du fait de l’Union et des bailleurs de fonds, car il serait contraire aux intérêts de ceux-ci et de l’Union de contracter, sans information complète et avec un partenaire, contesté chez lui, en moralité et en contrôle de la situation.

S’il a vite été trop tard pour reporter cette table-ronde –suggestion au directeur général Manservisi, il y a près d’un mois – il reste possible qu’après avoir entendu et questionné la délégation mauritanienne, selon son texte (pré-diffusé, sans respect des usages diplomatiques, à Nouakchott pour convaincre la population de la capacité rédactionnelle du pouvoir en place) et sa composition, les partenaires (dont l’Union européenne) articulent nettement qu’ils préfèrent attendre pour décider, que les Mauritaniens se mettent d’accord entre eux. Et que ceux-ci, à l’unission, le leur fassent connaître.

Aucune des législations ou des institutions souhaitables n’ont été mises en place, préalablement à la table-ronde. La libéralisation de l’information n’aurait pas qu’un impact politique : elle continue d’être refusée. Les présentations mauritaniennes, publiées avant la réunion, sont rédigées au futur. Le leit-motiv du putsch a été la « lutte contre la gabegie », mais en près de deux ans de pouvoir de fait puis de pouvoir reconnu, aucun redressement ne s’est opéré, sauf une mise en cause de personnes sur lesquelles il a fallu revenir. Les statistiques d’une croissance de 5% par an sont sans signification dans un pays à la population aussi démunie.

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II – Faire de l’économie le bras de levier politique



Le discernement de l’Union est entravé par au moins l’un des Etats-membres. Il n’est sain ni pour les autres Etats-membres ni pour la France elle-même de s’attacher à soutenir – notamment par la caution que produira la table-ronde si rien n’est conditionné ni vérifié – un régime mal fondé en légitimité et précaire puisque sa fin – souhaitée ou redoutée – ne peut se produire que par un nouveau coup militaire. Ce n’est ni efficace ni rayonnant.

L’argument « sécuritaire » mis en avant par le général Mohamed Ould Abdel Aziz se retourne contre lui rien qu’à mémoriser les événements de la décennie. Il n’a pas su empêcher une tentative de coup d’Etat en Juin 2003 au cours de laquelle ont péri le chef d’état-major national et son propre adjoint au commandement de la garde présidentielle : la rumeur est que le désordre engendré par cette tentative, lui a permis de prononcer lui-même à la liquidation de possibles rivaux. Il était chef de l’état-major particulier du Président de la République quand a eu lieu le massacre de touristes français en Décembre 2007, faisant décider que la course automobile Paris-Dakar ne se déroulea plus en Afrique. Il était pleinement au pouvoir quand des détachements de l’armée régulière sont tombés en embuscade en Septembre 2008 dans le grand nord et quand des ressortissants espagnols ont été enlevés sur un des axes routiers les plus modernes du pays. La visite du secrétaire général de l’O.T.A.N. à Nouakchott succède à une annonce de la découverte de nouveaux gisements de gaz, elle-même précédée de mise en demeure fiscale de certaines banques et d’une proposition de « partage du pouvoir » faite à l’un des chefs de l’opposition : elle n’a pas plus de sens que ces gestes, dont l’improvisation est attestée par le nombre et surtout le calendrier. Que de moulinets à quelque temps de l’estocade… 

Ce sont les dirigeants actuels du pays qui placent ainsi délibérément la question mauritanienne sur le plan politique – et celui de la sincérité –, et en font dépendre les financements. On peut y répondre par une argumentation, elle aussi politique, mais qui ne serait ni sommaire ni contrainte. L’argumentation de la démocratie, chemin aussi bien de la sécurité des personnes et des biens que de gestions contrôlables et contrôlées, accompagnées par des législations votées consensuellement selon les contingences du pays, et non pour satisfaire par de seules apparences les schémas internationaux.

Le pouvoir mauritanien attend – en effet – plus des bailleurs de fonds une caution politique à usage interne, que des financements d’investissements ou de programmes. La délégation mauritanienne doit donc être accueillie politiquement. Sa capacité à répondre des engagements qui lui seront demandés, dépend presqu’entièrement du consensus qu’elle parviendra ou ne parviendra pas à susciter dans le pays et dans l’opposition. Elle en est loin actuellement.

