mercredi 28 décembre 2011

fonctionnement de la justice - session du Conseil supérieur de la magistrature & rapport du bâtonnier pour 2011

Note observations sur la Session du Conseil
Supérieur de la Magistrature tenue le 26/12/2011



Les observateurs qui suivent les Sessions du Conseil Supérieur de la Magistrature où sont débattues périodiquement toutes les questions portant sur le fonctionnement des cours et tribunaux peuvent apprécier l'absence de toute indépendance à travers le traitement de telles questions sur la base d'un certain nombre de constats qui viennent confirmer la dérive dangereuse que connaît cette institution, il s'agit notamment de :

1- la mainmise quasi exclusive, dans toutes les décisions prises lors de l'actuelle session du conseil tenue le 26/12/2011, du Ministre de la Justice assisté de ses principaux collaborateurs (le Procureur Général près la Cour Suprême et l'Inspecteur Général de l'Administration Judiciaire et Pénitentiaire) d'où le risque permanent et réel d’instrumentalisation de la justice où ses décisions sont désormais prises à la chancellerie et dictées aux juges du siège pour les rendre publiques pour ne pas s'exposer aux poursuites et à la marginalisation. Nous avons toujours à l'esprit la décision dans le dossier de Mohamed Lemine Ould Dadde (détenu arbitrairement depuis le 27/9/011) prise le 10/11/2011 par le Ministre de la justice publiée par voie de presse (RFI) entérinée et rendue publique par le juge d'instruction le 04/12/2011

2- la promotion par la nomination des juges en fonction de leur soumission à la volonté du Ministre de la justice et de leur appartenance au groupe, d'où le risque désormais présent d'une réelle dérive tribale particulièrement nocive dans le secteur de la justice.

3- le risque rampant de cette dépendance des juges sur l'avenir de la sécurité des citoyens et des ressortissants étrangers résidant dans notre pays, mais aussi et surtout sur l'investissement tant interne qu'externe parce que tout investisseur se soucie plus de sa sécurité judiciaire que tous les paradis fiscaux qui peuvent lui être accordés. Une telle situation ne manquera pas d'avoir des répercussions inquiétantes sur le développement de notre pays

4- En plus de tous ces constats amers, mais réels parce que vécus, les téléspectateurs de la télévision nationale et les lecteurs des journaux Chaab et Horizons ont été surpris du défaut de publication pour la première fois de toute image de la présente session du conseil alors que ces médias veillent toujours et avec soins à la couverture de toute cérémonie où apparaît le Président de la République et seulement tous ceux qui lui sont proches. S'agit - il pour ces médias d'un mépris pour une telle institution ou s'agit - il plutôt d'un mépris de l'un des membres de droit du conseil, vice président le plus ancien et le plus gradé de la cour suprême parce qu'il est vakih d'autorité, ou qu'il s'est présenté en boubou ou parce qu'il est un élément de l'ensemble auquel appartient le magistrat qui avait été radié sur réquisition du Ministre de la justice et qui constitue désormais la cible de ce dernier !!. Il appartient alors aux médias et au Ministre de la Justice de s'expliquer sur les raisons de ce mépris de portée très grave.

5- Enfin permettez moi de souligner l'avenir toujours sombre de la justice par l'absence des facteurs essentiels et indispensables pour son assainissement à savoir :

a- une volonté politique réelle de refonte de la justice

b- des ressources humaines suffisantes, formées et professionnellement consciencieuses pour diriger et accompagner tout effort de redressement loin de la mainmise du Ministre de la justice et de ses collaborateurs et partant du pouvoir exécutif

c- un esprit de concertation avec le barreau qui fait désormais défaut à tel point que le Président de la République n'a pas reçu le Bâtonnier et le conseil de l’ordre depuis bientôt deux ans et ni ouvert le congrès de la CIB ni reçu en audience les Bâtonniers des différents pays qui ont pris part au 26ème congrès de la Conférence Internationale des Barreaux de tradition juridique commune, pourtant le congrès le plus réussi à tout point de vue dans l'histoire de cette conférence de l'avis de tous les participants, alors que les portes de la présidence sont ouvertes à tous les visiteurs et parfois les moins importants.

Dans ce climat, comment pouvons nous parler de justice dans notre pays?


Nouakchott le 28/12/2011
Me Brahim Ould Ebety
avocat à la cour

socogim ksar 141
BP 2570
Tel 222 45 25 16 07
Portable 222 3631 3170 ou 222 22 31 31 70
Nouakchott Mauritanie
e-mail :
hamdyfr@yahoo.fr





Rapport du Bâtonnier sur la justice décembre 2011


« Au secours ils reviennent »


Il y’a une année, soixante dix magistrats ont été mis à la disposition du ministère de la justice, démis de toutes fonctions judiciaires, « qualifiés d’incapables de suivre les réformes du secteur menées par le gouvernement »


La décision a été prise par le conseil supérieur de la magistrature sur proposition du ministre de la justice qui devait déclarer plus tard, à ce sujet, qu’il assume cette responsabilité.


L’action a été présentée par ses auteurs, dans le cercle de la justice, comme un acte courageux qui s’inscrit dans une logique d’assainissement, plus de place, disait on, dans le secteur de la justice pour les corrompus, plus de place pour ceux qui entravent et empêchent le travail de la justice dans son ambition nouvelle.