L’attentisme motivé que les participants à la réunion de demain et après-demain devraient signifier à une délégation mauritanienne, non représentative quel que soit son nombre et ses couleurs, sera un rappel aux engagements de dialogue et de démocratie, souscrits à Dakar l’an dernier, en échange pratique de la légitimation du fait accompli par un scrutin non contrôlé. Il sera aussi dicté par la sagesse. Plus de 1.500 millions de dollars, accordés au gouvernement précédent, n’ont pas été dépensés. Adressée le 25 Février 2010, au ministre des Affaires économiques et du Développement, censément ordonnateur national du Fonds européen de développement, Sidi Ould Tah, la lettre de l’ambassadeur Hans-Georg Gerstenlauer, chef de la délégation européenne à Nouakchott, est édifiante : elle veut « alerter sur l’urgence d’une reprise en main effectuve de la mise en œuvre des programmes en cours ». Augurant mal de la gestion mauritanienne du Xème F.E.D., le IXème n’a pas été ordonné convenablement : on manque toujours « de projets bénéficiant d’une politique sectorielle définie et d’un calendrier de mise en œuvre crédible ». Or, le pouvoir actuel est de facto en place depuis près de deux ans.

Le dispositif de lutte contre la corruption reste de la littérature. Pendant les dernières années de la dictature d’un autre militaire bénéficiant de scrutins truqués, il s’était avéré que la Banque centrale de Mauritanie avait deux comptabilités, l’une pour les bailleurs de fonds, l’autre pour un minimum de mémoire interne. Les recettes provenant de la pêche et aussi le peu qu’apporte le pétrole ne sont pas régulièrement budgétées ni publiées.

Le sursis à conclure aura un effet immédiat et certain sur la vie politique mauritanienne, et dans un sens positif. La légitimité du pouvoir en place ne peut venir de la force, sur le plan intérieur, et d’une tolérance désinformée, sur le plan international, et surtout européen – puisque l’Union est la référence pour la « communauté internationale » et puisqu’aussi l’Union européenne, modèle institutionnel ambitionné explicitement par l’Union africaine, a, de fait, une responsabilité dans l’assainissement des processus politiques en Afrique pour qu’enfin financements et partenariats profitent à tous. Et ne soient pas accaparés.

Le report de décision et la conditionnalité de celle-ci serait un moyen – pas étranger à la déclinaison des valeurs communes et aux procédures de l’article 96 du traité de Cotonou. Au contraire, la palette des instruments de persuasion par l’Union de ses partenaires africains s’enrichirait.

La pétition européenne pour la démocratie en Afrique est moralement fondée mais elle est mal dirigée institutionnellement. Les critères de gouvernement mis en œuvre pour évaluer les partenaires de l’Union sont calqués sur nos formes de démocratie, sur nos institutions et sur nos décisions par votation. Rien de cela ne fonctionne en Afrique, en tout cas en Mauritanie où les alternances au pouvoir ne s’effectuent pas, faute de patience, où les politiques s’usent pour des échéances électorales factices. Le mode habituel – en dehors de la force, mode le plus constant depuis 1978 – est le débat amenant le consensus avec comme conséquence l’association de tous à l’exercice du pouvoir. Ce qui ne signifie nullement des régimes unanimitaires mais un système de considération mutuelle et où le pouvoir a l’appétit de s’allier les opposants. Ce fut le régime fondateur du pays pendant plus de vingt ans : il fit l’indépendance du pays moralement et financièrement.

Les fonds pour l’investissement et le développement doivent être conditionnés par un « partage du pouvoir » qui demande autant au général Mohamed Ould Abdel Aziz qu’à ses opposants une belle maîtrise d’eux-mêmes

Un accord ne serait pas une décision anodine – il publierait que les valeurs de l’Union ne dirigent pas ses relations de coopération – , un sursis à décider serait en revanche exemplaire vis-à-vis d’un certain mode d’exercice du pouvoir en Mauritanie, vis-à-vis de pays et régimes analogues qui sont également partenaires de l’Union européenne, vis-à-vis d’un Etat-membre dont la capillarité avec l’Afrique n’est son intérêt et l’intérêt de l’Union entière, qu’inscrite dans une démarche transparente, communicative avec les autres Etats-membres et soucieuse de moralité et de légitimité.

On pourrait alors passer à la vérité et au plein emploi de la relation eurafricaine :
– inventer des institutions de gestion économique et de transparence financière qui n’ont pas de modèle européen puisque la sociologie et les étapes en cours de la transformation des modes de produire, de commercer et d’épargner est fondamentalement différente de celle des Etats-membres. L’exemple des élargissements de l’Union aux pays de l’ancien COMECON montre qu’une simple extension du modèle libéral ayant valu en Europe occidentale est souvent périlleux socialement et financièrement ;
– prendre enfin et sérieusement en compte la question des droits de l’homme qui se vit en Mauritanie en trois dossiers : deux hérités de la précédente dictature, le « passif humanitaire » (les massacres à motivation ethnique perpétrés en 1987 et surtout en 1990-1991) et le retour des déportés (fuyant les pogroms en Avril-Mai 1989 en conséquence des dramatiques incidents mauritano-sénégalais), et qui étaient en voie de solution pendant la courte période démocratique de 2007-2008 ; la persistance de pratiques esclavagistes malgré les législations de 1981 (ordonnance du 9 Novembre) et de 2007 (loi du 3 Septembre portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes) ;
– accompagner, éclairer et protéger avec précision les projections et les décisions d’un pouvoir tenant sa légitimité du consensus, et non des alternances au pouvoir familière à l’Europe et aux Anglo-Saxons mais pas du tout à des peuples et à des personnalités impatientes à juste titre. Il est anormal qu’une « sortie de crise » comme celle de l’été de 2009 en Mauritanie qu’a seule permise juridiquement et moralement l’abnégation du président démocratiquement élu deux ans auparavant mais renversé par le chef de son état-major particulier en même temps que de la garde rapprochée, dès qu’il voulut le limoger, n’ait pas été assortie d’une implication approfondie de l’Union qui en a l’expertise et le budget. Anormal qu’auparavant des contractations pour la mise en valeur des possibles ressources pétrolières et des certaines ressources halieutiques aient pu se faire au détriment de la Mauritanie, sans le conseil et le discernement – à titre gratuit – des experts de l’Union. Et pmeu compréhensible que l’Union soit, dans ses décisions de coopération avec des pays associés, subordonnée aux jugements et délibérations du Fonds monétaire et de la Banque mondiale, notamment, qui ne comptent pas parmi ses propres institutions.
– concevoir, négocier puis écrire ensemble une quatrième génération des accords A.C.P. après celles de Yaoundé, de Lomé et de Cotonou, à l’expérience des dysfonctionnements de la dialectique valeurs partagées/sanctions des manquements et selon l’évidente crise du désarmement douanier et du libéralisme mondial. Economie et politique étant vêcues comme le même état de manque ou de vie, dans chacun des pays associés à l’Union.

Une familiarité et une solidarité eurafricaine est d’intérêt commun. Face aux Etats-Unis et à la Chine, à des stratégies et à des financements qui ne sont pas politiquement désintéressés comme ceux de l’Union européenne celle-ci ne peut plus se permettre ni l’aveuglement ni le cynisme. Et les pouvoirs en place peuvent être amenés par l’Union européenne à considérer que leur propre pérennité – leur survie parfois même physique en la personne de leurs chefs respectifs – dépend de la mûe de comportements qui les isolent de leurs populations et désespèrent des élites contraintes au sur-place ou l’émigration. Ce découragement et cet exode sont prononcés en Mauritanie. Cette solitude du pouvoir aussi./.

à Nicolas Sarkozy, avant son entretien avec Mohamed Ould Abdel Aziz, le 27 Octobre 2009

note à la haute attention
de
Monsieur le Président de la République

entretien avec le général Mohamed Ould Abdel Aziz
l’après-midi du mardi 27 Octobre 2009

La Mauritanie reste imprévisible. Sécurité même à Nouakchott, mouvements dans les forces armées, contestation des chefs aussi bien dans le parti présidentiel que dans le principal mouvement d’opposition.