Enfin, disait-on, les reformes dans le secteur de la justice sont pour de bon lancées, étant entendu que toute démarche dans ce sens doit commencer par une extraction du corps de la magistrature de ceux qui, pour des raisons d’incompétence ou d’immoralité, ne peuvent accompagner l’aspiration au changement et l’ambition pour la justice.


Assez tôt la question a été accompagnée de certaines incohérences et a suscité quelques interrogations, pourquoi les juges démis ont-ils continué à bénéficier de leurs traitements, pourquoi a-t-on offert à l’état de Qatar certains d’entre eux si la thèse de leur incompétence et corruption est avérée ?


Certes, il convient de le rappeler dès le départ, il n’est pas dit que l’action de mise à la disposition du ministère de l’ensemble de ces magistrats est une décision juste, basée sur un constat objectif, sans doute dans la foulée des petits règlements de compte ont réservé ce sort à certains magistrats qui ne sont pas forcément parmi les plus mauvais, sans doute aussi certains lobby ont empêché des magistrats, qui devaient logiquement être démis, de faire partie de cette liste.


Toujours est-il que l’acte était symbolique et a donné le ton : c’est parti, le chantier de« l’assainissement de la justice » est théoriquement lancé.


Mais voila que le conseil supérieur de la magistrature du 26 décembre 2011, à l’heure où on l’attendait sur des réformes plus profondes, plus d’indépendance de la justice, plus de respect des magistrats à travers leur avancement, leur syndicat, la révision de la décision arbitraire de révocation du juge et d’autres gestes forts à l’adresse de la justice, a procédé à la réhabilitation d’ un certain nombre de ces magistrats qui se sont vus confier des responsabilités judiciaires assez importantes, comme si de rien n’était.


Nous n’avons jamais cru un instant à la volonté des pouvoirs publics d’assainir et d’améliorer la justice mais l’illusion de la mesure de 2010 était nécessaire et pouvait à elle seule enfermer les juges dans une logique d’exigence pour échapper à un tel sort.


Pourquoi, Messieurs les membres du conseil supérieur de la magistrature, nous avez-vous dépossédé de notre illusion, notre chère illusion, la seule dont on dispose à l’heure actuelle et à laquelle nous tenons beaucoup pour ne pas sombrer dans le désespoir?


Pourquoi, nous avez-vous arraché notre illusion qui nous permettait d’espérer, de rêver ?


Pouvez-vous nous expliquer votre décision ?


Hier les juges en question étaient inaptes à accompagner l’assainissement du secteur de la justice, étaient un obstacle à son accomplissement (selon vous-même) aujourd’hui ils se voient confier (par vous-même) les plus hautes responsabilités au cœur de la justice?


Quelles leçons et conclusions devons nous en tirer ?


1/ Vous êtes vous rendu compte, entre temps, que notre justice ne peut se passer des juges corrompus et incompétents et qu’il fallait dès lors les remettre en fonction ?
2/ S’agissait-il au départ d’une mesure injuste à l’égard des magistrats en question ? Auquel cas il convient, peut être, de songer à leur indemnisation pour compenser une année de qualificatifs aussi humiliants qu’incompétence, immoralité et corruption ;
3/ S’agit-il plutôt, pour vous, de renoncer au timide projet d’assainissement du secteur de la justice ?
4/ Ce projet n’a-t-il jamais existé en réalité ?
A défaut d’explications de votre part notre analyse nous conduirait inévitablement au constat que les forces du mal ont gagné le combat, ont réussi à faire obstacle à la timide tentative d’assainissement.


Le tribalisme, les bras longs ont incontestablement gagné la partie, mais il vous revient, de penser à nos peines, les peines des acteurs de la justice, des justiciables, des observateurs de vos mesures profanes et hésitantes, au moment où nous vivons fatalement l’effondrement de nos espoirs (illusoires, je vous le concède, mais néanmoins réconfortants).


Il vous appartient, pour prendre un exemple, de nous dire que le juge Mohamed Abdellahi Ould Tiyib n’était pas le magistrat corrompu et incompétent que vous avez cru en le mettant en 2010 dans la liste des magistrats démis, il est plutôt le modèle du magistrat compétent et intègre dont la justice a tant besoin aujourd’hui, raison pour laquelle il prend la tête de la cour d’appel.


Ou que le juge Mohamed Abdellahi Ould Tiyib est effectivement un obstacle à l’assainissement de la justice mais que cet assainissement n’est plus à l’ordre du jour, il nous faut des explications face à l’incohérence totale entre vos mesures dégradantes de 2010 et celles promotionnelles de 2011qui déroutent tout observateur et tout acteur soucieux de l’amélioration de la justice.


Vous avez le devoir de nous rendre compte, de nous expliquer, de vous justifier aux yeux d’une opinion de plus en plus exigeante en matière de justice.


Car en fait la décision du conseil supérieur de la magistrature en date du 26 décembre clôture l’année 2011 par un amer constat de déception : il n’ya aucune visibilité, aucune stratégie dans le secteur de la justice, aucune logique, aucune ambition.


J’invite solennellement le conseil supérieur de la magistrature à nous donner, d’urgence, des explications à ce sujet car avant de plaider devant ces juges nous avons besoin de savoir quels sont les mobiles et fondements de leur mise en quarantaine en 2010 et ceux de leur confiance renouvelée en 2011 ? Que s’est il passé entretemps ?

Nouakchott le 28 décembre 2011
Maître Ahmed Salem Bouhoubeyni Bâtonnier de l’Ordre National des Avocats de Mauritanie