Les Mauritaniens sont apparemment divisés entre ceux qui espèrent que le putschiste du 6 Août 2008 devenu l’élu du 18 Juillet 2009 tiendra parole – en fait, sur un programme, qui était également attendu d’exécution par celui qu’il a renversé, Sidi Ould Cheikh Abdallahi (reçu juste deux ans auparavant par le Président de la République) – mais l’observent point par point, et ceux qui l’ont jugé une fois pour toutes.

Seul changement, en deux ans, Total est passé d’une position de timide producteur à celle de découvreur dans le bassin de Taoudeni, aux promesses déjà identiées par Pierre Messmer, commandant le cercle d’Atar en 1951…

Seule certitude pour les Mauritaniens : le rôle de la France pendant toute cette année pustchiste.



Les consultations euro-mauritaniennes au titre de l’article 96 du traité de Cotonou ont commencé sous la présidence française de l’Union européenne ; elles ont abouti le 3 Avril 2009 à des décisions ou sanctions dont l’application demeure, au moment où l’élu mauritanien du 18 Juillet 2009 est reçu officiellement par le Président de la République.

La France avait eu une position de condamnation immédiate et ferme du coup militaire du 6 Août 2008, renversant Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le premier président élu selon un scrutin démocratique et pluraliste (25 Mars 2007), depuis le régime fondateur du président Moktar Ould Daddah (20 Mai 1957 au 10 Juillet 1978). Elle a ensuite beaucoup contribué – selon les uns à une solution consensuelle (les accords dits de Dakar, signés les 2-3 Juin 2009) – selon d’autres à faire admettre internationalement le fait accompli.

La France et le Président de la République – ainsi que celui à qui a été prêtée une influence décisive sur l’évolution de notre appréciation des gens et des choses de Mauritanie depuis quinze mois, M° Robert Bourgi, lié au milliardaire local Mohamed Ould Bouamatou, lui-même apparenté au général Mohamed Ould Abdel Aziz – sont donc regardés en Mauritanie comme ayant exercé la plus grande influence sur la mise en place du régime actuel.

Cette influence avait été supposée dans les précédents changements de régime, sauf à la chute du dictateur de plus de vingt ans, le colonel Maaouyia Ould Sid Ahmed Taya (3 Août 2005), auquel s’était lié le président Jacques Chirac, en sorte que l’Union européenne tarda paradoxalement à reconnaître la remise du pays dans l’axe démocratique. Cette influence a été cette fois avérée.

L’entretien présidentiel est donc vu comme un sceau apposé à notre action depuis le coup du général Mohamed Ould Abdel Aziz.




La visite mauritanienne a lieu dans une ambiance au pays qui peut se caractériser ainsi 
– hébétude des oppositions qui avaient espéré l’emporter dans les urnes et au moins provoquer un second tour où elles se seraient coalisées, d’autant plus aisément qu’elles s’étaient accordées sur une charte de bonne conduite pendant la campagne et sur un gouvernement de coalition si l’un ou l’autre de ses champions l’emportait ;
– léthargie de la population : l’hivernage a été pluvieux mais avec beaucoup d’inondations catastrophiques – la soudure alimentaire est difficile et un monopole s’est de fait installé pour les importations (famille El Ghadde ne cousinage avec le président) – les coopérations étant souvent interrompues, beaucoup de programmes sont arrêtés – en fait depuis 2005, c’est l’attentisme et la déception à la suite de chaque changement, le pays en est au troisième si l’on considère l’élection présidentielle du 18 Juillet dernier comme une simple consolidation, au quatrième si l’on considère que c’est un nouveau départ ;
– l’opinion générale est hantée par le précédent Ould Taya, de pas mauvaise apparence quand il s’empara du pouvoir que détenait un autre colonel à qui pouvait être reproché de pencher pour les indépendantistes sahraouis et de s’obséder de complots. Le régime dégénéra en deux ans au point que restent purullentes deux plaies très douloureuses, risquant d’opposer d’ailleurs les Mauritaniens originaires de la vallée du fleuve Sénégal aux autres, date de ce régime : les réfugiés au Sénégal, les massacres sans procès des militaires Toucouleur. Le régime constitutionnel tardivement mis en place ne fut qu’une façade, toutes élections truquées. Celui du général Mohamed Ould Abdel Aziz va-t-il tourner de la même manière arbitraire, sinon sanguinaire ?
– dans l’immédiat, la majorité présidentielle dont l’élection date de Novembre 2006 et Janvier 2007, sous l’influence de la précédente junte et non sous celle du président renversé qui restait alors à élire très concurentiellement, est en train de se désorganiser, plus pour des raisons de pouvoir entre la direction nationale du parti présidentiel et les puissances locales, que pour une critique du cours gouvernemental.



La sécurité qui était la responsabilité des juntes de 2005 et de 2008, et celle du général Mohamed Ould Abdel Aziz pendant le mandat interrompu de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, n’est toujours pas assurée.

Les coups les plus voyants (un poste saharien en Juin 2005, nos compatriotes à l’automne de 2007, le guet-apens dans le nord où tombe une patrouille en Septembre 2008) sont souvent commentés comme des coups montés, soit par le pouvoir sous Ould Taya, soit par les généraux Mohamed Ould Abdel Aziz et El Ghazouani depuis 2007. Ils tombent trop bien pour ne pas s’accorder avec une façade sécuritaire dont, à Nouakchott, on a pu croire que c’était la façon décisive de se faire évaluer par la France surtout et les Etats-Unis



L’homme prétendu fort n’a pas encore été déchiffré en psychologie personnelle. Il passait pour un sécuritaire et non un politique jusqu’à la réussite de son coup, et maintenant son élection, reconnue internationalement en légitimité, et comme un fait dans le pays.

Il est cependant tributaire de plusieurs faiseurs de roi.
Le couple formé avec le général El Ghazouani, intérimaire maintenant définitif à la tête de l’institution qui perpétue la junte de 2008, a été testé à plusieurs reprises par nous, dès l’automne de 2008 : détachable ou pas de son camarade Abdel Aziz ? Conclusion d’alors : il est censément solide et fidèle. Comme l’était la garde rapprochée d’Ould Taya.
Le miliardaire Mohamed Ould Bouamatou, également impliqué dans la succession sénégalaise et ses apparences dynastiques, a été décisif pour faire évoluer le point de vue français ; il a paru hésitant à quelques moments de la campagne présidentielle.
Le vice-président du Sénat, Mohcen Ould Hadj, changerait une nouvelle fois de camp, en tout cas gênerait désormais par ses exigences autant que le maintien du président de l’Assemblée nationale hostile au putchiste dès le coup : l’encadrement parlementaire n’est donc plus aussi assuré qu’il y a un an.

Il n’a pas su consolider puis exploiter l’alliance de fait que lui proposait, dès son coup de 2008, Ahmed Ould Daddah, jusques-là à la tête du plus important des partis d’opposition. Cette compréhension tenait, en réalité, à un malentendu : le putsch éliminait l’élu de 2007 mais n’aurait pas dû conduire son auteur à la candidature présidentielle. La proposition à ce compétiteur, très introduit internationalement, de prendre la place de Premier ministre serait habile et logique, maintenant que le scrutin a eu lieu. Apparemment, personne n’y songe.

Enfin, peut-il confirmer son travail d’image de « président des pauvres » ?
Et ses engagements, ressassés depuis son putsch de « régler tous les problèmes».


Dans ces conditions, il pourrait être demandé au général Ould Abdel Aziz,


un signe de respectabilité démocratique, autre que sa seule élection : la mise en liberté d’un journaliste, devenu emblématique, Hanevy Ould Dehah, détenu depuis cent trente jours (le 18 Juin 2009) au moyen de procédures ou même d’artifices pratiques illégaux. C’est le directeur du principal site électronique d’opposition Taqadoumy mais reconnu comme de grande qualité, y compris littéraire pour la version arabe. Cinquante détenus ont été grâciés à la fin du ramadan, mais pas lui. L’Union européenne, selon le chapitre VII de l’accord de Dakar, y est attentive. Il ne serait pas déplacé que sa libération fasse suite à l’entretien présidentiel.


l’analyse qu’il fait, actuellement, de son pouvoir et des soutiens dont il bénéficie : son propre parcours montre qu’une élection n’est pas un gage de pérennité, même si l’on estime reconnue sa régularité – la rumeur de l’arrestation, vers le 15 Octobre, de deux colonels censés préparer un coup est-elle fondée ?

note accompagnée d’une lettre au dispositif suivant :

Monsieur le Président de la République,


par le directeur de votre cabinet – relation amicale de très longue date et en qui j’ai toute confiance pour avec sérénité équilibrer près de vous les effets de plus en plus délétères des esprits de cour – je viens de proposer à votre haute attention une note sur la Mauritanie, puisque vous recevez votre homologue, cet après-midi.

Permettez-moi d’insister sur deux choses.

La première, les Mauritaniens se reconnaissent dans un certain type d’homme : tolérant, cultivé, pudique, davantage d’écoûte que d’exposé. Ils sont un peuple, certes composite ethniquement, mais très marqué par une géographie et une histoire communes qui les ancrent dans le souci des premières nécessités concrètes mais tout autant dans la conscience de l’immanence, ils ont de la mémoire, ils savent reconnaître les leurs – je pense à Moktar Ould Daddah, leur fondateur (votre antithèse à âge égal mais votre rencontre vous eût impressionnés mutuellement), à Sidi Ould Cheikh Abdallahi dont le renversement n’a pas entamé l’équilibre et la longaminité et à Ahmed Ould Daddah, opposant malheureux et parfois pas bien inspiré mais courageux et très au fait. Nos amis mauritaniens sont d’accueil plus que d’initiative, mais excellents pour la mission et le travail commun. La démagogie, y compris les travers de certains aspects de nos relations avec eux avan comme depuis l’indépendance, ou maintenant, ne font pas long feu, même s’ils ne disent pas qu’ils ne sont pas dupes. Ils savent surtout reconnaître leurs amis, ils sont fidèles.

Dans cet esprit, je me permets d’insister – fort – sur le lien entre développement économique (donc des soutiens financiers à ce qui en vaut la peine et qui marche déjà, et des projets profitant à la population), sécurité quotidienne et stratégique, droits de l’homme.

Ne traiter que l’un des trois est stérile et inefficace. Vous pensez comme moi aux priorités géo-stratégiques. Si le souci des droits de l’homme – cas concret du journaliste évoqué par ma note jointe – n’éclaire pas et ne justifie pas ces priorités, vous serez vain, car la psychologie putschiste a été renforcée dans les forces armées et la mentalité courante par l’année écoulée. Quant au développement, la Mauritanie est viable, riche selon ses besoins, mais elle est accaparée. Nous devons veiller à ce qu’elle ne le soit pas par nos intérêts.

Cinquantenaire des indépendances, je rencontre Jacques Toubon, que je connais aussi des années 1980. Il s’agit – ce qui sera avouer que nous ne nous sommes pas très bien ni très logiquement conduits depuis cinquante ans – d’opérer la mûe du discours de Brazzaville . 1944 . et de la tournée africaine du général de Gaulle l’été de 1958. Il y a tout à faire. Vous vous êtes particulièrement impliqué par de nombreuses interventions publiques. Vous savez que je me suis accordé avec peu d’entre elles, mais un retour à des repères que nous avons eus autrefois et à un dialogue de fond avec beaucoup d’Africains, vous est tout à fait possible, parce que vous êtes la France, depuis votre élection de 2007. Vous serez cru. Mais il y a à vraiment consulter, réfléchir, partager. Sans que j’insiste, sachez que je peux y contribuer.

Votre interlocuteur de cet après-midi, selon que vous l’entreprendrez dans ces perspectives, vous donnera sa mesure. J’ignore, quant à moi, quelle elle l’est. Ce n’est pas être abstrait ou naïf que de regarder au grand angle.

Très attentivement et en espérance.

Bertrand Fessard de Foucault




à Monsieur Nicolas SARKOZY, Président de la République
aux bons soins de Monsieur Christian FREMONT, Préfet, directeur de son cabinet
par courriel